Fessenheim : combien coûte réellement la fermeture d'une centrale nucléaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La centrale nucléaire de Fessenheim.
La centrale nucléaire de Fessenheim.
©Reuters

On ferme !

François Hollande souhaite que la centrale nucléaire de Fessenheim soit fermée d'ici 2016. Selon EDF, la facture devrait s'élever à 5 ou 8 milliards d'euros.

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

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Atlantico : François Hollande a demandé à ce que la centrale nucléaire de Fessenheim soit fermée d'ici 2016. Selon EDF, la facture devrait s'élever à 5 ou 8 milliards d'euros. Quel serait le coût de l’arrêt de cette centrale en 2016 ?

Henri Prévot : Pour répondre à cette question il est d’abord indispensable de préciser clairement ce que l’on entend par un « coût » - faute de quoi, on pourra dire tout et son contraire.

Le coût d’une décision est la différence entre ce que l’on dépense, ayant pris la décision et ce que l’on aurait dépensé si on ne l’avait pas prise, ou si l’on avait pris une autre décision. Parler d’un coût sans préciser les deux termes de la différence ne veut donc pas dire grand-chose. D’autre part il faut préciser qui est « on ». Le coût n’est pas le même selon le point de vue où l’on se place.

Si l’on suppose que, de toute façon, la centrale de Fessenheim ne pourrait pas fonctionner au-delà de 2018 par exemple, parce que c’est la plus âgée ou pour une autre raison, l’arrêter en 2017 ne « coûterait » pas grand-chose. Mais l’âge d’un réacteur n’est pas un bon critère puisqu’il est possible d’en remplacer à peu près tous les composants. Les deux réacteurs de Fessenheim ont été remis à neuf ces deux dernières années de sorte qu’ils sont parmi les plus jeunes du parc nucléaire français, sauf la cuve dans laquelle se trouve le cœur du réacteur. Ils sont du même modèle que d’autres aux Etats-Unis (comme à Beaver Valley) qui ont reçu une autorisation d’exploitation pour soixante ans. Il n’est donc pas absurde de penser que, sous réserve du résultat des visites de contrôle décennales bien sûr, ils pourraient fonctionner encore longtemps. Le coût d’un arrêt en 2016 doit donc s’évaluer en comparaison avec une hypothèse où ces réacteurs fonctionneraient encore dix ans, ou vingt ans, ou davantage encore.

EDF estime que la centrale peut encore fonctionner pendant 20 ans, et que sa fermeture anticipée entraînerait 200 millions de pertes par an. Quel serait donc le coût pour EDF ?

EDF est maintenant une société anonyme dont le devoir est de maximiser le revenu de ses actionnaires. Désolé de le rappeler, mais c’est la loi : il suffirait que les actionnaires privés aient 1 % des actions pour que l’Etat, actionnaire majoritaire, doive respecter leurs intérêts. Or non seulement les actionnaires privés d’EDF ont plus de 20% du capital, mais encore les réacteurs de Fessenheim sont possédés à plus de 30 % par une société allemande et des sociétés suisses.

En simplifiant, disons que le coût de production de l’électricité nucléaire, avec les réacteurs en fonctionnement aujourd’hui, est formé à hauteur de 10 €/MWh (euros par mégawatt.heure) par le combustible (y compris le traitement des déchets), de 10 €/MWh par les dépenses de fonctionnement des centrales et de 20 à 30 €/MWh par des dépenses (investissements et frais généraux) qui ne seront pas diminuées par l’arrêt de la centrale. Et le prix de vente est de l’ordre de 50 €/MWh.

Si la centrale s’arrête, c’est donc 50 €/MWh de moins de recettes et seulement 20 €/MWh de moins de dépenses, soit un « coût » pour l’entreprise de 30 €/MWh. Comme la centrale produit entre 12 et 14 millions de MWh par an, le coût pour le producteur serait de près de 400 millions d’euros par an – 4 milliards en dix ans, 8 milliards en vingt ans.

Voilà donc le coût pour l’actionnaire.

Et quel serait le coût pour le budget de l’Etat ?

Les actionnaires autres que l’Etat voudront que celui-ci, qui est responsable de l’arrêt prématuré de la centrale, compense leur manque à gagner. Si l’Etat refusait, les actionnaires intenteraient une action devant les instances internationales et gagneraient assurément. En supposant qu’il y ait une chance sur deux que les réacteurs puissent fonctionner encore 20 ans, les actionnaires possédant 30% du capital demanderont 1,8 milliards de dédommagement – alors que les caisses de l’Etat sont vides.

