Le seul espoir pour l’Occident de rester puissant est-il... de créer l'Euramerique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Barack Obama et Angela Merkel se sont rencontrés fin juin à Berlin pour développer un partenariat privilégié.
Barack Obama et Angela Merkel se sont rencontrés fin juin à Berlin pour développer un partenariat privilégié.
©Reuters

L'union fait la force

Et si l'Europe et les Etats-Unis se rejoignaient pour donner naissance à l'Euramérique, pour faire face à l'Asie ? Premier épisode de notre dossier en deux parties.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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La problématique soulevée dans la tribune de Richard N. Rosecrance est essentielle (et, hélas, souvent occultée en France où le débat intellectuel pèche par nombrilisme), car elle est globale et donc impliquant l’ensemble des pays et des individus confrontés tous ensemble aux nouveaux défis de notre planète que nous partageons. Il s’agit là, au fond, d’une nouvelle physionomie du monde. Celui du XXIe siècle qui, sur le plan géostratégique, n’est sans doute pas encore né. Comme l’histoire géostratégique du XXe siècle n’a été véritablement portée sur les fonts baptismaux qu’en 1914, année du déclenchement de la Première Guerre mondiale, porteuse en germe d’affrontements idéologiques. Et aussi celle du XIXe siècle qui, après plusieurs faux-départs, a réellement débuté en novembre 1814, au Congrès de Vienne ayant intronisé le prototype de la realpolitik avec sa juxtaposition d’égoïsmes nationaux.

Vu sous cet angle, il faut toujours garder à l’esprit que le plus grand séisme géopolitique du siècle naissant est le fait qu’en ce début de nouveau millénaire, face aux nouveaux défis de la globalisation qui s’impose comme la quintessence du XXIe siècle, l’Occident (perçu grosso modo comme le tandem Europe-Etats-Unis) est en train de perdre son « Monopole de l’Histoire » (à savoir, la primauté de la modernisation de la société humaine, à l’échelle universelle) à la faveur de nouveaux pôles d’excellence (new global stakeholders), c'est-à-dire les pays en dehors de l’aire occidentale qui s’adaptent mieux au changement de monde que vit actuellement l’Humanité, qui portent désormais la croissance mondiale et tracent l’avenir de notre planète. Et ce, pour la première fois, depuis la Renaissance de la fin du XVe siècle.

Ce nouveau leadership global (exit les termes d’un autre âge comme « pays en voie de développement » ou encore « pays émergents ») – Chine, Inde, Brésil, Russie, Turquie, etc (cette liste, loin d’être exhaustive, évolue sans cesse) – devient ainsi le véritable Acteur du Changement au XXIe siècle, sa première force motrice, en reléguant l’Occident au rôle de spectateur de cette métamorphose géostratégique en cours, qui prend de l’ampleur tous les jours.

C’est dans ce contexte général qu'il faut interpréter la courageuse initiative d’Angela Merkel et de Barack Obama de créer un partenariat de type radicalement nouveau, à la hauteur des enjeux actuels, entre l’Europe et les Etats-Unis. Le contour de cette Euramérique new look – encore trop flou, à mes yeux  a commencé à se dessiner lors de la rencontre des deux leaders à Berlin en juin dernier. La tentative est louable ; elle est, de surcroît, dictée par l’urgence : l’Occident, dont l’exemplarité est remise en cause par la féerique montée en puissance de nouveaux challengers, doit se réinventer, sans tarder, pour être à nouveau performant et compétitif dans cette nouvelle « race to the top » du XXIe siècle.

Après tout, si l’Occident ne veut pas devenir un « loser » de la globalisation et sortir de l’Histoire par une petite porte dérobée, il n’a pas d’autre choix que de renaître sur ses fondamentaux – liberté individuelle, dignité humaine, démocratie, société civile, Loi, innovation, créativité, audace – en s’inspirant de l’exemple, réussi, de sa Renaissance sur ses bases de l’Antiquité grecque et romaine, à l’époque de l’invention de l’imprimerie et de la découverte de l’Amérique.

Bravo donc à Merkel et à Obama d’avoir l’idée de se projeter dans cette perspective, sous la forme d’une nouvelle union Europe – Etats-Unis qui repose sur le socle de valeurs communes ! De toute évidence, l’impact de ce projet dépasse largement les considérations purement économiques. Car bien au-delà du commerce et du tourisme relancé entre les deux continents, il s’agit, en l’occurrence, ni plus ni moins, d’une nouvelle Renaissance de l’Occident comme seule solution de son épanouissement dans les décennies à venir. Posons-nous la question simple : si la première Renaissance en Occident fut possible il y a cinq siècles, après une douloureuse traversée du Moyen Age, pourquoi son « remake » ne le serait-il pas à l’heure actuelle, à une période d’énormes progrès technologiques, déjà réalisés et encore à venir ?

Néanmoins, c’est justement la faisabilité de ce plan, grandiose et en principe indispensable, qui reste, à mon avis, sujette à caution. Et cela, pour trois raisons profondes, endogènes à l’état actuel de la civilisation occidentale.

