Sécurité routière 1 - lutte contre le chômage 0 : pourquoi cette indifférence collective face aux politiques qui fonctionnent (et cette passion pour celles qui ne peuvent pas grand chose)<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2012, les chiffres de la mortalité sur les routes, historiquement bas, sont passés quasiment inaperçus.
En 2012, les chiffres de la mortalité sur les routes, historiquement bas, sont passés quasiment inaperçus.
©Reuters

Problèmes mineurs ?

La mortalité routière a baissé de 8% en 2012, portant à 3 645 le nombre de tués sur les routes. Du jamais vu depuis 1948.

Atlantico : Les récents chiffres de la mortalité sur les routes, historiquement bas, sont passés quasiment inaperçus comparés à l'attention médiatique habituellement portée aux faibles résultats en matière de lutte contre le chômage ou la désindustrialisation. Comment expliquer cette indifférence collective face à des politiques qui fonctionnent comme la sécurité routière ?

Jérôme Fourquet : Si l’on prend historiquement du recul, bien que ce gouvernement ne communique pas encore sur la sécurité routière et la baisse de la mortalité, d’autres l’ont fait avant lui. Chirac en avait fait l’une des trois grandes causes nationales et Sarkozy avait beaucoup communiqué sur les radars et la baisse du nombre de morts sur les routes. Cela avait d’ailleurs dans l’opinion un effet de soutien généralisé. Pour autant, il est impossible de fonder un discours de politique générale sur une question comme la sécurité routière qui dans l’esprit des Français reste mineure. Si l’on en croit les déclarations de Patrick Buisson, puisque les hommes politiques sont jugés comme n’ayant que peu de prises sur l’économie, on ne peu être élu qu’en se focalisant sur les questions régaliennes, identitaires et sécuritaires. Il n'est pas dit que le gouvernement ne communiquera pas sur les questions de sécurité routière. Je vois très bien un homme comme Manuel Valls se prononcer sur le sujet prochainement.

Que sait-on des attentes des Français en termes de politiques publiques ? Correspondent-elles aux choix privilégiés par le pouvoir ?

Jérôme Fourquet : Les Français font la différence entre ce qu’ils jugent comme étant une priorité de l’Etat et ce qu’ils en attendent dans les faits. Sur la question de l’emploi par exemple, celle-ci est perçue comme devant être au premier plan mais la classe politique n’est pas perçue pour autant comme ayant le pouvoir d’améliorer la situation. Ainsi, ce que les Français considèrent comme les priorités étatiques ne correspond pas forcément à celles sur lesquelles ils vont fonder leurs décisions électorales. Depuis longtemps, on sait que nos concitoyens considèrent la lutte contre le chômage et les politiques d’emplois comme étant la chose la plus importante à améliorer mais François Hollande n’a pas pour autant été élu sur sa capacité supposée à faire baisser le taux de chômage. La politique fiscale au contraire a un très fort impact électoral et il est très probable que la mesure symbolique des 75% ait rassemblé toutes les sensibilités de gauche et ait joué un puissant rôle de stimuli électoral. Idem pour la sécurité qu’a utilisé Nicolas Sarkozy en 2007 comme colonne vertébrale de sa campagne présidentielle. Les politiques publiques correspondent donc bien souvent à ce que les Français considèrent comme devant être faits mais pas à ce qu’ils pensent être faisable.

Mais si les Français ne croient pas à la possibilité de faire quelque chose, ils estiment malgré tout que le gouvernement doit s'y atteler. Le manque de marge de manœuvre n'empêche pas de mouiller le maillot pour faire baisser le chômage. Disons que l’opinion ne tiendra pas rigueur de l’absence de succès d’un gouvernement face au chômage mais elle ne pardonnera à aucun dirigeant de ne pas avoir essayé. Il n’y a pas obligation de résultats mais il y a obligation de moyens. Lorsque le chômage baissait sous Chirac, les enquêtes montraient que les Français n’y croyaient pas vraiment et attribuaient cela aux radiations automatiques de l’ANPE.

Existe-t-il des politiques publiques structurellement efficaces ou inefficaces ?

