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Emmanuel Macron lors d'une visioconférence à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une visioconférence à l'Elysée.
©Sebastien NOGIER / POOL / AFP

Ve République

Les choix du président de la République sur le conflit entre Israël et le Hamas, sa non participation à la marche contre l'antisémitisme et ses critiques envers l'opposition ont suscité l'incompréhension au sein de la classe politique et auprès des Français.

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Atlantico : Doutes, grogne et colère se font grandissants à l’étranger et au sein de l'appareil d'État. Le Président Macron semble soit faire preuve de trop de fermeté comme en Afrique soit de zigzaguer comme en Ukraine ou depuis le 7 octobre en Israël et à Gaza. Qu’est-ce que cela révèle sur sa façon de gouverner et en matière de politique étrangère ? 

Stéphane Rozès : Il s’inscrit dans la tradition française. Notre imaginaire est projectif et universaliste. La France a besoin d’embrasser le monde disait Malraux. C’est que pour nous faire tenir ensemble depuis les celtes, les latins et les germains, nous devons nous projeter dans l’espace et le temps pour construire notre destin au travers de disputes communes qui dénaturalisent nos origines, religions, statuts et classes sociales.

Cette posture française universaliste, qui nous rapproche et nous met en concurrence avec les Américains, nous surexpose dans un moment où se forme une coalition occidentale, le « Sud global », qui regroupe des civilisations différentes mais cimentées par le ressentiment à l’égard d’une globalisation néolibérale initiée par l’Occident et qui prive civilisations et peuples de la maitrise de leurs destins. Ils se replient alors que nous continuons à embrasser un monde qui dorénavant se dérobe. Les Américains peuvent eux se replier sur leur continent de nouvelle Terre promise selon leurs intérêts.

La France, enclavée dans l’Union européenne et l’OTAN, n’a plus les outils objectifs de sa posture d’indépendance et ses habitudes de penser stratégiquement.

Ainsi le Président Macron n’a pas réellement de vue d’ensemble en matière internationale. Ainsi lors de ses conférences devant les ambassadeurs il fait des discours fleuves et précis mais dont on peine à retenir la ligne harmonique et la cohérence. Cette absence de stratégie l’amène, même quand il a de bonnes intuitions, à intervenir à contretemps ou à contre-emploi, ou à osciller comme lors de la guerre en Russie ou à propos de la guerre entre Israël et le Hamas depuis le 7 octobre.

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Le Président Macron revendique le fait que la France soit une « grande puissance », mais la puissance des gouvernants des démocraties libérales, régimes autoritaires ou dictature dépend déjà de la qualité du lien avec leurs peuples. Ce lien est dégradé chez nous.

Très confiant dans sa bonne étoile, le Président Macron se déploie au plan international sans ancrage avec la nation dans une cohérence à l’international difficile à repérer par les Français et les chancelleries étrangères. Ainsi depuis l’attaque des terroristes islamistes du Hamas, il a donné carte blanche au gouvernement israélien pour riposter et quand les bombardements de Gaza suscitent l’émotion des opinions publiques, il parle à la BBC d'« Israël qui tue des bébés et des civils » et appelle au cessez-le-feu, plutôt qu’à une trêve humanitaire, alors que les otages ne sont pas libérés.    

Y a-t-il eu d'autres moments pendant son mandat où Emmanuel Macron a été aussi flou ?

Il aura a été flou et inconstant à de nombreuses reprises. D’abord dans la relation à l’Allemagne. Sitôt élu, il apporta ses lettres de créances à la chancelière Merkel, croyant la faire bouger en matière européenne en lui donnant des gages économiques de rigueur. Quand à Aix-la-Chapelle, en avril 2018, la chancelière refuse de bouger les lignes en Europe ; plutôt que de politiser et publiciser le désaccord avec Berlin, Emmanuel Macron rompt son contrat initial avec les Français de remettre « en marche » le pays. Il reprend la politique et la posture de ses prédécesseurs. Pire, il met l’aventurier Benalla entre lui et les Français. Ce retournement suscitera en réaction la jacquerie des Gilets jaunes soutenue par les deux tiers des Français. Plutôt que de les recevoir tout de suite à l’Élysée pour désamorcer la crise qui se profilait, il s’entête en mettant son Premier ministre en première ligne. La fracture avec le pays s’amplifiera jusqu’à devoir céder en lâchant 15 milliards et surtout se remettre symboliquement au milieu des Français au travers des cahiers de doléances et du Grand débat. 

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Son adresse aux catholiques au Collège des Bernardins était celui d’un intellectuel ricoeurien et non d’un Président de la République. Il confondait laïcité, dont il était le garant, et œcuménisme. Il assignait une mission de nature politique aux catholiques. 

Il a dit qu’il n’y avait pas de culture française tout en y référant dans ses nombreux discours mémoriels.

Il a entretenu les repentances et concurrences mémorielles pour apaiser les relations avec l’Algérie pour s’en détourner ensuite. 

Sa non-campagne aux législatives restera un cas d’école. 

Le remplacement à l’Éducation nationale du républicain Blanquer par le communautariste et wokiste Pap Ndiaye, pour un retour à la tradition républicaine avec Attal a dénoté une certaine désinvolture à l’égard de l’École et des fondamentaux de la nation. 

Enfin sans doute le pire fut (car cela touche à la symbolique nationale et aux principes de la République) son absence à la Marche parisienne contre l’antisémitisme et surtout ses justifications et leurs effets politiques.    

Comment comprendre cette absence à la Marche contre l’antisémitisme et quels en seront les effets ?

