Deux papas ou deux mamans c'est pareil... mais la justice française accorde à 72% la garde à la mère lors des divorces. La théorie du genre rend-elle la société française schizophrène ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La théorie du genre ne fonctionne pas ou alors au prix d'une torsion des réalités humaines telle qu'elle finit par devenir intenable et générer de la violence.
La théorie du genre ne fonctionne pas ou alors au prix d'une torsion des réalités humaines telle qu'elle finit par devenir intenable et générer de la violence.
©Reuters

Le sexe des anges

Tour à tour étendard égalitariste pour la gauche et boîte de Pandore dangereuse pour la droite, la théorie du genre irrite autant qu'elle fascine bien qu'elle soit souvent réduite à un objet politique opportun.

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson est haut-fonctionnaire. Il a enseigné les questions internationales à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de "Eduquer autrement : le regard d'un père sur l'éducation des enfants" (éd. de l'Oeuvre, 2012) et Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des meilleurs (L’Harmattan, 2008). Son dernier livre est Guide pratique et psychologique de la préparation aux concours, (éditions Ellipses, 2013).

 

 

 

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Cette interview a été mise à jour. 

Atlantico : La théorie du genre est un courant de pensée expliquant que le sexe sociologique de chaque individu est la résultante de choix personnels et d’influences extérieures plutôt que de biologie. Utilisée comme argument pour justifier le mariage pour tous, on constate pourtant que celle-ci est vite oubliée devant un tribunal qui juge de la nature des liens parentaux en cas de divorce. La France n'a-t-elle qu'une vision opportuniste du débat sur le genre ou est-elle totalement schizophrène ?

Pierre-Henri d'Argenson : La France est réceptive à la théorie du genre pour une raison méconnue : ce sont les penseurs structuralistes français des années 1960 (Lacan, Deleuze, Derrida, etc.), identifiés sous le nom de "French theory", qui ont inspiré les "gender studies" nées aux États-Unis dans les années 1970. Les théories du genre trouvent donc en France un terreau intellectuel qui leur est naturellement favorable, parce que le structuralisme continue d’irriguer le monde intellectuel français. Le problème, c’est que le débordement du champ intellectuel vers le champ politique et anthropologique est comme la rencontre de l’utopie et du réel : ça ne fonctionne pas, ou alors au prix d’une torsion des réalités humaines telle qu’elle finit par devenir intenable et générer de la violence. C’est le cas en matière familiale. Même si la loi sur le mariage homosexuel est adoptée, non seulement le problème de la filiation continuera de se poser, mais nous assisterons dans une vingtaine d’années à l’arrivée d’une génération d’enfants qui demanderont à leurs aînés de quel droit ils ont été délibérément privés d’un père ou d’une mère. Et cette loi finira comme le communisme en Union soviétique.

Quels usages les politiques en font-ils en France ?

Pierre-Henri d'Argenson : Les politiques ne maîtrisent pas bien ce débat, parce qu’ils n’ont pas compris, sauf quelques-uns, que nous avons changé de perspective : jusque-là nous étions dans un cadre relativement traditionnel de revendications de groupes ou de minorités réclamant un droit à la tolérance ou à l’égalité. Notre vieux système politique, forgé et poli par les siècles, nous permettait de répondre à ces revendications, pas toujours négativement d’ailleurs (s’agissant des femmes par exemple), en faisant la part de l’intérêt général et des intérêts particuliers, de la sphère publique et de la sphère privée, des liens de filiation et des liens d’émotion. Autant de distinctions héritées des Grecs et des Romains, qui ont permis à nos sociétés de survivre à bien des bouleversements politiques et sociaux. Avec la question homoparentale et le féminisme extrême, nous sommes passés à une exigence "révolutionnaire" de transformation radicale du modèle anthropologique traditionnel fondé sur la famille et la filiation hétérosexuée. Une fois de plus, la droite se retrouve intellectuellement tétanisée devant les oripeaux du "progressisme" brandis par la gauche pour justifier son projet de "mariage pour tous", alors qu’au contraire, il lui faudrait saisir cette occasion pour redonner au "conservatisme" toutes ses lettres de noblesse.

Ce débat dans son ensemble est-il la démonstration d’une société qui a fait de la science un mercenariat fournissant des arguments à géométrie variable ?

Pierre-Henri d'Argenson : Ce débat démontre surtout que nous avons la mémoire bien courte. Il n’y a pas si longtemps, d’autres théories, qui se prétendaient en leur temps aussi scientifiques que les théories du genre aujourd’hui, nous expliquaient non seulement que les races étaient inégales, mais qu’il fallait en tirer toutes les conséquences en matière d’organisation de la société. Avec les meilleures intentions du monde, les idéologues des théories du genre reproduisent le même schéma philosophique, en considérant que le caractère réputé scientifique de leurs "découvertes" les autorise à imposer à la société de changer en conséquence, selon le raisonnement suivant : "puisque notre science démontre formellement que le sexe n’est qu’une construction sociale servant uniquement à légitimer des systèmes de soumission et d’oppression (des hommes en direction des femmes et des "minorités sexuelles"), les sexes doivent être abolis". A partir de là, tout est bon, y compris la coercition, pour faire advenir par la force un « homme nouveau », asexué ou bi-sexué, qui viendrait remplacer une humanité ontologiquement salie par l’altérité sexuelle. Contre ce projet profondément déstructurant, je laisserai le mot de la fin à un très grand scientifique, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan : "malgré toutes les connaissances qu’elle nous apporte (…) la science n’a rien à dire sur la façon de mener notre existence et de vivre en société" (Le Cosmos et le Lotus, Albin Michel, 2011).

La France peut-elle réellement basculer vers une généralisation des genders studies comme s’en inquiètent certains ou son ADN culturel y est-il trop profondément opposé ?

Pierre-Henri d'Argenson : La France possède une capacité de résilience vis-à-vis des théories du genre, qu’elle tire de deux sources : la première, c’est qu’elle est le berceau de l’amour courtois. Cela peut paraître désuet, mais les femmes, quoiqu’elles en disent, restent attachées à ce privilège de sexe qui leur donnait une prééminence symbolique très forte dans la société. En essayant d’importer la guerre des sexes en Europe, les théoriciens du genre se heurteront je l’espère à toutes les femmes qui devinent que toutes les utopies égalitaires ne valent pas le magnifique hommage que les hommes leur ont toujours rendu dans notre pays, et que le féminisme outrancier a déjà considérablement abîmé. En fait, je crois que nous aimons trop les jeux de l’amour pour nous laisser gâcher la vie par les constructions dogmatiques des gender studies. La seconde, c’est la persistance d’une profonde tradition d’humanisme judéo-chrétien, qui nous a jusque-là toujours prémunis des utopies fondées sur un pseudo scientisme, et qui a toujours porté un regard aimant et positif sur la différence des sexes. Nous resterons je l’espère le petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur !

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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