François Ecalle : Poser la question ainsi est dangereux pour la maîtrise des politiques publiques car réfléchir par grands ensembles d’efficacité nous mènerait à penser que certaines d’entre elles doivent être maintenues et d’autres abandonnées. Or, si certains domaines sont fondamentalement utiles comme la recherche ou l’éducation, elles ne sont efficaces que si elles sont analysées en profondeur afin que dans chacune de ces grandes politiques publiques, les dépenses qui sont utiles et celles qui ne le sont pas soient identifiées et corrigées. Une politique de transport qui construit des lignes ferroviaires pour relier les villes et faciliter la mobilité  pour un pays mais toutes les lignes ferroviaires qui sont construites sont loin d’être rentables pour la société française. L’efficacité d’une politique publique est donc le résultat d’un équilibre entre ce qu’elle apporte à la société et sa rentabilité financière. La recherche est également un bon exemple de cela, elle est rendue inefficace par le fait de payer des chercheurs à ne rien faire ou à se focaliser sur des problématiques qui ne seront pas utiles. La sécurité routière quant à elle relève essentiellement de réglementation et non pas de dépenses, son efficacité est donc due à un résultat probant qui n’implique que des dépenses faibles. L’emploi est également intéressant dans ce que cette politique publique montre de l’efficacité relativisée par la dépense. Il est utile d’indemniser le chômage afin de ne pas laisser les chômeurs dans la misère mais un retour aux allocations dégressives qui incitent plus efficacement à la reprise d’emploi. L’efficacité d’une politique est donc fonction d’un arbitrage intelligent et pas nécessairement d’une dimension structurelle.

Une délégation au secteur privé est-elle souhaitable ou existe-t-il des domaines qui doivent rester la prérogative de l'Etat même s'il n'est pas le plus efficace ?

François Ecalle : Il faut se méfier du dogmatisme dans un sens comme dans l’autre. L’efficacité d’une politique publique passe rarement par le tout privé ou le tout public. Les sociétés privées portent en elles le handicap de la rentabilité liée à la nécessité de payer les actionnaires. Pourtant, celles-ci sont rendues plus efficaces par une meilleure gestion qui s’épanouie de manière optimale lorsqu’elles sont en situation de concurrence. Les fournitures standardisées par exemple sont plus efficaces lorsqu’elles sont déléguées au secteur privé puisque de nombreux groupes d’entreprises sont capables de fournir cette prestation de la même façon et vont donc fournir un important effort de compétitivité. A l’inverse, une concession d’autoroutes ou d’aéroport doit être au moins en partie laissée à l’Etat puisque seuls deux ou trois groupes français seront mis en compétition. Le cahier des charges sera également bien plus complexe et évolutif. La construction d'une autoroute est un projet changeant qui sera soumis à telle ou telle évolution, section supplémentaire ou protection d’un animal quelconque. Dans ce genre de contexte, une entreprise sera prompte à surfacturer un service supplémentaire non prévu alors que l’Etat ne cherchera pas de profits.

Ne gagnerait-on pas à systématiser l'évaluation des politiques publiques ?

François Ecalle : Une évaluation systématisée des politiques publiques est bien évidemment nécessaire mais il s’agit en France d’une ambition de longue date. Aujourd’hui, nous en sommes à la MAP mais avant cela il y a eu la RGPP et encore avant la rationalisation des choix budgétaires dans les années 1970. Cette évaluation est donc une tradition quasi historique en France mais malheureusement le pouvoir politique n’en tient généralement pas compte. Il y a effectivement des secteurs dans lesquels tout le monde sait que nous pourrions faire des économies et ainsi être plus efficaces. L’emploi, pour ne pas le citer, en est encore l’exemple typique. Les politiques qui l’entourent sont divisées entre l’Etat, les régions et les partenaires sociaux ce qui créé une joyeuse pagaille par manque de concurrence entre les organismes intermédiaires qui prélèvent des rentes et qui empêchent l’ensemble de fonctionner correctement. Il y a de très nombreuses études et rapports sur la question mais personne n’ose vraiment prendre le problème à bras le corps. Il faudrait que les politiques aient une bonne fois pour toutes le courage de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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