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SOS repas de fête : 10 choses intelligentes à rétorquer sur les sujets qui risquent de semer la zizanie dans votre réveillon en famille
©Reuters

Discussions enflammées

Programme libéral de François Fillon, attaques de l'Etat Islamique en Europe, premiers pas de Donald Trump ou état de l'économie française : les fêtes de fin d'année impliquent certes des retrouvailles agréables, mais également certaines discussions enflammées. Petit florilège d'éléments indispensables pour recadrer les débats si besoin.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Sur François Fillon : "c'est un candidat ultralibéral"

Christophe de Voogd : Le refrain de "l’ultra-libéralisme" est en effet entonné dans tous les médias de gauche et par Manuel Valls lui-même à l’encontre de François Fillon. Notons d’abord la connotation doublement polémique de ce terme dans notre culture politique : "ultra" renvoie aux aristocrates réactionnaires de la Restauration qui, selon le mot de Talleyrand, n’avaient "rien appris, ni rien oublié". Quant à "libéral", on sait qu’il est chez nous l’équivalent de "loi de la jungle" de "droit du plus fort" et d’"anti-social". François Hollande vient ainsi de tweeter que le "libéralisme, c’est la liberté des uns contre celle des autres". Notre tradition étatiste et égalitariste nous a fait largement oublié que le libéralisme est d’abord une philosophie de la liberté qui a inspiré notamment la Déclaration des droits de l’homme, l’instruction publique et l’émancipation féminine. Autrement dit, personne n’est plus "anti-ultra" que les libéraux ! La dénonciation de "l’ultra-libéralisme" est donc, en même temps qu’une double charge polémique, un double contre-sens historique et idéologique. A quoi s’ajoute que, de Montesquieu à Revel en passant par Tocqueville, Bastiat, Alain et Aron, la France est très riche de cette pensée libérale.  Mais nos lycéens et même nos étudiants n’ont pas le droit de le savoir…

De fait, la volonté d’ordre est plus typique de l’horizon politique de la droite conservatrice que de celle du libéralisme qui croit davantage à l’ordre spontané du marché, sous réserve d’une régulation juridique de l’Etat, ce que l’on oublie toujours. Quant au sérieux budgétaire, il n’a rien de libéral en soi : tout dépend des circonstances. Poincaré, Rueff, Barre ou Bérégovoy y croyaient parce qu’ils constataient l’impasse de la gabegie budgétaire. Il est vrai que la chose s’est un peu perdue depuis les années 2000.

Allons plus loin : en bon libéral, je m’interroge sur les motivations de tant commentateurs qui hurlent au loup (c’est-à-dire à "l’ultra-libéralisme") devant le programme de F. Fillon. Et je constate que ces hurlements viennent des innombrables rentiers de l’Etat qui s’inquiètent naturellement de la perspective d’une baisse des dépenses publiques et défendent non moins naturellement leurs intérêts : fonctionnaires, syndicats, classe politique, audiovisuel public et une bonne partie de la presse…Pour certains, comme Libération, c’est une question de survie : on comprend leur violence anti-Fillon. Cette hostilité de "l’establishment d’Etat" va rendre la tâche très difficile à ce dernier, dès cette semaine et plus encore lors de la campagne présidentielle, s’il franchit les primaires.

Mathieu Mucherie : La droite française depuis plus de 20 ans est beaucoup plus à gauche et antilibérale que les droites classiques européennes, et même que certaines gauches sociales-démocrates (Blair et même Schröder plus libéraux que Chirac, etc.). Et dans ce contexte franchouillard, oui, Fillon est libéral. Mais le fait que Gorbatchev était plus libéral que Brejnev et beaucoup plus libéral que Staline n’en faisait pas pour autant un authentique libéral. C’est l’histoire du borgne aux pays des aveugles : Fillon est un poil plus libéral que l’archétype des énarques (Juppé), que l’idéal-type des énarques (Le Maire) et que le prince des interventionnistes (Sarkozy). Mais il ne faut pas avoir peur du ridicule pour le comparer à Margareth Thatcher. Cette dernière avait un programme, des troupes, du courage. On est aussi assez loin de Jacques Rueff.     

