Mais qui fait quoi ? Étrangers, immigrés et délinquance, comment sortir de la confusion des chiffres et des catégories<!-- --> | Atlantico.fr
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Une caméra portative de policier utilisée pour capter les images et les sons au cours de leurs interventions.
Une caméra portative de policier utilisée pour capter les images et les sons au cours de leurs interventions.
©Reuters

Analyse à froid

Près de 20 % des personnes mises en cause pour des vols en 2012 étaient de nationalité étrangère, selon le rapport de L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Il convient désormais d'interpréter ces chiffres de manière objective afin de ne pas céder à de trop faciles amalgames.

Atlantico : L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a dévoilé lundi soir son bilan concernant la délinquance en 2012. Selon son rapport, la part d'étrangers mis en cause par la police pour des vols a nettement augmenté en 2012. Près de 27 % des personnes mises en cause l'an dernier étaient ainsi de nationalité étrangère, un chiffre en hausse d'environ dix points en quatre ans, relève cet organisme placé sous la tutelle administrative du Premier ministre. Quelques semaines après le magazine Valeurs Actuelles qui faisait sa Une sur le lien entre immigration et délinquance (voir ici), le traitement médiatique de ces statistiques tend-il à alimenter la confusion entre étrangers et délinquance ? Comment expliquer que cette confusion soit si commune dans le débat public ?

Jacques Barou : La question est au cœur du débat et chaque fois qu'on peut la noircir un peu, on le fait. Ceci dit, la délinquance des étrangers a augmenté incontestablement. Cela est dû en partie à la crise. Il y a en France des étrangers amenés à commettre des délits. La population étrangère est plus pauvre dans l'ensemble que la population française notamment certaines catégories en situation irrégulière qui doivent se débrouiller par des moyens pas toujours légaux. Il y a aussi une criminalité de crime organisé chez certaines catégorie d'étrangers, en particulier des gens d'Europe de l'Est qui viennent de pays qui ont connu des guerres et qui ont pris l'habitude d'utiliser des armes ou de mettre sur pied des trafics organisés dans les pays de l'Ouest.

Franck-Philippe Georgin : Cette confusion peut se fonder sur des préjugés, certains racistes, mais pour l’essentiel je les qualifierais de culturalistes, c’est-à-dire consistant à surestimer l'influence prépondérante des habitudes culturelles sur la personnalité des individus. Les discours postulant un lien fondamental entre délinquance et immigration invoquent en effet souvent un trait général des populations visées, selon "la religion", "la tradition", "l’éducation des parents". Or, ceci enfreint une règle élémentaire d’analyse : on ne peut pas expliquer un cas particulier par une règle générale.

En réalité, cette confusion se nourrit surtout, de mon point de vue, de l’effet loupe. C’est ce que tend à démontrer l’étude de l’ONDRP sur les vols. Les étrangers sont davantage représentés que leur poids moyen dans la démographie de notre pays pour certains type de faits de délinquance. Et comme ces infractions ont une plus grande visibilité que les atteintes aux personnes, ils retiennent davantage l’attention du public. La croissance de la délinquance juvénile accélère encore cette impression.

Il y enfin un effet géographique, comme pour le trafic de stupéfiants, où les difficultés se concentrent dans certains quartiers, et sans corrélation directe, on trouve une proportion plus importante de personnes étrangères, en raison de critères socio-économiques dans ces mêmes quartiers.

Qu'est-ce qui relève d'éléments objectifs et avérés et qu'est-ce qui relève du fantasme ?

Jacques Barou : On peut identifier les éléments objectifs lorsqu'il y appréhension des gens. Et puis il y a un élément subjectif qui consiste à laisser penser que certaines catégories d'étrangers seraient systématiquement portées sur la délinquance.

Franck-Philippe Georgin : Ce qui est objectif, ce sont les données par nationalité de l’ONDRP sur certains types de délinquance. La nationalité a toujours été répertoriée dans les fichiers de la police et de la gendarmerie et même publiée annuellement par le ministère de la Justice pour ce qui est des condamnés. C'est un élément d'état civil, et objectif.

