Scandale de la NSA : y a-t-il un pilote dans l’avion France pour se soucier du sort de ses citoyens face aux abus des services de renseignement américains ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les données rassemblées par les Etats-Unis sont régies par le droit américain, ce qui ne permet pas à la France de s’opposer à ce que la NSA, grâce à Facebook ou Google, ait accès à ces comptes aux Etats-Unis.
Les données rassemblées par les Etats-Unis sont régies par le droit américain, ce qui ne permet pas à la France de s’opposer à ce que la NSA, grâce à Facebook ou Google, ait accès à ces comptes aux Etats-Unis.
©Reuters

Big brother is watching you

Suite aux révélations sur le traitement par la NSA des données des ressortissants étrangers hors du territoire américain, des questions émergent sur la capacité des États à protéger leurs citoyens.

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Atlantico : Suite aux révélations du traitement par la NSA des données des ressortissants étrangers, hors USA, le gouvernement français compte-t-il et peut-il faire quelque chose pour protéger ses citoyens ?

Etienne Drouard : L’Etat ne peut rien faire. Ces données rassemblées par les Etats-Unis sont régies par le droit américain, ce qui ne permet pas à la France de s’opposer à ce que la NSA, grâce à Facebook ou Google, ait accès à ces comptes aux Etats-Unis. Si en tant qu’Etat on ne peut rien faire, on peut tout de même s’assurer que Google ou Facebook ont bien expliqué aux autorités françaises qu’elles transféraient les données de leurs utilisateurs français à leurs sièges américains. Une telle chose peut éventuellement être bloquée lorsque les finalités qui ont été indiquées pour ce transfert ne seraient pas commerciales mais à destination des autorités américaines. Si elles n’ont pas pensé à le déclarer à la CNIL, alors le blocage de la transmission des données à la NSA peut être ordonné. Cela nécessiterait de demander à la CNIL si le transfert des données à la NSA a été figé dans les demandes d’autorisation faites par ces sociétés auprès de la CNIL. C’est la seule possibilité tant qu’une convention franco-américaine n’aura pas été signée sur l’usage des données par la NSA. Dans ce cas, la première chose que ferait l’Etat français serait de demander une copie de ces données sur ses ressortissants, car il désire en fait faire la même chose.

L’Etat français peut-il légalement faire la même chose que les Etats-Unis ?

Légalement oui, mais pas avec des sociétés américaines, car la France ne peut concrètement rien demander à Google. Le vrai sujet est là : quand l’Etat français veut obtenir des données d’identification auprès de sociétés américaines, ces dernières rétorquent qu’elles n’en ont pas le droit au motif que la vie privée doit être respectée aux Etats-Unis. Grâce à ces sociétés américaines, l’Etat américain peut accéder aux comptes utilisateurs de 40% des internautes du monde entier.

Y-a-t-il un pilote dans l’avion français pour se soucier du sort de la confidentialité des données de ses ressortissants ?

Non, il n’y en a pas. Pour l’instant, les États non américains n’ont pas formulé de revendication officielle pour accéder à l’information collectée par la NSA ou pour demander à ce que cette dernière ne l’utilise pas. La première demande serait crédible (demander à partager l’information pour ses propres ressortissants) ; la deuxième ne sera jamais satisfaite. Ce n’est même pas la peine d’essayer, car il s’agit de droit purement américain. C’est d’ailleurs pour cela que la Chine a développé son propre Google. Des États aussi importants que le Brésil, le Japon ou ceux d’Europe ne font pas le nécessaire car les opinions publiques ne s’en sont pas émues. Cette information désormais publique nous démontre l’impuissance de nos États, qui jusqu’à présent se sont gardés de la clamer sur les toits.

Le fait de bénéficier de cet accès aux comptes d’étrangers participe-t-il d’une paranoïa spécifiquement américaine ?

Tout cela procède du "Patriot Act", qui a été adopté en novembre 2001 suite au 11 septembre, puis renforcé par l’administration Bush en 2005, et que Barack Obama s’était engagé à supprimer ou au moins à réduire dans sa portée. Il ressort de cette révélation que depuis le Patriot Act, il n’est plus besoin de procéder à une réquisition judiciaire spécifique pour accéder aux données des utilisateurs. L’accès par la NSA est direct et permanent, sans que celle-ci ait à justifier d’une procédure particulière.

Ces sociétés américaines ont tout de même remis en question le fait que l’on puisse, dans une démocratie comme les États-Unis, bénéficier d’un tel accès, arguant du risque que cela pourrait représenter pour leurs systèmes d’information. Ce à quoi la NSA a répondu qu’elle acceptait de ne pas avoir directement accès aux canaux, mais que ce seraient ces sociétés qui, régulièrement, lui enverraient des informations. L’Etat a essayé de faire plier une société, qui a refusé. Étonnamment, son patron s’est retrouvé sept ans en prison ans pour délit d’initié. Les autres, dont Microsoft et Google, ont accepté de signer cette convention.

Il ne reste donc à l’Etat français que la possibilité d'émettre des déclarations pour signifier sa désapprobation, et qui resteraient sans effet ?

La revendication se ferait donc sur le terrain politique et géopolitique. Derrière, on trouve l’enjeu sécuritaire tel qu'il est perçu par les Américains en matière de prévention du terrorisme : l’accès à un avion peut par exemple vous être refusé simplement parce que vous êtes dans le collimateur de la NSA, pour quelque raison que ce soit (prise de position sur le mariage gay par exemple). Mais se cache aussi un usage économique. Ces données sont analysées en ce sens ; les sociétés qui alimentent la NSA servent aussi un objectif de connaissance des activités, des contrats, des opinions, etc. Ces moyens étant réservés aux Etats-Unis, la France ne peut pas le faire.

Il faut savoir que la France a cherché à reproduire la Patriot Act via le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (OPSI) de 2005 et 2010. Dans une annexe, était évoquée la possibilité pour la Police judiciaire d’avoir un accès direct et permanent aux données de connexion des fournisseurs d’accès internet et des opérateurs de téléphone. Il ne s’agissait que d’un souhait pour l’avenir, qui n’est pas allé plus loin. Le régime, pour le moment, est le suivant : sur réquisition judiciaire ou sur demande auprès d’un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, on peut se livrer aux mêmes inquisitions, mais sur des questions motivées et ponctuelles. La différence avec la NSA se situe dans l’échelle.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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