A moins que Fillon nous étonne sur le tard, c’est plus un "budgétariste" et éventuellement un réformateur qu’un libéral. Il est plus proche de Juppé que de Madelin (regardez sur son site internet le chapitre "créer des géants européens du numérique", par exemple, on est bien loin de la Sillicon Valley, idem sur la culture, le logement, l’agriculture, etc.). Ce sera un bon administrateur, il a un track record de cinq ans en la matière, pas un libéral, là il n’y a guère que la privatisation de France Telecom à son actif. Mais dans l’opinion cela suffira peut-être : après cinq années de hollandisme, n’importe quelle présidence même centriste apparaîtra comme très libérale.

>>>> A lire aussi : Dans la (vraie) tête des Français : pourquoi François Fillon n’est pas le candidat qu’on vous décrit dans les médias

Sur Manuel Valls : "il va gagner la primaire et rassemblera la gauche pour la présidentielle"

Jean Petaux : Il est manifeste que l’ancien Premier ministre, après avoir tactiquement très bien joué pour bloquer François Hollande en position de "PAT" sur l’échiquier politique, n’est pas du tout à son avantage dans cette nouvelle partie, celle qui consiste à emporter la bataille des primaires de la gauche gouvernementale. Disons-le clairement : Manuel Valls est à la peine. Son entrée en campagne n’a absolument pas provoqué une adhésion massive. Il n’y a pas eu plus d’électrochoc que "d’effet de blast" (pour employer un vocabulaire à la Sarko auquel ne répugne pas le "communicant" Valls) qui aurait suivi l’annonce de sa candidature. Pire que cela, on voit que le "TSV" (Tout Sauf Valls) a plutôt le vent en poupe. Peut-être, compte tenu de la "jurisprudence Juppé" est-ce la meilleure chose qui peut s’offrir à Manuel Valls : surtout ne pas apparaître comme le favori, être donné battu, etc. Certes le "modèle Fillon" crée des désirs de couleurs camouflées, d’imperméable passe-murailles et de veste matelassée bleu-nuit pour éviter d’être repéré par la patrouille des sondages… Mais quand même : Nicolas Sarkozy ne faisait pas la course en tête dans la primaire de la droite, il a quand même bien été victime d’un TSS (Tout Sauf Sarkozy) aussi scandaleux au niveau de la règle du jeu politique que redoutablement efficace pour l’éjecter sans hésitations ni murmures du second tour de la primaire. Donc Manuel Valls peut se "gauchir" (lamentable épisode que celui sur le 49.3 jusqu’à aller dire que cet article de la Constitution n’est pas démocratique… pour complaire aux démagogues et aux gauchistes incultes…) tout ce qu’il peut, il aura bien du mal à résister aux tirs en rafales du TSV. Seule une faible participation peut vraiment jouer en sa faveur. Autrement dit, un corps électoral se déplaçant à la primaire de fin janvier plutôt en phase avec les 50 000 adhérents à jour de leur cotisation (voilà où en est le PS aujourd’hui en nombre de militants), quantitativement limité et circonscrit au périmètre adhérent serait la meilleure chose pour lui. Si la gauche de la gauche se mobilise pour intervenir dans la primaire de la Belle Alliance Populaire, Manuel Valls sera irrémédiablement condamné, peut-être même, tout comme Sarkozy l’a été, dès le premier tour.

Sur Donald Trump : "son électorat ne lui pardonnera pas d'être revenu sur plusieurs promesses de campagne"

Jean-Eric Branaa : Les premiers temps qui suivent l’élection sont effectivement très importants aux yeux des électeurs de manière générale et encore plus cette fois-ci, aux yeux des électeurs de Donald Trump, pour qui les attentes sont très grandes : il a suffisamment été relevé par la plupart des commentateurs que l’Amérique qui a porté le candidat républicain au pouvoir a été motivée par une profonde colère, voire une désespérance. Les discours assurant qu’il allait "nettoyer le bourbier", en visant les élites de Washington, ont donc fait naitre l’espoir que cet homme-là serait enfin un homme de pouvoir très différent, qui ne ferait aucun compromis avec les lobbies, les groupes politiques ou les intérêts divers et variés.  On ne peut donc qu’être surpris de l’entendre exprimer ses premiers renoncements en matière de promesses de campagne. 