En 2012, la police nationale a mis en cause 151 885 personnes pour vols en France métropolitaine, parmi lesquelles on dénombre 36 210 femmes (23,8 %), 49 487 mineurs (32,6 %) et 40 670 personnes de nationalité étrangère (26,8 %). De 2008 à 2012, la part des étrangers explose de 10,3 points, et celle des femmes augmente de 2,4 points. En 2008 "plus d'une personne mise en cause" pour vols sur huit était "de nationalité étrangère", une proportion qui est donc passée à près d'une sur quatre en 2012.

Du côté des mineurs, leur part dans les mis en cause pour vols baisse globalement de 1,5 point, mais croît de 3 points si l'on ne considère que les mineurs de nationalité étrangère.

Ce qui relève du fantasme, ou plutôt de l’absence de données établies et vérifiables, ce sont des pseudo-statistiques "ethniques", notamment en prison. La population carcérale ne constitue pas, à proprement parler et même si cela semble contre-intuitif, un échantillon représentatif de la totalité des personnes ayant commis des actes de délinquance.

Comment le débat devrait-il être posé pour sortir cette confusion ? Quelles problématiques devraient être posées différemment ?

Jacques Barou :Il faudrait d'abord s'intéresser à ce qui motive la délinquance des étrangers, notamment leur situation de pauvreté et d'illégalité. Ce n'est pas le fait qu'ils soient étrangers ou immigrés qui les poussent à commettre des délits mais une situation sociale de manque de biens essentiels. Des populations françaises placées dans la même situation vont réagir de manière semblable.

Franck-Philippe Georgin : Il faut chercher à le dépassionner en évitant de détourner le regard ou d’en faire un objet idéologique. Mettre un voile sur les réalités constatées par de nombreux concitoyens donnerait le sentiment que l’on cherche à nier des évidences.

En vérité, il faut surtout repenser nos outils policiers et judiciaires pour faire face à cette évolution inédite de la délinquance des étrangers. Sommes-nous bien armés face à cette nouvelle criminalité transfrontalière ? Savons-nous sanctionner suffisamment rapidement et sévèrement ce que nous appelons des réitérants, c'est à dire des personnes jugées pour des faits différents de ceux pour lesquels elles ont déjà été condamnées ? Avons-nous les bonnes réponses face à la délinquance des mineurs en croissance continue ? Ce sont ces questions qui importent.

A côté de quelles logiques passe-t-on quand on se contente de relever les coïncidences géographiques entre les cartes de l'immigration et de la délinquance ? Quels liens de causalité ignore-t-on ?

Jacques Barou : Lorsqu'on se focalise sur les coïncidences géographiques, le risque est d'ignorer toute la situation sociale des gens. Il faut tenir compte de la situation matérielle des quartiers touchés par la délinquance : taux de chômage, situation familiale difficile. On constate qu'il y a plus de délinquance juvénile dans  les familles monoparentales car la mère, qui est toute seule, n'arrive pas à faire face. 

Quel rôle jouent les facteurs économiques, sociaux et culturels dans la délinquance ? Comment ces facteurs s'articulent-ils avec les statuts d'étranger ou d'immigré ? Quels raccourcis viennent à cet égard polluer le débat et a contrario quels tabous empêchent de trouver les solutions adéquates ?

Jacques Barou : Il ne faut pas ignorer la condition d'immigré de certains délinquants, mais il faut la croiser avec la situation sociale et familiale que ces personnes connaissent. Certains facteurs culturels peuvent être tabous. Je pense qu'il n'y a pas de culture qui encourage la délinquance. En revanche, la culture c'est aussi l'organisation de la famille avec dans certaines communautés des familles étendues où la famille ne s'arrête pas au couple parents/enfants mais englobe également les collatéraux : grands-parents, oncles, tantes et même voisins. La transition entre cet univers familial où l'on compte sur la solidarité de plusieurs adultes et un univers familial moins étendu où la mère se retrouve parfois seule face à l'enfant est compliquée. Les familles immigrées, notamment les familles monoparentales, n'ont pas toujours le réflexe culturel et l'autorité nécessaire pour faire face aux problèmes que posent un grand nombre d'enfants.