D’abord, de quelle Europe parlons-nous aujourd’hui ? De celle qui n’existe que sur le papier et dans la tête des fonctionnaires de Bruxelles obsédés par la survie de leurs institutions, en retard d’une époque ? De cette Europe devenue un triste ovni de la globalisation, qui ne cesse d’imploser sous le poids de ses égoïsmes nationaux, de se suicider au ralenti, à des années-lumière de son inspiration géniale, optimiste et enthousiasmante, de Jean Monnet, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale ?  D’une hypothétique « Grande Europe de l’Atlantique à l’Oural », dont le spectre s’éloigne à mesure du raidissement autoritaire du régime de Poutine, ce qui rend absolument incompatible les ADN identitaires de la Russie et de l’UE dans un horizon prévisible ? Qu’y a-t-il en commun, en août 2013, entre le nord de l’Europe qui s’adapte aux réalités du nouveau monde et pilote, avec courage et lucidité, les réformes nécessaires, et son Sud qui fait l’autruche et s’enfonce dans le déni de réalité ? Comment peut-on parler sérieusement de l’Euramérique si les trajectoires des deux piliers naturels de l’Europe – la France et l’Allemagne – s’éloignent l’une de l’autre à une vitesse croissante : la première décroche faute de tout projet d’avenir cohérent ; la seconde accélère, portée par la dynamique de son réalisme ? Je comprends et je salue l’intention de Mme Merkel de bâtir une nouvelle alliance transatlantique sur la base des valeurs occidentales initiales en partage entre l’Europe et les Etats-Unis (parmi lesquelles l’innovation, l’audace et la soif de réussite au mérite occupent une place de choix), mais n’extrapole-t-elle pas l’exemple de son pays à l’ensemble de l’Union européenne, incapable, pour le moment, de dégager le moindre consensus sur une vision stratégique de son propre avenir ?

Ensuite, les plus belles déclarations au sommet politique relèvent de l’incantation dans un monde où l’économie, celle de marché reposant sur la loi de l’offre et de la demande, est déjà globale, alors que la politique, elle, reste nationale, et la démocratie demeure l’apanage des pays occidentaux, en perte de vitesse. Il appartient donc aux Occidentaux de réactualiser leur système politique qui, au lieu de se transformer en un obstacle au développement économique à cause de ses calculs électoralistes à très court terme qui le bloquent, doit être remis au service du bien-être de la société grâce à sa noble vision de l’Etre Humain à long terme. Hélas, le paysage politique dans les pays occidentaux manque de visionnaires courageux, charismatiques, animés des réelles convictions et valeurs humanistes. Quelle pénurie de l’offre politique en Occident ! Dans ces conditions, la tentative de répondre à la révolution copernicienne qui secoue actuellement le monde entier, en faisant pivoter son centre de gravité vers le Pacifique au détriment de l’Atlantique, par une simple déclaration de bonnes intentions, prononcée par le président américain et la chancelière allemande, les deux ayant les yeux rivés sur leurs mandats électifs, me semble aussi vaine que celle d’arrêter un tsunami avec une digue de fortune.

Enfin, l’Occident actuel, y compris les Etats-Unis, a perdu son esprit de pionnier qui fut à l’origine de son succès historique et de sa prospérité. Qui est aujourd’hui capable, dans l’ambiance anesthésiante des « acquis sociaux » et de l’Etat-Providence, de « repaver l’Occident », à l’instar de cet immigrant italien du XIXe siècle (dont l’histoire est racontée au musée d’Ellis Islande) qui, avant d’arriver à New York, pensait que les rues de cette ville étaient pavées d’or (American Dream oblige !), pour découvrir, en débarquant à Manhattan, qu’elles ne l’étaient pas du tout et que c’était à lui, et à lui seul, sans aucune aide extérieure, de les paver ? En fait, l’Occident avait créé son système social – qui varie selon les pays mais reste intrinsèquement le même partout, - ce fut une formidable avancée au moment des « Trente Glorieuses » avec son cortège de croissance et son horizon clair pour les générations futures. Or cette avancée est devenue, en temps actuel de crise, un frein à sa projection dans l’avenir, car elle a fini par générer une mentalité d’assistanat généralisé qui inhibe toute réforme radicale, inconcevable sans une prise de risque et une remise en cause permanente. Autant de conditions sine qua non pour la nouvelle renaissance de l’Occident, face à ses nouveaux concurrents qui n’ont rien à perdre et tout à gagner. Eux, ils étalent leur soif de travail, de réussite et de farouche ambition (« hungry for success ») ; eux, ils poussent les meilleurs vers le haut, à l’exemple des héros les plus endurants du tableau « Le Radeau de La Méduse » de Théodore Géricault qui se retrouvent, au moment fatidique, en haut de la pyramide humaine pour sauver du naufrage eux-mêmes et tous leurs compagnons d’infortune. Alors que le monde occidental, assoupi,  reste empêtré dans une sorte de couette qui protège la médiocrité et étouffe la brillance.

En conclusion, l’heure est actuellement à la refonte totale des alliances géostratégiques, au diapason des impératifs du XXIe siècle qui voit émerger un nouveau monde plat, interconnecté et multipolaire. Pour l’instant, toutes les institutions transnationales existantes (ONU, EU, FMI, Banque mondiale, OMC, OTAN, etc), à l’exception du G-20, sont issues d’une géopolitique révolue du XXe siècle avec son empreinte de la bipolarité idéologique. Par conséquent, aucune d’elles n’est réellement opérante, en rappelant, dans un registre morbide, une barbe qui continue à pousser après la mort de l’homme. Tout reste donc à réinventer dans le cadre de la globalisation politique qui peine à démarrer, faute d’un projet innovant à ambition globale, incarné par des hommes et des femmes politiques d’exception, pour servir de cadre à la globalisation économique (celle du marché), déjà ancrée dans le quotidien de notre planète.

Dans ce contexte, l’esquisse d’une Euramérique, osée par Merkel et Obama, est incontestablement un pas dans la bonne direction, mais il reste trop timide, trop incertain, trop « occidental » dans un monde qui ne l’est plus.

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