La réalité est bien plus complexe et simple à la fois : Donald Trump, qui n’a aucune expérience politique, n’a aucune idée claire du monde dans lequel il vient d’entrer. Sa conception est une vision romantique du pouvoir dans laquelle il s’imagine dans le rôle de celui qui est au-dessus de la mêlée. Maintenant qu’il a été élu, il se voit un peu comme un roi qui doit protéger ses sujets. Ses premiers mots on donc été aimables et rassurants pour tous, ses supporters comme ses opposants. Ainsi, après avoir tweeté rageusement contre les manifestants qui se massent devant sa tour Trump, à New York, il a ensuite insisté dans un autre tweet sur leurs passions communes pour l’Amérique. Avec Barack Obama, il a mis de côté toutes ses accusations, insultes et attaques qu’il a pourtant multipliés pendant la campagne, pour signifier que c’était un grand homme, et "très classe". Même chose à l’égard de Bill Clinton, puis d’Hillary, la concurrente battue, "incompétente et corrompue" la veille et qui devient "forte et intelligente." D’ailleurs, pour tout dire, le couple Clinton est "charmant", à ses yeux, désormais. 

Et, surtout, Donald Trump découvre les dossiers un à un. C’est désormais très différent de ce qu’il a l’habitude de faire et il lui faut trouver sa place. Pour autant, il ne changera pas sa nature profonde : c’est un intuitif et un impulsif. Or, son sentiment est qu’il faut, là aussi, composer pour donner un peu de part du gâteau à tous, même à ceux qui ne l’ont pas soutenu. Sur ses thématiques fortes, même si la moindre variation est observée, il n’hésite donc pas à indiquer qu’il conservera du plan de son prédécesseur les deux mesures les plus populaires de l’Obamacare. C’est  une vraie rupture avec sa promesse de campagne de faire table rase de l’existant pour le remplacer par quelque chose de "bien plus efficace et pour moins cher". On peut considérer pourtant que son électorat ayant davantage voté pour une promesse générale de changement, une attitude et une démarche plutôt que des mesures précises, il peut se le permettre.

>>>> A lire aussi : Administration Trump : des choix de nomination ultra-contestables qui pourraient pourtant constituer une stratégie gagnante

Sur le programme socio-économique de François Fillon : "il est trop brutal pour pouvoir séduire les classes populaires"

Laurent Chalard : Les résultats des dernières consultations électorales dans plusieurs pays développés (Brexit, Donald Trump…) montrent qu'aujourd'hui la question économique n'est plus la question primordiale pour les classes populaires. C'est désormais la question identitaire, en particulier la question de l'immigration. Le premier élément qui détermine que les gens choisissent un candidat plus qu'un autre, c'est la position de ce candidat vis-à-vis de l'immigration. Les classes populaires sont plutôt hostiles à l'immigration, donc le candidat tenant le discours le plus ferme sur cette question migratoire est celui qui a le plus de chances de récupérer la majorité de leurs suffrages.

On l'a constaté de façon assez impressionnante aux Etats-Unis avec le vote Donald Trump et à travers les réactions post-électorales : ceux qui ont voté pour Donald Trump sont ceux qui ont voté avant tout contre l'immigration. C'est exactement la même chose pour le Brexit : on a très bien vu que le moteur principal du vote pour le Brexit n'était pas du tout la question économique ou le fait que le Royaume-Uni serait dupé par l'Union européenne, mais bien l'incapacité de l'UE à gérer la crise des migrants.

Une fois dit cela, au niveau du vote sur la question économique, il y a eu un certain basculement puisque traditionnellement les classes populaires étaient majoritairement favorables à l'Etat-providence et à un programme d'aides sociales. Aujourd'hui, elles le sont beaucoup moins pour la bonne raison qu'elles ont l'impression que les aides de l'Etat servent essentiellement les populations d'origine étrangère. Certains discours ultra-libéraux, qui au premier abord pourraient faire fuir l'électorat populaire, ne le font plus car finalement ça ne lui fait pas plus peur que cela. Quand François Fillon dit 500 000 fonctionnaires en moins, ce n'est pas un élément qui fera pencher l'électorat pour ou contre lui.