Franck-Philippe Georgin : L’enjeu de l’analyse d’Hugues Lagrange, dans le Déni des cultures, est de comprendre pourquoi, à milieu social comparable, on trouvera en moyenne plus d’auteurs de délits parmi les garçons issus des familles du Sahel que dans les familles venues, par exemple, du golfe de Guinée. Selon lui, tous les groupes sociaux ne semblent pas payer le même tribut à la délinquance, ni tous les groupes culturels. Il rappelle que l’immigration est avant tout le déplacement de populations qui ont leurs traditions et leurs cultures, dans un autre système culturel. Le problème tiendrait donc aussi aux conditions d’accueil ou d’insertion dans la société française.

D’autres avancent des facteurs plutôt économiques. L’étude de l’ONDRP avance l’hypothèse de vol de subsistance pour les populations s’installant en France sans. C’est ainsi qu’il expliquerait l’augmentation, à partir de 2011, de la part des Tunisiens au sein des mis en cause pour vols, suite aux Printemps arabes

Dans la réalité, ce sont les facteurs ordinaires de la délinquance qui expliquent tout aussi bien la délinquance des nationaux que celle des étrangers. Le basculement vers la délinquance s’explique généralement par une conjonction de plusieurs facteurs : problèmes familiaux, échec scolaire, habitat dans un quartier où il existe déjà une activité délinquante…

La hausse de la part des étrangers impliqués s'explique en partie par la mise en cause de Roumains qui sont en forte proportion impliqués dans des vols sans violence, comme les ressortissants originaires d'Europe balkanique. La part des Géorgiens impliqués dans les vols à l'étalage ou par effraction est aussi en augmentation. Quels facteurs permettent d'expliquer la progression de la délinquance des ressortissants d'Europe de l'Est ?

Jacques Barou : Il y a deux types de délinquance de la part de personnes originaires d'Europe de l'Est. Une délinquance organisée de la part de gens qui ont connu une situation de guerre et qui passent facilement à l'acte, parfois avec violence. Il y a également une autre délinquance de moindre envergure (petits larcins, vols à l'étalage) de la part de personnes qui étaient dans une situation marginale dans leur propre pays d'origine et qui vivaient déjà d'expédients. On constate un transfert de leur activité délinquante dans les pays de l'Ouest.

Franck-Philippe Georgin : D’après l’étude de l’ONDRP, certaines nationalités sont davantage représentées que les autres. En regroupant les personnes de nationalité roumaine avec celles originaires des pays des Balkans, l'observatoire souligne qu'elles représentent 9,5 % des personnes mises en cause pour vols, plus de deux fois plus qu'en 2008 (4,2 %). L’ONDRP indique que la part des Géorgiens impliqués dans les vols à l'étalage ou par effraction est aussi en augmentation. Elle a été multipliée par quatre entre 2008 et 2012.

C’est une évolution notable que tente d’analyser le dernier rapport 2012-2013 du Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) de la police judiciaire.

Le SIRASCO explique que "ces ressortissants sont exemptés de visa pour l'espace Schengen". Or, "ces pays constituent l'itinéraire qu'empruntent les trafiquants et les importantes diasporas implantées en Europe fournissent un appui logistique aux organisations criminelles". Par ailleurs et de façon plus conjoncturelle, des lois d'amnistie adoptées en Géorgie en 2005 et 2013 pour les voleurs non reconnus comme mafieux en échange de leur départ du territoire auraient entraîné un déploiement massif de criminels en Europe.

Cela pose donc la question du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, du fonctionnement de la zone Schengen, et enfin du rôle de la coopération policière et judiciaires internationale à l’égard de ces pays.

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