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Atlantico puni pour avoir republié la photo de Léa Seydoux en Une de "Lui" : Facebook cherche-t-il à nous convertir à la pruderie hypocrite à l’américaine ?
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Pour qui se prennent-ils ?

Suite à la publication de la couverture du nouveau magazine "Lui" présentant l'actrice Léa Seydoux nue, le compte Facebook d'Atlantico a été temporairement bloqué à l'initiative du réseau social. Derrière la volonté affichée de préserver la liberté d'expression, des outils inadaptés de filtrage automatique des contenus à caractère pornographique entraînent parfois des censures inattendues, comme celle fut un temps de "l'origine du monde" de Gustave Courbet, qui semblent calquées sur la pruderie américaine plutôt que la réalité du marché européen.

Atlantico : Le compte Facebook d’Atlantico a été temporairement bloqué par le réseau social à cause de la publication de la couverture du magazine « Lui » montrant l’actrice Léa Seydoux nue. Sur quelle base Facebook se fonde-t-il pour justifier ce type de blocage ? Peut-on parler de censure ?

Maxime Pinard : La société américaine Facebook accorde une grande importance à tout contenu relatif à la nudité, et à des degrés beaucoup plus élevés à tout contenu visuel à caractère sexuel (érotisme, pornographie). C’est indiqué dans le contrat d’utilisation accepté par le nouvel utilisateur lors de toute inscription au réseau social. L’objectif de Facebook est simple : garantir aux parents un service fiable, utilisable par leurs enfants sans crainte, même si des dérives dans le contrôle peuvent exister. En effet, le contrôle effectué manque cruellement de finesse et d’intelligence parfois, en raison notamment d’une insuffisance de la mise en contexte du document incriminé : la photographie de la Une du magazine « Lui » n’a rien de choquant car il s’agit de présenter l’originalité de la couverture. En revanche, la mise en ligne de la photographie d’une actrice nue sortie de son contexte (fichier brut par exemple) peut justifier une mise en garde, au lieu d’une censure. Ce n’est pas la première fois que Facebook agit de la sorte, quitte à se ridiculiser. On se souvient de la censure de l’œuvre « l’origine du monde » de Courbet ou encore plus récemment de différents portraits mis en ligne par le musée du Jeu de Paume. A chaque fois, les modérateurs de Facebook appliquent une logique simpliste : la vue de seins, d’un sexe, de toute image à caractère érotique est supprimée et ce peu importe s’il s’agit d’œuvres d’art fameuses. Il s’agit donc au final d’une modération excessive qui aura tendance à moyen terme à ternir l’image de Facebook qui se veut « cool » et « ouvert ».

Retrouvez notre article sur la précédente suspension de la page Atlantico par Facebook qui avait jugé pornographique "L'Origine du Monde" de Gustave Courbet.

La couverture du magazine « Lui » montrant l’actrice Léa Seydoux nue

Etienne Drouard : La seule base réside dans le contrat signé avec Facebook, c’est-à-dire les conditions d’utilisation et les documents qui s’y rattachent, et notamment la privacy policy. Un mail a été diffusé aux abonnés de Facebook le samedi 31 août, expliquant en quoi la privacy policy et les règles de gouvernance peuvent avoir changé. La loi qui peut arbitrer un comportement de filtrage de Facebook réside donc dans le contrat.

On peut parler d’une censure acceptée, puisque le contrat a été signé. Dans ce qui régit la gouvernance du site Facebook, il est indiqué que les critères retenus pour justifier de la fermeture temporaire ou définitive d’un compte, ou de la suspension d’un contenu, sont du type pédopornographie ou atteinte à la liberté d’expression, sans qu’on sache si cette dernière est californienne ou française. On ne relève pas d’interdiction de proposer des médicaments ou des armes ; on peut penser qu’en l’occurrence cela fait partie d’une étude au cas par cas. Cela se voit dans les manières de filtrer, qui sont soit automatiques, soit manuelles. Ne peuvent rentrer dans des suspensions définitives que des choses qui ont fait l’objet d’un filtrage manuel. En revanche, peuvent faire l’objet d’une suspension temporaire des filtrages manuels sur initiative de Facebook, généralement suite à un signalement de la part d’un utilisateur, ou à une initiative propre à Facebook consécutive à la publication d’une information visible par tout le monde. Et enfin, il y a le filtrage totalement automatique, qui repose sur des critères de texte ou de contenu multimédia. C'est ainsi que la reconnaissance photographique permet de présumer du caractère "nu" de certaines images, compte tenu de la surface de peau visible.