Penser qu'il n'y a que la question économique qui mobilise cet électorat est très réducteur. Mais cela a changé. Il y a 20 ans, on n'aurait pas dit ça…

Sur l'Etat Islamique : "ils nous attaquent car la France intervient militairement en Syrie"

Alexandre del Valle : L'attentat de Berlin nous apprend que les terroristes ne nous détestent pas pour ce que nous faisons de mal ou de bien (le colonialisme, les bombardements en Syrie ou en Irak) mais pour ce que nous sommes. Nous avons affaire à un totalitarisme chariatique qui veut répandre sa vision totalitaire et théocratique de l'islam dans le monde entier. Leur stratégie de la tension et de la terreur repose sur un terrorisme psychologique qui vise à terrifier des populations en attirant les médias pour faire parler d'eux. Leur but est de tuer un Occidental parce qu'il est occidental, peu importent ses origines. Personne n'est pardonné, pas même un régime pro-immigrés comme l'Allemagne qui a accueilli de nombreux réfugiés, dont des islamistes.

Dans les années 2000, certains considéraient qu'Israël était la source du djihadisme et que si l'Occident avait défendu les Palestiniens, n'avait pas aidé les Israéliens et ne s'était pas engagé dans la guerre d'Irak, il aurait été épargné. L'attentat de Berlin invalide cette idée puisque l'Allemagne n'est pas dans une optique interventionniste, elle ne participe pas à des guerres à l'étranger contre des pays musulmans, elle accueille des islamistes sur son sol et elle est victime d'attentats.

Que l'on soit pro-israélien ou anti-israélien, pro-américain ou anti-américain, un pays colonial ou pas, islamophobe ou islamophile, nous sommes, aux yeux des islamistes, des Européens mécréants considérés comme des ennemis. C'est notre nature même de mécréant qui est détestée.

>>>> A lire aussi : Terrorisme islamiste : l’Europe dans le tourbillon d’une nouvelle guerre de trente ans (à moins que ce ne soit 50 voire 80 ?)

Sur le chômage : "si les entreprises n'embauchent pas, c'est parce qu'elles paient trop de charges"

Nicolas Goetzmann : A une telle d’affirmation, il est possible de répondre par la positive mais il convient de contextualiser. "Tu as parfaitement raison sauf que". Car en temps "normal" c’est-à-dire lorsque la demande est proche de son niveau d’équilibre, une baisse des charges a bien un effet positif sur l’emploi. "Tu as donc raison". Sauf que nous ne sommes pas en temps normal, et que l’Europe souffre aujourd’hui d’une crise de la demande, qui se traduit dans la réalité par une croissance et une inflation proches de 0. (Et la demande est la somme des deux). Ce qui signifie que la baisse de charges que tu proposes n’aura aucun effet sur le taux de chômage actuel. Une telle baisse des charges reviendrait à soigner un ongle incarné à une personne qui vient de se faire renverser par un 38 tonnes : c’est très bien, mais ce n’est vraiment pas la priorité, parce que le patient va y passer. De plus, il suffit de regarder les résultats du CICE, qui est un plan de baisse de charges, pour se rendre compte que les effets ne sont pas vraiment au rendez-vous.

>>>> A lire aussi : Le faux problème qui complique les débats français ? La vérité sur le coût du travail dans l’hexagone et La grande farce de la modération salariale ou l'aveu du patronat français de son renoncement à la croissance

Sur les réformes dont la France a besoin : "la solution, c'est le modèle allemand"

