Ce que le scandale Findus révèle de l'infiltration des mafias en Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Le scandale de la viande de cheval dans les produits Findus révèle les failles d'un système agroalimentaire mondialisé dominé par des logiques financières.
Le scandale de la viande de cheval dans les produits Findus révèle les failles d'un système agroalimentaire mondialisé dominé par des logiques financières.
©Reuters

Les affranchis

Alors que la France se lance dans une traque au terrorisme industriel suite à l'affaire Findus, les mafias dorment en paix. Une large partie de ce que nous consommons est pourtant infiltrée par ces groupes criminels.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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Atlantico : Alors que les autorités sanitaires cherchent toujours les coupables de ce remplacement de la viande de bœuf par du cheval, le scandale reste commercial et non pas sanitaire. Pour autant, les différentes mafias sont depuis longtemps insérées dans divers activités industrialo-commerciales. Quelles sont aujourd’hui les principales filières agro-alimentaires ayant été touchées ?

Stéphane Quéré : Si les exemples sont nombreux, l’Italie est de loin la grande championne en Europe de l’Ouest des crises sanitaires liées aux activités mafieuses. La situation italienne est d’ailleurs assez problématique pour ses voisins puisque ces activités débordent souvent dans le reste de l’Europe notamment en France. En 2008, 70 millions de litres de vin en provenance d’Italie se sont avérés constitués de seulement 20 à 30% de vin, le reste étant du sucre, de l’eau mais aussi de l’acide sulfurique et chlorhydrique. De la même façon, de grands groupes industriels italiens supposément liés aux oligarques russes et à la mafia napolitaine ont acheté des produits laitiers périmés en provenance d’Inde ou de Chine, sous de faux étiquetages néo-zélandais et australiens, et en ont fait des fromages revendus notamment en France. De cette affaire ont également découlé des problèmes de produits laitiers en France autour de beurre frelaté utilisé par de grands groupes industriels normands, mais aussi des mayonnaises faites à base de matières grasses dangereuses.

De manière plus indirecte mais tout aussi dangereuse, le traitement des déchets par les mafias pose aussi de graves problèmes agro-alimentaires. L’Italie, où c’est un domaine traditionnellement mafieux, manque d’incinérateurs et de décharges. Ces dernières sont donc compensées par des décharges sauvages qui, à terme, laissent des produits s’écouler dans le sol puis dans les eaux et provoquent des intoxications indirectes comme celle du lait de bufflonne dont on a pas mal parlé et qui est le constituant essentiel de la célèbre mozzarella. Ces "éco-mafias" n’agissent pas uniquement dans la région de Naples et en Calabre : ont été coulés des bateaux remplis de déchets chimiques envoyés dans le sud par les riches industriels du nord pour des raisons économiques. A terme, cela contamine les poissons dont se nourrissent les Calabrais. On a constaté dans ces régions une augmentation significative du nombre de cancers et maladies liées aux contaminations.

Pire encore, toujours en Campanie,  on estime à un millier le nombre de fours à pain illégaux qui sont alimentés par les déchets fournis par la mafia napolitaine. Ce nouveau marché est directement lié à la forte augmentation des prix des matières premières. Dans le même genre, il est tristement important de parler des alcools de contrefaçon comme la fameuse vodka à l’anti-gel qui se vend en Russie. Enfin, il existe ce que l’on appelle les « viandes de brousse » qui consiste en l’importation illégale d’animaux souvent venus d’Afrique à des fins gastronomiques. Cela se passe bien sûr sans contrôle sanitaire et peut provoquer de légères épidémies qui  restent en général d’une ampleur limitée à cause de l’aspect communautaire de la chose.

Quelles sont les autres activités industrielles dans lesquelles la présence mafieuse implique des risques sanitaires ?

Au-delà des questions agro-alimentaires, les activités dangereuses appartiennent en grande partie à ce que l’on appelle les « contrefaçons dangereuses » qui diffèrent du fait d’acheter un sac à main d’une marque célèbre qui bien qu’illégal n’est pas en soi dangereux. Si par exemple, vous achetez des cigarettes de contrefaçon, vous vous exposez à consommer des produits ne correspondant pas aux normes sanitaires européennes dans lesquelles sont présentes de très fortes quantités de produits chimiques. Plus largement, arrivent d’Asie et d’Europe de l’Est par conteneurs dans les ports européens de très nombreux produits dangereux comme des disjoncteurs provoquant des risques d’incendie ou encore des jouets pouvant obstruer les organes respiratoires des enfants. Encore plus dangereux à grande échelle, entrent sur le territoire des équipements de contrefaçons pour voitures et pour avions, des freins défectueux ou des capots ne se rétractant pascomme prévu qui peuvent provoquer des accidents très lourds. Ces produits ne sont pas l’apanage de mafias particulières sur notre territoire et sont diffusés par différents groupes criminels établis.

Enfin, l’un des grands marchés de la contrefaçon est celui du médicament bien que la France soit assez protégée par la qualité de son système social dont les importants remboursements évitent le développement d’un marché noir important. Celui-ci n’existe que pour les produits n’étant pas encore autorisés, certains traitements contre l’obésité ou encore les produits dont les gens ont honte comme ceux traitant les troubles érectiles. Ce marché se concentre principalement sur Internet où on trouve tout et n’importe quoi sans le moindre contrôle. Le milieu du sport – professionnel ou amateur – est également devenu un important marché du médicament de contrefaçon par le biais du dopage qui est bien souvent le point d’ancrage de la mafia et qui en général dérive rapidement vers les paris truqués et autres activités de corruption. Pour en revenir aux médicaments traditionnels, la question est beaucoup plus grave dans les pays pauvres en Asie et en Afrique car si le surdosage provoque des overdoses, le sous-dosage provoque le développement d’une résistance aux médicaments de certains virus.

Pourrions-nous améliorer la lutte contre ces activités mafieuses et comment ? 

Si la gestion des crises sanitaires n’est pas de mon ressort, sur la question de la surveillance des réseaux criminels, il est clair que la France a du retard même si de gros efforts sont faits. Notre culture policière nous pousse à penser par « activité criminelle » plutôt que par « groupes criminels » alors que la plupart de ces groupes sont pluri-activités. Dans les faits, les mafias n’attachent aucune importance aux produits, il n’y a que l’argent rapporté à l’organisation qui compte. Peu importe aux mafieux de transporter de la drogue, de la viande de cheval ou des médicaments - et lutter contre eux passe donc par une analyse globale de leur activité. Nous devons arrêter de regarder le crime et ensuite de mener une enquête pour le remonter. Nous devons avoir une vision stratégique plus large qui consiste à établir une surveillance permanente de ces groupes en amont des crimes pour comprendre le système et saisir la moindre opportunité pour, si ce n’est les arrêter, les ralentir.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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