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Et quand nous serons 11 milliards sur Terre ? Partie 3 : sur la sécurité alimentaire
©Reuters

Et moi, et moi, et moi

Selon l'Institut national d'études démographiques (Ined), nous serons entre 10 et 11 milliards d'êtres humains d'ici à la fin du siècle. Un chiffre énorme qui pose la question de la sécurité alimentaire d'ores et déjà problématique dans l'état actuel des choses, surtout si les futurs habitants de la Terre consomment comme nous.

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

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Atlantico : L'Ined estime que nous serons entre 10 et 11 milliards d'êtres humains d'ici la fin du siècle. 11 milliards de personnes sur terre, c'est plus de bouches à nourrir. Alors l'Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) préconise l'élevage d'insectes : ils sont riches en protéines, ne prennent pas de place, ont un faible impact environnemental, sont peu onéreux à produire… et ils seraient par ailleurs très bons. D'ici la fin du siècle, serons-nous vraiment résignés à oublier nos bons steaks bien saignants pour des bêtes volantes ou rampantes ?

Jean-Marc Boussard : La FAO note que dans divers pays cette pratique contribue à la production de nourriture, et qu’elle pourrait sans doute être développée dans le monde. Cela est exact, mais n’implique pas la nécessité de remplacer partout toutes les viandes par des insectes. Il ne faudrait pas en déduire que l’élevage d'insectes est LA solution aux problèmes alimentaires mondiaux.

>>>> A lire, le premier épisode de notre série : Et quand nous serons 11 milliards sur Terre en 2100 : le risque d'épidémie.

Les insectes sont une bonne alternative aux viandes. Mais comment remplacer nos fruits et légumes qui disparaîtraient ou qui seraient en trop faibles quantités pour nourrir 11 milliards d'êtres humains ? N'y aura-t-il pas des famines et des "guerres alimentaires" ?

La question alimentaire est beaucoup plus vaste que cette misérable affaire d’entomophagie. Les fruits et légumes, qui n’occupent que des surfaces relativement faibles, ne sont pas non plus au cœur du problème. Le cœur du problème, c’est que le nombre d’êtres humains va doubler, et que, par conséquent, il faudra aussi doubler les ressources alimentaires de base, constituée pour l’essentiel par les « grandes cultures » : céréales, soja, lentilles, oléagineux etc., ainsi que par les fourrages. Il  faudra le faire à surface constante, parce qu’il n’existe plus beaucoup de « terres vierges », comme c’était le cas au 19ème siècle.

>>>> A lire, le premier épisode de notre série : Et quand nous serons 11 milliards sur Terre en 2100 : la facture pour l'environnement et le climat

Tous les calculs que l’on a pu faire à ce propos montrent que c’est  parfaitement possible : les techniques à mettre en œuvre pour cela existent déjà, et il est probable qu’elles seront encore améliorées d’ici cinquante ans. La vraie question est de savoir si les paysans pauvres du tiers monde pourront se payer les machines, engrais et autres ingrédients nécessaires à la mise en œuvre de ces techniques. A l’heure actuelle, ils ne peuvent le faire et cela augure mal de l’avenir.

Alors, en effet, le risque de guerre alimentaire existe, quoique ce type de guerre affiche rarement son objectif réel et le déguise plutôt sous des dehors plus généreux, comme la gloire de Dieu, ou la défense de la démocratie, ou d’autres motifs plus ou moins humanitaires...   

Y aura-t-il une nouvelle répartition des zones les plus en proie à la faim voire à la famine ?

Du fait des progrès dans les transports, en matière agricole ou alimentaire, la distance géographique du producteur au consommateur n’est plus un problème. Chacun, ces jours-ci, a pu voir les commerces proposer des fraises et des cerises de l’hémisphère sud, des giroles des États-Unis, des fruits tropicaux... Dans les pires famines, les gens riches, où qu’ils se trouvent,  auront toujours de quoi manger. Le vrai problème, ce sont les pauvres, de sorte que la géographie de la faim est et sera toujours celle de la pauvreté.

De ce point de vue, la situation n’a guère changé depuis Malthus : au tout début du 19ème siècle, celui-ci professait qu'en cas de pénurie alimentaire il faudrait que les pauvres meurent le plus vite possible pour rétablir l’équilibre sur les marchés, tant ceux des « subsistances » que celui du travail. De ce fait, on résoudrait à la fois le problème alimentaire et celui du chômage. En plus, c’est une solution parfaitement « écologique », puisque c’est ainsi que sont régulées les populations animales dans la nature. Il existe cependant quelques personnes – dont je fais partie – qui persistent à ne pas trouver le procédé satisfaisant en ce qui concerne homo sapiens....

Quelle sera l'assiette-type en 2020 ? 2050 ? 2100 ?

Je ne saurais vous dire. Les modes culinaires varient beaucoup au fil des siècles ! Songez qu’il n’y a pas si longtemps, vers 1750, personne en France n’aurait osé manger des pommes de terre ou des tomates, des plantes étranges venues d’Amérique et visiblement vénéneuses... Ce qui semble certain, c’est une tendance à l’artificialisation des saveurs : le produit de base verra sa texture modifiée, et sera enrichi de toutes sortes d’arômes. Mais on ne peut pas dire grand-chose de plus, d’autant plus qu’il existe une tendance  antagoniste vers un « naturel » du reste, au fond, très « artificiel » lui aussi.

Dans un contexte de manque croissant d'aliments de base, l'industrie agro-alimentaire gagnera-t-elle encore plus de parts de marché ? Deviendra-t-elle le secteur clé de l'économie ?

Je ne crois pas vraiment que l’industrie alimentaire augmente ses « parts de marché » : la part du budget des ménages consacré à l’alimentation décroit toujours à mesure que le revenu augmente, de sorte que son importance comptable aura toujours tendance à diminuer si la croissance continue. En revanche, une augmentation de la part de l’industrie dans la chaîne des coûts qui font le prix d’un aliment semble probable : le prix de la cerise de Noël est bien plus lié au coût du transport qu’à la rémunération du producteur chilien, et tout le reste est à l’avenant.

Cette industrie alimentaire deviendra-t-elle un secteur clé de l’économie ?  Elle l’est déjà, mais cela ne se voit pas, grâce au fait qu’elle fonctionne plutôt bien dans l’ensemble. Si la chaîne alimentaire devait se gripper – comme ce fut le cas durant les derniers conflits mondiaux – cela se saurait, et il y aurait des foules de personnalités politiques pour s’en occuper...

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