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Patrick Weil : "Les quatre piliers de l’identité nationale" (partie 1)
©Reuters

Bonnes feuilles

Depuis le traumatisme de janvier 2015, la République n’a cessé d’être invoquée et convoquée, notamment lors des immenses manifestations du 11 janvier. Fondement de notre société, socle de la citoyenneté et rempart de notre laïcité, elle fut aussi décriée. A force de ne pas tenir ses promesses, il lui fut reproché de favoriser l’entre-soi, le communautarisme, voire l’apartheid social. Après la Concorde… vint le temps de la discorde. C’est alors que la volonté de questionner Patrick Weil apparut comme une évidence. Extrait de "Le sens de la République", publié chez Grasset (1/2).

Patrick Weil

Patrick Weil

Patrick Weil est directeur de rechercher au CNRS. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont La France et ses étrangers (Calmann-Lévy, Folio) et Qu’est-ce qu’un français ? (Grasset, 2002). Patrick Weil est aussi directeur de collection chez Grasset.

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Nicolas  Truong

Nicolas Truong

Nicolas Truong est journaliste, responsable des pages Idées-Débat du Monde.

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Dans un monde en panne de collectif et d’idéal fédérateur, chaque communauté revendique son identité. A droite comme à gauche, entre nationalisme et multiculturalisme, défense de la francité et quête de religiosité, la société française semble en proie à de multiples quêtes et querelles identitaires. Permettez-moi de poser cette question à la fois simple et démesurée, à laquelle le grand historien Fernand Braudel a apporté sa propre réponse : qu’est-ce que l’identité de la France ?

Après la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale en 2007, Nicolas Sarkozy lance en 2009 un débat sur l’identité nationale. Des réunions sont organisées dans les préfectures et des questionnaires diffusés pour définir ce que l’on mettait derrière ce terme. La plupart de mes collègues universitaires se sont offusqués et ont affirmé que ce n’était pas au président de la République de définir ce qu’est l’« identité nationale ». Ils avaient raison. Toutefois, en tant que chercheur, on peut travailler sur cette notion et je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser la droite extrême se l’approprier. Je me suis mis à rechercher et je crois être parvenu à distinguer dans notre histoire, à travers les luttes, les batailles, les valeurs qui se sont dégagées, sédimentées, et qui constituent aujourd’hui les piliers de notre identité nationalité républicaine. Ils unissent tous les Français, quelle que soit l’ancienneté de leur origine française, qu’ils soient de métropole ou d’outre-mer.

Un jour, dans des archives américaines à l’université de Harvard, je cherchais quelque chose que je n’ai pas trouvé et suis tombé sur un document que je ne cherchais pas. Dans une lettre écrite en 1872 après la guerre francoprussienne perdue par la France, qui entraîna le rattachement de l’Alsace- Lorraine au nouvel Empire prussien, Francis Lieber, professeur d’origine prussienne à l’université Columbia, fondateur de la science politique américaine, écrit à son meilleur ami, Charles Sumner, sénateur républicain du Massachusetts, francophone et francophile : « J’ai reçu de Berlin un appel à collecter des fonds parmi les Allemands d’Amérique afin de participer à l’édification d’une fondation Bismarck à l’université de Strasbourg… Le gouvernement allemand est à l’évidence très attaché à faire de Strasbourg une université de premier rang, ce qui n’est pas sans signifier quelque chose. Les Français l’ont négligé. Mais ils ont négligé et négligent toujours tout, sauf Paris. J’en reviens à ma vieille question : qu’est-ce qui fait que les Français sont le seul peuple capable de convertir des peuples conquis ? Ceux-ci ne reçoivent aucun bénéfice de la France. Et pourtant, ils parlent pour la France. Ni les Allemands, ni les Anglais, ni les Américains n’y arrivent. Qu’est-ce que c’est 57 ? » Ce n’est pas un patriote français qui écrit ces lignes mais un Américain d’origine prussienne. Qu’est-ce qui pouvait donc expliquer l’attachement du Strasbourgeois à la France, bien que la France ait peu dépensé pour lui ?

Sumner avait la réponse. Il avait lutté en vain, des années durant, pour l’introduction dans la Constitution américaine d’un passage de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relatif à l’égalité devant la loi. Il considérait que l’égalité était le plus important des droits de l’homme. On pouvait d’ailleurs rattacher ce principe à l’Ancien Régime. David Hume suggérait en 1777 que l’une des forces des gouvernements absolutistes résidait dans l’absence de différence entre les anciens et les nouveaux sujets : « Comparez le pais conquis de France avec l’Irlande, et vous serez convaincu de cela 58. »

Le Strasbourgeois, quand il était Français, était l’égal du Parisien même s’il en était éloigné au plan culturel – par la langue germanique et la religion souvent protestante –, tandis que, Allemand depuis 1871, il avait peut-être reçu de l’argent, mais était devenu inférieur au Prussien de Berlin, l’Alsace-Moselle ayant été intégrée sous un statut de colonie dans le nouvel Empire allemand.

Chaque Etat-nation se réfère à une géographie, à une histoire et au sentiment de partager un destin commun avec d’autres citoyens – par le lien de nationalité. Mais ces traits communs, géographie, histoire, lien de nationalité, ne disent pas les valeurs, les croyances, les pratiques et les institutions qui peuvent symboliser la spécificité de chacun. Sumner avait repéré le principe d’égalité qui permettait cette identification des habitants des provinces conquises à la France. Nous l’avons vu à l’oeuvre dans notre histoire des politiques d’immigration et de nationalité. Il est l’un des quatre « piliers » de notre nationalité. Transformé et renforcé durant la Révolution, il s’inscrit durablement dans des dispositions importantes du Code civil, devenu, par sa pérennité, la vraie Constitution de la France 59. Par exemple la succession des citoyens y est fondée sur l’égalité entre tous les enfants – mâles et femelles. Tocqueville y voyait la base de la démocratie.

Voir la partie 2 ici à partir de dimanche 28 juin

Extrait de "Le sens de la République", de Patrick Weil, publié chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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