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Un courant de pensée mal aimé, le conservatisme : une manière particulière d’être, un « tempérament »
©Flickr/IsaacMao

Bonnes feuilles

L’image d’Épinal du conservateur nostalgique, réactionnaire, dont la pensée, comme toujours en deuil, ne semble tournée que vers le passé se trouve fortement remise en question par Roger Scruton, qui révèle l’étendue et la richesse insoupçonnée de cette tradition intellectuelle. Extrait de "Conservatisme" de Roger Scrutin, publié chez Albin Michel. 2/2

Roger Scruton

Roger Scruton

Agé de 72 ans, Roger Scruton est un philosophe anglais. Depuis 1993, il est professeur invité à plusieurs universités (Boston, Saint-Andrew, Oxford). Il a parallèlement créé une revue politique conservatrice, "Salsbury Review", qu'il dirige depuis 18 ans. Il a également écrit une trentaine d'ouvrages dont beaucoup sont consacrés à l'esthétique : Art and Imagination (1974), The aesthetics of music (1997), Beauty (2009); ou à la pensée politique conservatrice :  "A political philosophy : arguments for conservatism" et "The Palgrave MacMillar Dictionary of Political Thought" (2007).

Par ailleurs, il a écrit deux romans et composé deux opéras. Pendant la guerre froide, il a participé à la création d'université clandestines en Europe centrale. 

En 2014, il écrit " De l'urgence d'être conservateur". Traduit en français par Laetitia Bonard, spécialiste du conservatisme, ce livre a été publié en France  en 2016.

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Le conservatisme d’aujourd’hui 

Connu d’abord pour son travail sur la démocratisation, le politologue Samuel Huntington (1927-2008) s’est intéressé, après la chute du communisme, à la nouvelle donne internationale. Dans Le Choc des civilisations (1996) , il affirme que la Guerre froide sera remplacée par un conflit violent et désordonné entre civilisations provoqué par la réaction hostile du monde islamique à l’imposition globale de comportements occidentaux, de technologies occidentales et de la sécularisation occidentale. Poursuivant son analyse, il soulève, dans Qui sommes-nous ?, paru en 2002 , la question de l’identité américaine. Dans ce livre écrit après les atrocités terroristes du 11 septembre 2001, Huntington soutient que nous ne pourrons pas répondre à la menace islamiste si nous ne reprenons pas confiance en notre propre identité. Plus qu’à nos institutions politiques, il fait ici référence à l’héritage spirituel qui en constitue le véritable fondement. La bonne réponse à la menace islamiste ne consiste donc pas uniquement en une réaffirmation de l’ordre libéral et de l’État séculier, mais en une redécouverte de nous-mêmes au sein d’une politique systématique de conservatisme culturel. 
La thèse de Huntington se concentre sur ce qu’il appelle le credo américain, dont l’origine remonte, selon lui, à la culture « anglo-protestante » des premiers colons. Pour le vérifier, il rassemble les conclusions de la recherche historiographique récente, qui insiste sur la continuité entre le développement des institutions politiques américaines, le façonnement de l’idéal national américain et les sursauts protestants qui se sont, à de nombreuses reprises, exprimés sur le continent. On nierait la contribution la plus vigoureuse à l’expérience américaine si l’on voulait séparer l’héritage religieux de l’idée même de l’Amérique, en faisant de ce pays, né d’un serment sacré, un corps politique purement séculier.
L’idée défendue par Huntington est que les civilisations ne peuvent survivre par le seul don de la liberté et de la tolérance. Accorder la tolérance aux ennemis de notre style de vie, c’est ouvrir la porte à la destruction. Il nous faut redécouvrir qui nous sommes et ce que nous défendons, et, cela fait, nous préparer à nous battre pour notre identité. Là se trouve, aujourd’hui comme hier, le message conservateur. Notre identité est déterminée autant par notre héritage religieux que politique. 
Dans La Situation de la France (2015) écrit en réaction au terrorisme islamiste, ici le meurtre de l’équipe éditoriale de Charlie Hebdo en janvier 2015, Pierre Manent défend des thèses similaires. Né en 1949, Manent est professeur de philosophie politique à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris et co-fondateur de la revue Commentaire qui, depuis trente ans, est une source majeure de la pensée conservatrice. Inspiré par sa lecture de Leo Strauss (voir chapitre 4), Manent a beaucoup écrit sur la signification profonde de la civilisation occidentale. Celle-ci, dans la continuité de la cité antique, a, selon lui, conceptualisé et étendu la citoyenneté contre la soumission à la religion et à la domination impériale. Nous ne pouvons pas attendre des musulmans qu’ils adoptent la doctrine des « droits humains » telle qu’elle a été définie, sans réserve, par la Déclaration originale des révolutionnaires français, mais nous devons leur faire une place dans notre société qui respecte leur mode de vie de croyants. Nous devons donc leur offrir un objet de loyauté qu’ils puissent partager avec leurs compatriotes. Pour Manent, seule la nation peut représenter la loyauté commune : un héritage spirituel et une règle de droit. Les alternatives transnationales – l’Europe, les Nations Unies, la loi des droits humains, peut- être même l’Umma islamique elle-même – sont peu attrayantes ou même contraires à l’intégration de la minorité musulmane. Pourtant, l’élite gouvernante a été complice de l’affaiblissement délibéré de la nation, elle a adopté la mondialisation et le projet européen comme seules boussoles de l’avenir, convaincue que tous les Français peuvent vivre en individualistes radicaux, rassemblés par la seule loi impartiale et séculière de la République. 
Il y a pire, le débat a été étouffé dans les cercles officiels : on a refusé d’appeler les choses par leur nom ; en parlant d’« islamophobie », on a par ailleurs créé un ennemi purement imaginaire. Selon la version officielle des événements, le terrorisme islamiste est une réponse à un crime permanent perpétré contre la communauté musulmane – un crime commis par tous ceux qui ont conscience que les coutumes musulmanes sont en désaccord avec l’ordre social traditionnel français. La propagande officielle est aveugle au fait que la communauté musulmane est financée et dirigée depuis l’extérieur – la mission wahhabite fortunée d’Arabie Saoudite par exemple – et qu’elle n’a aucune raison de voir dans la France la source ou le lieu de sa vie communautaire. Le projet européen ne fait qu’exacerber le problème, dans la mesure où l’intégration des communautés musulmanes ne peut se faire qu’au niveau national, là où les musulmans sont représentés grâce à leur vote, et non au niveau européen où les peuples ne comptent pas.
Extrait de "Conservatisme" de Roger Scrutin, publié chez Albin Michel

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