L’espèce humaine continue d’évoluer : elle le fait même mieux et plus vite<!-- --> | Atlantico.fr
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Il faut prendre en compte deux systèmes évolutifs de l’homme : l’évolution morphologique et l’évolution culturelle.
Il faut prendre en compte deux systèmes évolutifs de l’homme : l’évolution morphologique et l’évolution culturelle.
©Reuters

Evolution perpétuelle

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'évolution morphologique de l'homme est loin de s'être arrêtée. Cependant, c'est surtout sur le plan culturel que les mutations sont les plus prégnantes, depuis 35 000 ans et encore aujourd'hui. Premier volet de notre série sur l'évolution. (1/5)

Henry  de Lumley

Henry de Lumley

Henry de Lumley est un préhistorien. Sa trajectoire professionnelle de plus de 40 ans est jalonnée par des découvertes importantes et par la construction d'équipements scientifiques destinés à faire mieux connaître la préhistoire.

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Atlantico : Des origines à nos jours, quelles ont été les grandes étapes de l’évolution humaine ? En quoi celle-ci consiste-t-elle exactement ?

Henry de Lumley :Il faut prendre en compte deux systèmes évolutifs de l’homme : l’évolution morphologique et l’évolution culturelle. L’évolution morphologique n’a jamais cessé, à un rythme assez constant, et se caractérise par un développement du crâne en volume. Celui-ci devient de plus en plus long, large, haut et rond. On passe d’une forme de ballon de rugby à celle d’un ballon de football. Cette évolution du crâne est caractérisée par une évolution du cerveau, qui est de plus en plus volumineux. Depuis les premiers hominidés qui se sont mis à marcher, on est passé de 350 cm3 à 1400 cm3 en moyenne aujourd’hui.

Par ailleurs, les membres antérieurs ont raccourci progressivement, car ils ne sont plus chargés des tâches de locomotion. Les membres postérieurs, qui assurent les tâches de locomotion, sont de plus en plus longs et robustes. Le pouce de la main s’est également allongé, permettant d’effectuer des mouvements plus fins.

Ceci s’accompagne de l’évolution culturelle, qui est liée à l’évolution morphologique. Les premiers hominidés d’il y a 5 millions d’années ont une boîte crânienne de 350 cm3. Les australopithèques, un peu plus tardifs (3 à 4 millions d’années), ont une capsule crânienne de 480 cm3, et les premiers hominidés capables de fabriquer des outils, de dégager des concepts et ayant un langage articulé, dépassent les 550 cm3. Les homo erectus, remarquables chasseurs, dépassent les 600 cm3. A partir de 1100 cm3, ils sont capables de domestiquer le feu. Les néandertaliens, apparus il y a 150 000 ans environ, ont une capsule crânienne comparable à la nôtre, parfois supérieure à la moyenne des hommes actuels, mais toujours dans la marge de variation actuelle. Avec le développement des lobes frontaux il y 35 000 ans, la pensée symbolique "explose", car ils sont le berceau de la pensée associative.

Mais alors que l’évolution morphologique de l’homme est plus ou moins proportionnelle au temps, il faut au moins 100 000 ans pour qu’une différence significative soit notable entre deux populations qui se succèdent. On peut dire aujourd’hui que l’évolution culturelle, en s’accélérant, a dépassé l’évolution morphologique.

En résumé, il y a 7 millions d’années le premier primate se relève et se déplace en équilibre sur les membres postérieurs. Il continue néanmoins, à l’occasion, de se déplacer dans les arbres. Mais marcher debout n’est pas une étape nécessaire pour être un homme, c’est pourquoi on continue de parler d’hominidés. Il y 5 millions d’années étaient les sahelanthropus tchadensis, ou Toumaï. Puis viennent les australopithèques (4 - 2 millions d’années), primates bipèdes n’ayant pas encore de langage articulé, ne fabriquant pas encore d’outils, et chez qui la locomotion bipède est imparfaite, et qui restent occasionnellement arboricoles.

Étape très importante : il y a environ 2,6 millions d’années : l’émergence des homo habilis, qui dépassent les 500 cm3, chez qui est née la pensée conceptuelle, et qui sont capables de fabriquer des outils en fonction de projets futurs. Leurs conditions anatomiques sont rassemblées pour qu’ils aient un langage articulé, et il n’y a pas de raison pour qu’ils s’en soient privés.