Par ailleurs, certains prestataires fournissent des listes de sites interdits, pour pouvoir suspendre les contenus comportant un lien hypertextuel. Ce système aboutit à la suspension de contenus créant des liens vers des sites filtrés. Ces prestataires obéissent à des échelles d’appréciation orientées selon des critères juridiques et moraux américains. Facebook assume le recours à ces prestataires externes pour assurer le respect du contrat.

Facebook France : Des standards de communauté ont été mis en place sur Facebook. Il s'agit d'un ensemble de règles qui déterminent dans quels cas les utilisateurs peuvent poster des éléments sur le réseau ou non. Des règles communes ont été établies pour que les utilisateurs aient la meilleure expérience possible, en essayant de respecter les sensibilités de chacun. Le curseur entre la protection des utilisateurs et la liberté d’expression est assez difficile à placer. La nudité est l'un des critères cités dans les conditions d'utilisation, qu'il s'agisse d'une page d'entreprise, d'un support média ou d'un individu. Des exceptions ont été faites pour les œuvres d'art, suite, notamment, au blocage de « l'origine du monde » de Gustave Courbet.

L'utilisateur est bien évidemment informé de cette décision de blocage du compte, il a la possibilité de faire appel, car chaque situation est différente. Nos équipes se saisissent du cas, et si reconnaissance d'une erreur de leur part il y a, le contenu est remis en ligne. On ne peut pas parler de censure, mais de conditions d'utilisation qui sont à la disposition de tous, visant à respecter les sensibilités de chacun, et dans le cas présent à protéger les mineurs d'images dénudées.

Comment expliquer néanmoins que le compte d'Atlantico ait été bloqué pour une image anodine en moins de 36 heures et sans la moindre notification ? Certaines images violentes ne sont, quant à elles, jamais retirées. Existe-t-il une hiérarchie, voire une hypocrisie de la limitation des contenus ?

Maxime Pinard : Le problème est plus complexe : de par le nombre d’utilisateurs actifs et de photographies et de vidéos mis en ligne quotidiennement, il est impossible de tout contrôler à un instant T. Facebook fait d’ailleurs appel à ses membres pour signaler des contenus qu’ils jugent suspects, avec le risque de dérives faciles (dénoncer des contenus sans raison, simplement par plaisir). Il y a donc un laps de temps, allant de quelques heures à quelques jours, où du contenu censurable est accessible. Le système est imparfait et ne pourra jamais tout contrôler en temps réel, à moins d’un contrôle avant publication, ce qui serait une tâche titanesque.

Au-delà de cette dimension technique, il y a il est vrai un comportement assez étrange de la part des modérateurs chez Facebook qui vont s’empresser de flouter les seins des Femen mais laisser accessible à tous des vidéos insoutenables (meurtres en direct par exemple, démonstration d’armes, etc…). Rappelons qu’aux Etats-Unis, la loi est beaucoup moins rigide qu’en France pour ce qui est de la liberté d’expression, ce qui permet de lire sur Facebook des contenus qui pourraient être interdits sur un site hébergé en France. D’ailleurs, Facebook, avec plus ou moins de succès, cherche à régler tous les cas de censure via la justice américaine, et plus précisément celle de Californie que l’on peut estimer plus disposée envers la société américaine.

Il y a clairement une dimension arbitraire dans le contrôle du contenu chez Facebook, voire contradictoire : un même type de contenu pourra être accepté ou censuré suivant qu’il vient d’un pays occidental ou arabe par exemple. Remarquons néanmoins que c’est un travail extrêmement compliqué auquel se livrent les modérateurs de Facebook qui doivent faire apparaître le réseau comme un espace libre d’échanges d’informations, mais tout en prenant garde à ne pas heurter la sensibilité de certains de leurs membres, que ce soit pour des raisons politiques ou religieuses. Le grand écart opéré conduit nécessairement à des erreurs, plus ou moins médiatisées.