Eric Verhaeghe : La prospérité allemande est tout sauf le produit d'un modèle exportable. Si, effectivement, une part de la prospérité de l'Allemagne s'appuie sur des caractères reproductibles (mais difficilement...) comme une excellence industrielle reconnue, et qui lui permet de vendre à n'importe quel prix, c'est surtout grâce à des circonstances politiques exceptionnelles que l'Allemagne s'est enrichie et continue à s'enrichir. En particulier, la prospérité allemande repose sur l'accès à un espace économique qui lui apporte une main-d'oeuvre peu chère et des débouchés importants. Cet espace, qui correspond aux pays d'Europe de l'Est après la chute du Mur, est une constante dans la construction historique de la Prusse, depuis Frédéric jusqu'à Angela Merkel en passant par le IIIè Reich. Ce bassin de prospérité a pu se construire avec la complicité coupable d'une élite française qui, après 1989, a fait le choix d'une  forme d'europolitisme, voire de cosmopolitisme, en nourrissant des mythes mensongers, comme celui de l'unité d'intérêt entre la France et la Prusse. Grâce à cette candeur, l'Allemagne a pu graver dans le marbre des choix de politique économique comme l'euro fort ou le désinvestissement public qui affaiblissent la France. Pour faire repartir l'économie française, il faut certes rétablir les comptes publics et remettre l'administration sous contrôle, notamment en supprimant de larges couches de réglementations, mais il faut aussi lancer un New Deal qui donnera un coup de fouet à l'investissement. Projet qui est aux antipodes du projet prussien.

Nicolas Goetzmann : Pour imiter les allemands, il faut déjà savoir ce qu’a fait l’Allemagne. Au début des années 2000, le gouvernement, le patronat et les syndicats se sont mis d’accord pour que les salaires arrêtent de progresser. Entre 2000 et 2005, la part des salaires va fortement baisser dans la valeur ajoutée, alors que les profits des entreprises vont augmenter de façon considérable. Jusqu’ici, on peut considérer que tout va bien, l’objectif de "compétitivité" semble être atteint. Mais le trou apparaît à ce moment-là. Car selon la phrase de Helmut Schmidt, "les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain". Et justement, les nouveaux profits récoltés par les entreprises allemandes n’ont pas été investis en Allemagne. Au moment où les profits ont augmenté, la part des investissements a baissé dans le PIB. Parce que les entreprises allemandes ont investi à l’étranger et non en Allemagne. Pour une raison simple, quel est l’intérêt d’investir dans un pays ou les salaires stagnent et ou la démographie est déclinante ? Pour faire simple, elles ont financé leurs exportations. Voilà pourquoi l’Allemagne dispose d’un surplus de compte courant. Le problème est que si ce type de politique se reproduit ailleurs dans la zone euro, elle va agir comme une compétition salariale négative sans fin. Il ne s’agit pas d’œuvrer pour un intérêt général européen en mettant l’accent sur la demande intérieure comme le font les Etats Unis, mais de mener une lutter à mort à l’intérieur de la zone euro. Si la "côte d’amour" de la zone euro est un peu en berne, cela n’est pas tout à fait sans raison.

>>>> Et l'argument qui achèvera vos adversaires : Et paf dans le pif du modèle allemand : si l’Allemagne avait la démographie de la France, elle serait à 11% de chômage

Sur l'austérité : "on ne pourra pas s'en sortir sans en passer par là"

Nicolas Goetzmann : C’est un point de vue moral, pas un point de vue économique. Les politiques d’austérité qui sont restées célèbres, comme la Suède et le Canada des années 90, avaient ceci de particulier qu’elles n’étaient pas une pure austérité. Il s’agissait d’un «policy mix" combinant une politique budgétaire restrictive et une politique monétaire expansionniste. Ce que le budgétaire prend d’une main, le monétaire le redonne de l’autre. C’est la politique menée aujourd’hui au Royaume Uni avec un certain succès (chômage de 6% et croissance de 3%). Mais ce n’est pas du tout la même chose que la politique européenne qui consiste en une double austérité ; budgétaire et monétaire. Car une stratégie du tout "austéritaire" à l’européenne n’a pas de précédent heureux. L’Europe des années 30 avant les dévaluations ? La Grèce ? L’Espagne ? Le Portugal ? Tout ceci est fait pour que la "confiance" soit de retour. Mais cette notion de confiance ne repose sur pas grand-chose, sinon sur les anticipations des agents économiques. Et ça, c’est précisément le rôle d’une Banque centrale, c’est-à-dire de contrôler les anticipations des agents économiques. D’où le succès du Canada, de la Suède, et du Royaume Uni aujourd’hui : l’austérité est possible si, et seulement si le pouvoir monétaire agit en soutien.