Il y a deux millions d’années débutait l’évolution culturelle de l’homme. Leur régime est alors essentiellement végétarien, ils ne sont que très occasionnellement carnivores. Ne sachant pas chasser, l’homo habilis devient charognard, et confectionne des outils pour récupérer la viande sur les carcasses laissées par les grands carnivores. Il y a 1,5 millions d’années, avec l’homo erectus, l’homme devient chasseur, s’organise en groupe et fabrique des lames permettant de dépecer les bêtes. Mais il consommait encore la viande crue. Il y a environ 400 000 ans, l’homme domestique pour la première fois le feu. Ce dernier éclairant et réchauffant, il permet à l’homme de conquérir des zones plus froides. Il permet de cuire la viande, ce qui, en éloignant les parasites, a allongé l’espérance de vie. La convivialité a également été grandement développée par cette maîtrise du feu : d’où la naissance de la pensée mythique et des identités régionales. Il y a environ 350 000 ans, on assiste au façonnement de la pensée symbolique et des premiers rites funéraires. Signification : l’homme refuse la mort, et veut poursuivre au-delà.

Vers 35 000 ans, chez l’homme moderne, la pensée symbolique explose, notamment avec l’invention de la parure et de la musique. Autre changement fondamental entre le dixième et le septième millénaire : les premiers peuples agriculteurs et pasteurs apparaissent. C’est la sédentarisation, qui marque l’apparition des métiers : spécialistes, chef, soldats, prêtres… Puis arrive la métallurgie (âge du bronze, âge du cuivre), et enfin l’écriture en 3 500 avant notre ère (Mésopotamie, Égypte). On est enfin en mesure de transmettre des messages à travers le temps et l’espace.

Bien que la médecine moderne ait considérablement facilité la lutte pour la survie, est-ce une erreur que de penser que les humains ont cessé d’évoluer ? Pourquoi ?

Bien entendu, l’évolution morphologique va se poursuivre. Le crâne, au fil du temps, deviendra de plus en plus rond, et le cerveau de plus en plus volumineux. Mais ce n’est pas le fait le plus marquant pour l’instant. Aujourd’hui l’évolution culturelle a rattrapé l’évolution morphologique. On peut dire que l’homme est devenu le moteur de son évolution. Il en change les critères grâce aux vêtements, à la climatisation, etc.

L’autre grand facteur de l’évolution est la sélection naturelle : grâce aux molécules développées par nos biochimistes, on est en mesure d’éliminer certaines maladies ; certaines personnes qui étaient dans l’impossibilité de se reproduire le sont maintenant. On peut même procéder à des clonages. Il faut que l’homme soit assez sage pour savoir qu’il fait parti intégrante d’un milieu naturel dont ils ne pourra jamais se séparer. Il doit donc créer une éthique planétaire pour assurer l’avenir de l’homme.

En 10 000 ans, la population mondiale est passée de quelques millions à sept milliards d’individus. Les mutations sont-elles « indexées » sur la progression de la démographie mondiale ? Cela veut-il dire que l’espèce humaine évolue toujours plus vite, et toujours mieux ?

La croissance démographique est en grande partie liée aux soins médicaux. Nos ancêtres, jusqu’à nos grands-parents avaient plus d’enfants qu’aujourd’hui, car maintenant nous nous contrôlons mieux. D’autre part, l’instruction enraye l’explosion de la démographie. Ce n’est donc pas lié à la génétique, mais à la culture et à la médecine. L’évolution n’a pas ralenti, elle s’accélère même, mais sur le plan culturel.

Charles Darwin, dans La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe (1871), émet l’hypothèse selon laquelle les tendances altruistes propres à l’espèce humaine auraient modifié la trajectoire logique de son évolution, en donnant la possibilité aux individus plus faibles de se reproduire. Cette hypothèse de l'appauvrissement du patrimoine génétique est-elle toujours recevable ? Darwin fait-il encore autorité ?

Charles Darwin a mis en évidence la sélection naturelle et expliqué l’évolution. Cette dernière n’est pas une théorie mais un fait d’observation. Son explication par la sélection naturelle est très rationnelle : les individus mal adaptés ne peuvent pas se reproduire, contrairement aux autres. Et n’oublions pas que l’évolution se fait sur la culture : on sait que depuis une époque très ancienne, l’altruisme se développe chez les hommes.

Les premiers habitants de l’Europe, il y a 1,5 millions d’années, s’entre-aidaient déjà. On a découvert la mâchoire sans dents d’un individu très âgé, qui n’aurait pas pu survivre sans ses congénères. Il est évident que l’altruisme a apporté un changement dans la courbe de l’évolution, l’a infléchie, car les individus ne pouvant pas se reproduire à la base, le peuvent maintenant. Ce qui rejoint ce que je disais précédemment : l’évolution culturelle a pris le pas sur l’évolution morphologique « normale ».


Propos recueillis par Gilles Boutin

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