Etienne Drouard : Cela est avant tout révélateur de la difficulté de qualifier des contenus automatiquement. Quand on parle d’armes ou de médicaments d’une manière qui est illégale selon le droit américain, encore faut-il disposer des outils permettant de le détecter. Soit on est jusqu’au-boutiste, en filtrant tout ce qui contient les mots « arme, munition ou pistolet », soit on est obligé d’être un peu plus fin dans l’analyse pour éviter d’être trop brutal. La propagation de la détection de contenu pornographique est plus facile que pour les armes : on n’a pas développé de système pour les repérer en photo et, encore une fois, le filtrage des mots serait trop brutal. On ne peut pas parler d’une volonté particulière qui soit plus forte dans un domaine que dans un autre. Ce qui est certain, c’est que l’écosystème du filtrage du porno est plus développé et a abouti à des outils de reconnaissance automatique plus réactifs.

Facebook France : Des vidéos présentant des scènes de violence, par exemple, contreviennent aux règles d'utilisation. Il faut tout de même avoir conscience que des millions de contenus sont postés chaque jour sur Facebook. Nos équipes ne peuvent se saisir proactivement de l'ensemble de ces contenus. Le principe de base est le signalement social : nous nous basons sur le fait que certaines personnes nous signaleront des contenus qu'ils jugent inadaptés. Après vérification décision est prise ou non de supprimer ledit contenu et, encore une fois, il est possible de faire appel.

Au même titre qu'un contenu à caractère pornographique sera supprimé, des propos à caractère raciste ou sexiste pourront faire l'objet d'un même traitement.

Pourquoi le réseau ne peut-il pas s’adapter aux différents marchés, en prenant en compte les spécificités américaines, européennes et autres ?

Maxime Pinard : Si l’on suit cette logique, cela signifie qu’à terme, nous aurions un Facebook américanisé, un Facebook francisé, un Facebook qatari, etc… Il y aurait donc une multitude de « Facebook nationaux » qui certes respecteraient les spécificités culturelles des pays mais qui créeraient également deux problèmes majeurs : Facebook, outil transnational, verrait ainsi sa nature remise en cause, et surtout, il est certain que l’activité cybernétique d’un utilisateur de Facebook dans un pays A pourrait ne pas être tolérée s’il échange des contenus avec un utilisateur de Facebook dans un pays B. De nouvelles barrières s’érigeraient entre les utilisateurs de Facebook et il est certain que le réseau social perdrait en peu de temps beaucoup de ses membres.

Il peut cependant, à une échelle beaucoup plus réduite, y avoir quelques ajustements. Cela s’est vu avec Google, Yahoo, qui ont par exemple cédé aux pressions chinoises et modifié les résultats de leurs moteurs de recherche. Mais est-ce une bonne chose ? Pas nécessairement lorsque cela revient en fin de compte à œuvrer main dans la main avec un pouvoir politique et ses règles en matière de liberté trop strictes.

L’équilibre est très compliqué pour ces entreprises internationales qui refusent de perdre leur identité mais qui doivent malgré tout faire quelques concessions pour pénétrer de nouveaux marchés.

Etienne Drouard : Facebook pourrait le faire s’il le voulait. Cependant il ne le fera pas, car il préfère être une société américaine présente mondialement plutôt qu’une société présente régionalement et nationalement, car il coûte beaucoup plus cher de s’adapter à un marché local. De plus, ce serait un contresens pour un réseau social qui prétend ne pas connaître de frontière. Tout dépend de la norme que l’on veut favoriser : soit celle du contrat, et donc une analyse américaine, soit celle d’un territoire qui veut qu’on se soumette à une analyse nationale. Par exemple, pour pénétrer le marché chinois il faut s’adapter à sa réglementation. Le marché européen étant régi par des démocraties, mieux vaut appliquer le contrat plutôt que de s'adapter à des législations nationales.