Les actionnaires minoritaires d’EDF feront la même demande, et ils auront raison de la faire.

Que peut-on dire du coût pour la nation ?

Il est en effet beaucoup plus intéressant d’évaluer, même à grands traits, combien cela coûterait à la France.

Pour justifier ou rendre acceptable l’arrêt de ces deux réacteurs, on nous dit qu’il ne nous coûtera rien car, à Tricastin, la nouvelle technique d’enrichissement de l’uranium par centrifugation, remplaçant la technique par diffusion, libérera une capacité de production d’électricité équivalente ; on ajoute qu’il suffit d’abaisser la température de nos logements pour consommer moins d’électricité. Disons le crûment : ces réponses sont sottes car se chauffer plus ou moins avec de l’électricité ou consommer moins d’électricité pour enrichir l’uranium sont des décisions indépendantes de celle d’arrêter ou non les réacteurs de Fessenheim.

Pour évaluer le coût de l’arrêt de ces réacteurs, il nous faut supposer que leur production est remplacée par une autre forme de production d’électricité ou par des décisions de consommer moins d’électricitésans diminution du confort des usagers. Il est possible de diminuer la consommation d’électricité à confort égal, en s’équipant de pompes à chaleur ou en isolant davantage les bâtiments, ce qui oblige à dépenser davantage. L’électricité éolienne ou photovoltaïque coûte plus cher que l’électricité nucléaire. Si celle-ci est remplacée par une électricité produite à partir de gaz ou de charbon, on tiendra compte d’un coût du CO2. On l’oublie ces temps-ci, mais il est très probable que l’évolution du climat nous mettra dans l’obligation un jour ou l’autre, de beaucoup diminuer nos émissions de CO2, ce qui ira forcément avec une forte hausse du prix du gaz et du charbon. On calcule alors que, pour la France, le coût de l’arrêt des réacteurs de Fessenheim serait de l’ordre d’un milliard d’euros par année de fonctionnement perdue soit, au total, entre dix et vingt milliards d’euros.

De toute façon, il faudra un jour ou l’autre démanteler les réacteurs. Sait-on faire ? Combien cela coûtera-t-il ? Et à quel rythme les réacteurs seront-ils démantelés ?

L’expérience française et étrangère montre que l’on sait faire. Aux Etats-Unis, sept réacteurs ont déjà été démantelés dont deux de forte puissance du même type que ceux qui sont en fonctionnement en France. Par exemple, celui de Main Yankee a été démantelé en 8 ans, de 1997 à 2005, jusqu’à assainissement complet du terrain. En Angleterre, avant de commencer à démanteler les réacteurs, il a été décidé d’attendre plus de cinquante ans après la fin de l’exploitation mais, en France, ce n’est pas l’option qui a été retenue. Le démantèlement d’un des réacteurs de Chooz, arrêté en octobre 1991, a commencé en 2007 et devrait être terminé en 2016. Quant au coût du démantèlement, il a été évalué « à la louche » par l’Etat à 15 % du montant de l’investissement. L’expérience montre que ce sera peut-être plus cher mais très probablement moins de 30 % du coût de l’investissement. Même alors, cela se traduirait par moins de 3 euros par MWh produit, c'est-à-dire fort peu comme l’a noté la Cour des comptes dans le rapport approfondi qu’elle a publié l’an dernier sur le coût de la production d’électricité nucléaire.

Le rythme de démantèlement des réacteurs nucléaires en France devrait être dicté d’abord par l’état physique des réacteurs en fonctionnement et par les possibilités industrielles de construction de nouveaux réacteurs. Tous les réacteurs ne seront donc pas arrêtés au même âge.

Ce sont ces considérations techniques, économiques et industrielles qui devraient guider les décisions d’arrêter les réacteurs nucléaires, et non pas un marchandage entre partis politiques ou la volonté simpliste de montrer que le politique sait se montrer indépendant des experts. Le respect des travailleurs commande que soit respecté leur outil de travail aussi longtemps qu’il est compétitif et en bon état de fonctionnement. L’intérêt de notre pays, son indépendance énergétique, l’attention portée aux pays qui souffriront plus que nous des effets du réchauffement climatique commandent que nous tirions parti autant qu’il est possible d’un des rares atouts dont nous disposons dans la compétition mondiale.

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