Sommeil réparateur : ce que l'abandon de la sieste nous a fait perdre<!-- --> | Atlantico.fr
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Un Français sur trois souffre de troubles du sommeil.
Un Français sur trois souffre de troubles du sommeil.
©Reuters

Zzzz

En imposant des heures de travail fixes, l'industrialisation, puis la tertiarisation de notre société ont chamboulé notre rythme naturel de repos. Nous dormons moins, et nous avons aussi majoritairement tiré un trait sur la sieste. Deuxième épisode de notre série sur le rapport au temps dans le monde moderne.

Bruno Comby

Bruno Comby

Bruno Comby est polytechnicien et directeur scientifique de l'Institut Bruno Comby.

Il est l'auteur de l'Eloge de la sieste (TNR, 2005)

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A (re)lire, le premier épisode de notre série sur le rapport au temps dans le monde moderne : Qu'avons-nous perdu en perdant l'ennui ?

Atlantico : Un Français sur trois souffre de troubles du sommeil. Nos ancêtres étaient-ils confrontés au même problème, ou s’agit-il d’un mal purement moderne ?

Bruno Comby : On constate en effet  une aggravation des troubles du sommeil dans le monde moderne. Nous commettons des erreurs, qu’il conviendrait de rectifier. On en distingue deux qui sont particulièrement répandues.

D'abord, la lumière joue un rôle important dans la synchronisation du sommeil, via la sécrétion des hormones de l’éveil et du sommeil. La lumière artificielle d’une part, et les écrans d’autre part, qui nous gardent éveillés jusque très tard, diminuent la durée et la qualité de notre sommeil. Il faut donc veiller à ne pas être exposé à la lumière trop tard le soir, et faire attention à ce que les enfants et les adolescents ne restent pas devant la télévision ou l’ordinateur jusqu’à une heure avancée de la nuit. Autrement le cerveau, qui a besoin de l’obscurité pour se reposer, ne peut pas trouver le sommeil.

Ensuite, un certain nombre de substances chimiques stimulant l’éveil sont consommées : nicotine, caféine (que l’on trouve dans le café mais également dans le Coca cola), etc. Ces excitants nerveux repoussent le sommeil. En entreprise, lorsqu’on est fatigué, au lieu de s’accorder quelques minutes de sieste on se dirige vers la machine à café. Cela fonctionne, certes, mais répétée fréquemment, cette consommation conduit à un dérèglement des rythmes de l’éveil et du sommeil. Prenons l’image d’un cheval de trait : si on lui permet de se reposer et de se nourrir, il pourra continuer durablement son travail. Si au lieu de lui donner le repos nécessaire on le fouette pour qu’il avance toujours plus, cela fonctionnera une première fois, puis une deuxième, mais au bout d’un moment l’animal connaîtra des problèmes de santé prématurés par rapport à son âge. Notre fonctionnement au quotidien est assez comparable : au lieu de nous reposer, nous nous donnons un coup de fouet à base de caféine.

Ce sont donc ces deux facteurs qui expliquent le mieux l’aggravation considérable des troubles du sommeil ces dernières décennies.

Les Français dorment en moyenne sept heures et huit minutes par nuit. Cela est-il suffisant ?

La durée du sommeil a eu tendance à diminuer ces dernières décennies. Autrefois, nous étions plus proches de huit heures de sommeil en moyenne. Au-delà de la durée du sommeil, c’est surtout la répartition du sommeil dans la journée qui est mauvaise. Autrefois on avait tendance à fractionner le temps de sommeil, ce qui correspondait aux besoins de notre corps, alors qu’aujourd’hui ce dernier s’est concentré en un épisode unique. Nous aurions intérêt à morceler la journée en quelques épisodes d’activité. L’idée selon laquelle il serait possible de se lever à 7h du matin et de rester en pleine forme en étant extrêmement actif jusqu’à 11h du soir, est fausse. C’est pourquoi nous avons besoin de la sieste, mot qui nous vient du latin – sixta, la sixième heure du jour.

On distingue à ce propos trois types de siestes, en fonction de leur durée : la sieste "flash", qui dure moins de cinq minutes, la "standard", entre dix et quarante minutes, et la "royale", au-delà de 40 minutes. Cette dernière n’est pas conseillée en pratique régulière, en revanche les deux autres sont hautement recommandées.

Un stagiaire allemand travaillant dans le milieu bancaire à Londres est récemment décédé après avoir travaillé trois jours d’affilée. Jusqu’où pouvons-nous tenir sans sommeil, et quels sont les risques ?

Le sommeil est indispensable à la santé, plus que le fait de manger. On peut jeûner pendant plusieurs semaines, en revanche une carence en sommeil de seulement quelques jours n’est pas tenable. Si l’on constate aujourd’hui un éveil des consciences sur la question de la qualité de l’alimentation, on commence seulement à redécouvrir l’importance d’un bon sommeil. Il s’agit d’un domaine dans lequel nous avons encore énormément de progrès à effectuer. Le cas de ce stagiaire est un signal de plus, invitant chacun à redécouvrir son sommeil.