Facebook France : Les standards de la communauté fonctionnent de manière universelle pour l'ensemble du réseau Facebook. Les utilisateurs ne s'arrêtent pas aux frontières des pays, c'est pourquoi aucune distinction n'a été voulue entre les différents pays d'implantation. Nos équipes travaillent 24 heures sur 24, sept jours sur sept sur cette thématique. Nous voulons que Facebook reste un lieu de partage et que les utilisateurs puissent librement exprimer leurs points de vue et discuter entre eux, tout en les protégeant. Et à ce propos, les conditions d'utilisation sont très claires.

Facebook, en imposant ces conditions d’utilisation restrictives, tente-t-il de nous « américaniser » ? Pourquoi, à l’instar d’Apple ou de Google, se livre-t-il à ce type de censure ?

Maxime Pinard : Les trois entreprises citées font partie intégrante de la stratégie de Soft Power décidée et conduite par le Département d’Etat. Il doit donc y avoir une cohérence générale et une harmonisation des valeurs américaines véhiculées par ces grands groupes. On imagine mal Facebook afficher un patriotisme certain tout en laissant se propager sur son réseau des contenus menaçant les valeurs américaines. Ces dernières sont-elles si aisées à déterminer ? Pas vraiment, Facebook américanisant lui-même sa vision de la société, un peu comme Apple avec son système si strict de validation des applications.

Le phénomène d’« américanisation » n’est pas nouveau : déjà avec le cinéma et la force de frappe d’Hollywood, nous sommes bercés par cette vision américaine du monde. Il y a toujours la liberté de s’y opposer, mais cela suppose de renoncer à un cinéma très présent, à des outils technologiques utilisés par toujours plus de personnes et qui sont, il faut l’avouer, très efficaces de par les fonctions qu’ils proposent.

Etienne Drouard : Facebook ne cherche pas à nous américaniser. Il s’agit avant tout de la préservation de la responsabilité de ces sociétés au regard du droit américain, car c’est de ce dernier que leur siège social dépend. Elles doivent donc se prémunir contre d’éventuelles demandes de dommages et intérêts. Et puisque la démocratie européenne est la plus jolie du monde, en particulier en matière de liberté d’expression, qui est l’une des plus larges, ces sociétés se disent qu’en se basant sur les canons de la législation américaine, elles peuvent ainsi protéger la liberté d’expression dans le monde entier à un niveau assez élevé. La contradiction vient du fait que l’on mette des outils informatiques dénués de cerveau au service de cette politique, qui se veut porteuse de liberté. Mondialiser est une chose : le faire automatiquement coûte moins cher, malheureusement ce n’est pas pertinent. Ce même manque de pertinence est cependant couvert par le contrat.

On ne peut pas parler d’une volonté d’américanisation, pour la simple raison que dès que nous créons un compte, de fait, nous le sommes "américanisé". En effet, le contrat est signé avec une société qui est basée aux Etats-Unis. Nous ne sommes donc pas plus américanisés que lorsque nous achetons un café dans un Starbuck de Seattle.

Facebook France : Nous avons fait en sorte que les différentes interactions entre les utilisateurs se fassent dans le meilleur respect de chacun. Nous cherchons à apporter la meilleur expérience à chacun, et ce à quoi répondent les standards d'utilisation. Ces derniers ne répondent pas forcément point par point à une législation en particulier. Nous en sommes en contact régulier avec des régulateurs en Europe, pour nous assurer que les conditions d'utilisation sont conformes à la législation locale.

Le filtrage des contenus ne se fait pas sous un angle purement américain, l'idée étant que chacun puisse partager son point de vue tout en respectant et protégeant les autres utilisateurs. Les conditions d'utilisation peuvent évoluer, comme cela s'est vu avec les œuvres d'art. Facebook s'est également engagé à contrôle de manière plus intensive les propos de nature sexiste et violente à l'encontre de la communauté féminine. Compte tenu de ces contraintes, il est très compliqué de procéder à des distinctions pays par pays et de s'adapter à des cas particuliers propres à chaque continent. D'autre part, dans la plupart des cas de contrôle des propos écrits, celui-ci est effectué par une personne dont c'est la langue maternelle. La vérification est certes basée sur des standards, ce qui n'empêche pas qu'elle fasse l'objet d'une analyse.


Propos recueillis par Gilles Boutin

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