Sur l'immigration : "de toute façon, on ne peut s'en passer économiquement"

Laurent Chalard : Contrairement à certains de ses voisins, comme l’Allemagne ou l’Italie, la France n’a théoriquement plus besoin aujourd’hui d’une immigration importante, du fait d’un indice de fécondité proche du seuil du renouvellement des générations (2 enfants par femme environ). Sauf évolution future à la baisse de la fécondité, le maintien du niveau de main d’œuvre, souci premier des économistes, est donc quasiment assuré dans les prochaines décennies. Cependant, dans certains secteurs d’activité, le recours à l’immigration demeure indispensable du fait de l’impossibilité de trouver de la main d’œuvre résidente en France (qu’elle soit issue de l’immigration ou non) souhaitant travailler et/ou étant compétente dans certains domaines (pensons au BTP). L’incapacité plus particulièrement à insérer correctement sur le marché du travail une partie des enfants issus de l’immigration contraint la France à continuer d’importer de la main d’œuvre, d’où l’enjeu majeur de l’éducation et de la formation professionnelle des populations déjà présentes sur notre territoire. En effet, dans un contexte de chômage de masse, il paraît fortement regrettable de ne pas pouvoir trouver sur place la main d’œuvre nécessaire au bon fonctionnement de l’économie française.

>>>> Pour en savoir plus : La France n'a pas besoin d'immigration et autres enseignements sur l’emploi que révèle l’étude de notre démographie à horizon 2030

>>>> Et pour en finir avec les faux débats sur le sujet : L’immigration, chance ou menace pour la France ? 10 choses qu’on oublie un peu vite quand on essaie de répondre à la question

Sur Poutine : "ça, c'est un dirigeant"

Cyrille Bret : Les succès brutaux du président russe, doublés d’un sens aigu de la provocation contrôlée et d’un art consommé du contrepied, ne doivent toutefois pas obscurcir le jugement. Loin d’imposer ses volontés à l’Europe et aux Européens, Vladimir Poutine est surtout un tacticien de crise. La prétendue restauration de l’empire soviétique tant soulignée par ses thuriféraires comme par ses opposants, n’est pas à l’ordre du jour.

Comme nous l’avions souligné au début de la crise ukrainienne (voir ici), la ligne d’action des autorités russes est moins dictée par une ligne offensive que par la défense angoissée de lignes rouges.

En politique extérieure, le prix consenti par la présidence russe est exorbitant : tous les efforts de communication liés aux événements internationaux (Jeux olympiques, G20, Coupe du monde, etc.) ont été annulés par la défense des intérêts russes à ses frontières. Loin d’être un empire en essor, la Russie lutte aujourd’hui à ses portes pour préserver des lambeaux de son influence en mer Baltique et dans la Mer noire. Vladimir Poutine n’est pas l’imperator triomphant qu’on se complaît à décrire. Il est le dirigeant d’une puissance de second ordre qui peine à garantir sa zone d’influence.

En matière économique, la Russie fait face à une triple crise : monétaire (-40% de dépréciation du rouble face à l’euro depuis 2013), financière (fuite massive de capitaux et interdiction d’accès aux marchés financiers internationaux) et commerciale (dégradation de la balance commerciale notamment en raison de la chute du prix des hydrocarbures en dessous des 100 US$ le baril de pétrole sur lequel les finances publiques russes sont bâties. Loin de trouver dans le gaz « l’arme absolue » pour « mettre à genoux » l’Europe, la Fédération de Russie a vu sa dépendance aux capitaux, aux importations et aux technologies européennes lui être cruellement rappelée. A l’opposé d’un potentat de l’énergie européenne, le président russe devient graduellement est progressivement poussé vers les marge de la mondialisation,

>>>> Lire également Faible en Russie, fort en Europe de l’Ouest : pourquoi nous ne comprenons pas la puissance réelle de Poutine

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