A partir de quand notre fréquence et notre temps de sommeil ont-ils commencé à diminuer ?

Plusieurs éléments déterminants sont intervenus dans notre rapport au sommeil. Parmi eux, la révolution industrielle, qui a introduit un rythme de travail très différent. On est passé d’une société à dominante agricole, dans laquelle on travaillait beaucoup, mais où la journée était jalonnée de temps de repos, à un travail à l’usine, puis en bureau avec le développement du tertiaire, qui a imposé des horaires rigides. Pour respecter ces horaires sans souplesse, on se tourne vers les excitants nerveux.

Un deuxième facteur est venu à peu près en même temps que le développement de la révolution industrielle, c’est la lumière artificielle, rendue possible grâce à l’ampoule à filament. La lumière artificielle existait déjà, mais au travers de lampes à huile ou à pétrole, qui ne perturbaient pas beaucoup le rythme de vie des gens. La lumière électrique, en permettant de veiller beaucoup plus tard, a contribué à dérégler notre sommeil.

Le phénomène s’est aggravé ces dernières années avec le développement du matériel informatique. Avec une ou deux télévisions et autant d’ordinateurs dans chaque maison ou appartement, quasiment tous les citoyens ont la possibilité de veiller très tard, et par conséquent de moins bien respecter leur sommeil. Nous sommes donc d’autant plus appelés à nous questionner sur ces problématiques.

Notre perception du temps a-t-elle changé par rapport à celle de nos ancêtres ? Si nous dormons moins, est-ce aussi parce que nous craignons inconsciemment de "perdre" notre temps ?

On constate une très grande différence de perception du sommeil entre les pays latins, anglo-saxons et asiatiques à dominance hindouiste ou bouddhiste. Prenons l’exemple de mon livre, l'Eloge de la sieste : au Portugal il s’intitule Elogio da sesta, et en Espagne, la Virtud de la siesta. On y voit donc une sorte d’apologie de la sieste, quand dans les pays du nord de l’Europe il est traduit par la "Puissance du sommeil", et en Asie par le "petit sommeil qui répare", ou la "Puissance du sommeil de dix minutes". On voit donc que les approches sont assez différentes.

Chez nous, en Europe du sud, le sommeil a tendance à être conflictualisé, car on l’a souvent confondu avec la paresse et la fainéantise, alors qu’en réalité il s’agit d’une chose particulièrement positive qui nous permet d’être plus performants. C’est ce qu’on retrouve dans les pays asiatiques à dominance hindouiste ou bouddhiste comme en Inde par exemple, où il est particulièrement inconvenant de réveiller quelqu’un qui dort ou qui fait la sieste. Alors que chez nous, cette attitude au travail ou sur un banc public est considérée comme anormale. On voit bien que d’un peuple ou d'une époque à l’autre, la perception du temps et du sommeil peut énormément varier. La sieste a longtemps fait l’objet d’une culpabilisation chez nous, et il est important de redécouvrir son caractère utile et bienfaisant. Cela nous permettra de changer notre rapport à l’activité, au temps et au travail. C’est tout un aspect de la vie sociale qui, en termes d’appréciation, basculera ainsi.

Quelles seraient vos solutions et recommandations pour pallier nos carences en sommeil. Un vaste mouvement de réforme est-il nécessaire ?

Les solutions sont multiples. A titre individuel, il faut réapprendre à mieux gérer son sommeil et à redécouvrir les bienfaits de la sieste. Même si l’entreprise n’en veut pas et si la société ne change que très lentement, chacun peut, dans sa vie, réintroduire une meilleure gestion du sommeil. C’est dans cette optique que j’ai rédigé l'Eloge de la sieste.

Des actions peuvent également être menées au niveau de l’entreprise, du groupe social et du pays tout entier. Il faudrait encourager les entreprises à mettre en place des actions de prévention dans le domaine du sommeil, une certaine souplesse qui permette aux salariés qui le souhaitent de pouvoir se reposer. En Chine, par exemple, le droit à la sieste, ou plutôt le « petit sommeil », est inscrit à l’article 49 de la Constitution. Chez nous, il n’y a rien de tel, alors que le droit à un repos bien mérité est tout de même la moindre des choses pour quelqu’un qui travaille dur pour son entreprise. Des droits - au travail, à la considération - existent dans notre société, qui pourtant sont beaucoup plus secondaires que le droit au sommeil. Il faut donner à ce dernier le statut qu’il mérite. C’est pourquoi je propose en France un référendum au droit à la sieste. Il s’agit de changer l’image que l’on a du sommeil et du travail, au niveau individuel, des entreprises, des groupes sociaux et du pays, ce qui permettrait de réhabiliter la sieste et de retrouver à travers elle un meilleur rapport au temps dans le monde moderne et ainsi de devenir plus performant, et de vivre en meilleure santé.

Pour plus d’informations sur la sieste, suivre ce lien.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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