Rappelons que près des trois quarts des Français étaient favorables à ces Marches. Les deux tiers les trouvaient justifiées même lorsqu’on leur précisait la présence du Rassemblement national. Les deux tiers de l’opinion condamnaient l’attitude de Mélenchon dont la moitié de l’électorat LFI. Sur cette question de principe, qui est celle de la clarté à l’égard de l’antisémitisme et de la condamnation du terrorisme islamiste là-bas et ici, la NUPES a éclaté et LFI est rentrée en crise. 

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Dans le climat d’inquiétude des Français de voir le conflit israélo-palestinien importé en France (ce qui explique le renvoi dos à dos traditionnel entre Israël et les Palestiniens), de fracture de la classe politique, de dissonance représentée par  l’absence du Président Macron ; l’ampleur des Marches, leur calme, l’absence de références à la guerre entre Israël et au Hamas, du terrorisme islamiste ou à l’Islam montre qu’ au-delà des données d’opinion, les fondamentaux du pays demeurent  républicains.

Le Président a rappelé son soutien aux Marches et sa constance dans la lutte contre l’antisémitisme. Ce qui a surpris, déconcerté, inquiété, voire scandalisé, ce sont les justifications et termes utilisés par le Président pour expliquer son absence. 

Emmanuel Macron a utilisé le terme de « communautés ». Mais elles n’existent pas en République. Seuls les individus et citoyens existent. Seule existe la communauté nationale. Il a laissé entendre que sa présence à la Marche n’aurait pas permis de « continuer à préserver l’unité de notre pays », cela aurait signifié « renvoyer dos à dos les uns et les autres ». Il a fait référence au fait de vouloir « protéger les Français de confession juive qui ne serait pas mettre au pilori ceux de confession musulmane, ce que j’ai trop entendu ». 

Tout cela révèle de graves et dangereuses confusions. Si les Français ont tant soutenu ces Marches, ce n’est pas pour faire plaisir aux uns ou déplaisir aux autres, à des communautés ou à des religions. C’est qu’en France, aujourd’hui, des citoyens et enfants sont assassinés pour leur religion, en l’occurrence, des juifs parce que juifs. C’est qu’en France, des pratiquants, en l’occurrence des juifs, doivent pour leur sauvegarde quitter des quartiers ou ne pas porter de kippas, parce que le nombre d’actes anti-religieux en France contre eux s’élève à 1762, dont 1518 actes depuis le 7 octobre, très loin devant les 504 faits antichrétiens et 131 antimusulmans.

Emmanuel Macron ne défend pas « l’intérêt général », en surplomb des Français, et de leurs regroupements, intérêts, visions, religions, origines :  il défend « l’intérêt de tous ». Il n’incarne pas les Français au-dessus de la mêlée pour les tenir ensemble. Il veille à être entre eux pour garantir un traitement égal aux uns et « en même temps » aux autres car tel est son tempérament. Il représente les diversités et défend le en même temps. Il n’est alors pas le sujet de la nation mais l’objet des rapports de force dans le pays au plus grand plaisir des communautaristes, entrepreneurs identitaires, ingénieurs du chaos et séparatistes. Son absence à la Marche fut immédiatement saluée par Mélenchon. Les justifications décalées du Président confortent la thèse selon laquelle il aurait été sensible aux arguments du sulfureux et islamo-gauchiste Belattar auprès de ses conseillers selon lesquels sa présence aurait embrasé les banlieues ce qui est une fable méprisante à l’égard de ces dernières. Le pays réclame dans ses profondeurs une autorité juste. 

Mais d’ici la présidentielle, Emmanuel Macron donne du grain à moudre aux islamistes et islamo-gauchistes qui, sous l’emprise de la peur, comptent bien progresser dans les quartiers et dans leur travail d’influence au sein des institutions pour changer notre modèle républicain et laïc. 

Pourquoi le président est-il incapable de soigner les fractures françaises ?

Les raisons structurelles datent d’une trentaine d’années, depuis le traité de Maastricht. Notre dépression morale, notre affaissement économique, social et notre décomposition politique viennent de ce que l’État, enclavé depuis 30 ans dans les gouvernances néolibérales de l’Union européenne conformes à l’imaginaire ordo-libéral et aux intérêts allemands, mène une politique contraire à l’imaginaire de la nation française et à ses intérêts. Le contournement de la souveraineté nationale dissout la souveraineté populaire, épuise la République et fracture la Société.

Nous ne tenons plus ensemble par la construction politique d’un avenir commun.

Les raisons conjoncturelles tiennent au type de Présidence Macron évoquée brièvement. L’analyse profonde de ce qui advient est précisée dans mon essai.  

Quelle empreinte va-t-il laisser dans l’histoire de la Ve République, au regard des autres Présidents ? 

La présidentielle est loin encore mais ce qui vient de se passer rend la situation encore plus instable et dangereuse d’ici là. La nation, après le choc extérieur qu’a représenté la nouvelle situation issue du 7 octobre, aurait pu ressortir, comme par le passé, ressoudée. Pour la première fois, du fait du sommet de l’État et d’une partie de la classe politique, le pays n’a pas été tenu par le bras, par la nation. 

Ce sera mis au débit d’Emmanuel Macron, en passe de devenir le pire Président de la Ve République en ce que ses deux quinquennats auront rapproché Marine Le Pen et le RN du pouvoir. Il avait fait de cette question le critère pour évaluer son action. Il est en train de perdre la compréhension et l’indexation de l’imaginaire français.   

Stéphane Rozès, Président de Cap, enseignant à Sciences-po Paris, auteur de « Chaos, essai sur les imaginaires des peuples. Entretiens avec A. Benedetti. Ed. du Cerf »

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