"La France périphérique" ou comment, avec l'aide du PS et de l'UMP, le FN en est arrivé là <!-- --> | Atlantico.fr
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Une militante FN aux dernières élections municipales.
Une militante FN aux dernières élections municipales.
©Reuters

Un livre, un débat

Conspué par la gauche "officielle", il maintient, envers et contre tout, qu'il en est toujours,"de la gauche", qui le consulte officieusement — comme le fait, d'ailleurs, la droite. Dans "La France périphérique", Christophe Guilluy présente une nouvelle "géographie de la France" qui explique comment les classes populaires en sont venues à voter FN. Il explique aussi pourquoi le système politique actuel est voué, à court terme, à voler en éclats. Catastrophiste, Guilluy ? Surtout constructif, lucide et très remonté contre l'hypocrisie du PS et de l'UMP — à égalité

Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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Christophe Guilluy

Christophe Guilluy

Christophe Guilluy est géographe. Il est l'auteur, avec Christophe Noyé, de "L'Atlas des nouvelles fractures sociales en France" (Autrement, 2004) et d'un essai remarqué, "Fractures françaises" (Champs-Flammarion, 2013). Il a publié en 2014 "La France périphérique" aux éditions Flammarion et en 2018 "No Society. La fin de la classe moyenne occidentale" chez Flammarion.

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BL : Dans votre livre, vous proposez une toute nouvelle "géographie" de la France. Il y a, d'un côté, les métropoles, riches, et de l'autre "la France périphérique", pauvre, qui est désormais majoritaire, dites-vous, puisqu'elle regroupe 90 % des communes françaises et 60 % de la population. Vous êtes parti de quoi, au départ, d'une intuition ?

Christophe Guilluy : Je suis géographe, mais ce n'est pas le territoire qui m'intéresse. Mon sujet, ce sont les catégories modestes : le petit employé, le petit ouvrier, le petit fonctionnaire territorial... C'est à partir de ces catégories que j'arrive au territoire. Quand on étudie ces catégories sociales, on constate qu'elles sont majoritaires en France, mais qu'on n'en entend plus parler. On constate, surtout, qu'on ne les voit plus dans les grandes métropoles. Les seules catégories populaires qu'on y trouve, ce sont les populations immigrées de banlieue... Tout le reste a disparu des écrans radar. Si ces catégories populaires ne sont pas là, c'est qu'elles sont au-delà des grandes métropoles, dans ce que j'appelle "la France périphérique". Si j'emploie le mot "périphérique", c'est parce qu'on ne peut pas la définir comme "urbaine" ou "rurale". Elle regroupe en effet à la fois des petites villes, des villes moyennes et des zones rurales. Elle ne correspond pas non plus à la France de la "classe moyenne". Ce terme est dépassé, pour la simple et bonne raison qu'aujourd'hui, il n'y a plus de classe moyenne en France — ce que les politiques et les media ne veulent pas admettre. Le fait est que la représentation de la classe moyenne est rassurante. Il est tellement plus simple de dire : "La France, c'est 80 % de population urbaine, 20 % de population rurale, la classe moyenne est majoritaire"...

Le PS, comme l'UMP, sont les partis de la France des métropoles. Leur sociologie, soulignez-vous, est quasi identique...

Ce sont les partis de la France gagnante. Le socle électoral de l'UMP et celui du PS sont constitués d'une part, par les gagnants de la mondialisation, d'autre part, par les catégories protégées de la population : les retraités à droite, les fonctionnaires à gauche. Partant, on voit mal comment l'UMP et le PS pourraient prendre en compte les attentes des classes populaires...

De fait, vous le soulignez : la "France périphérique" recoupe la carte du vote FN...

Elles se recoupent, en effet, mais il faut apporter une précision. Marine Le Pen n’arrive à capter qu’une partie du potentiel électoral gigantesque de la France périphérique et des classes populaires : il reste en effet énormément d’abstentionnistes. Même si l'on n'en a pas forcément conscience, il se passe plein de choses dans la France périphérique, des initiatives sont prises, comme celle des « Nouvelles ruralités », qui sont de gauche. Le FN n’est pas sur le terrain, il ne structure pas la vie des gens. Il n’a rien à voir avec ce qu’a pu être le Parti communiste dans les années 50. Le FN est visible en période électorale, c’est une caisse de résonance, mais pas plus. Pour le moment, le FN est tranquille : il n’y a personne en face de lui. Il y a un potentiel électoral très important pour celui qui saura porter un vrai projet alternatif.

Vous indiquez que l'électorat du FN correspond à l'ancien électorat de gauche...

L'électorat du FN est constitué par les classes populaires, les jeunes et les actifs. Mélenchon rêverait d'avoir l'électorat du FN... S'il ne l'a pas, c'est à cause de la question identitaire, qui reste taboue à gauche. Etant "de gauche", je l'ai mesuré à mes dépens. Tant que je ne prenais en considération que des données économiques et sociales pour mes travaux, tout allait bien. C'est devenu beaucoup plus compliqué quand j'ai commencé à m'intéresser à l'immigration, au multiculturalisme, etc. Si j'ai pris cette direction, c'est par honnêteté : à partir du moment où mon sujet d'étude porte sur les classes populaires, je ne peux pas me boucher les oreilles alors que les gens me parlent de cela toute la journée. Récemment, un sondage a fait apparaître que 75 % des Français trouvent qu'il y a trop d'immigrés dans le pays. Ce sont de très gros chiffres, et l'on fait comme s'ils n'avaient aucun impact sur la société, comme s'ils n'en révélaient rien ! On est obligé d'en tenir compte. Ce que j'ai voulu montrer dans ce livre, c'est que nous sommes tous concernés par la question du rapport à l'autre, quelle que soit notre appartenance sociale.

Vous insistez effectivement sur le fait que les classes supérieures, qui prônent la mixité, n'y sont pas confrontées, à l'inverse des classes populaires... Il y a, dites-vous, une "frontière invisible" qui permet aux plus aisés de ne pas se frotter à l'autre...

Bien sûr. Sur ces questions, il faut toujours regarder ce que font les gens, pas se contenter d'écouter ce qu'ils disent. Le bobo parisien qui contourne la carte scolaire est exactement dans la même logique que l'électeur qui vote FN. Les deux veulent une frontière symbolique avec l'autre. D'un côté, vous avez le bobo qui a les moyens de la frontière invisible — qui peut contourner la carte scolaire et vivre dans un immeuble à peu près homogène socialement, y compris dans des quartiers multiculturels. C'est le type "Je vis dans un quartier multiculturel, dans un loft à 1 million d'euros avec des voisins qui me ressemblent et mes enfants qui ne vont pas au collège du coin". Le multiculturel comme ça, c'est très sympathique... Inversement, le chômeur à Hénin-Beaumont ou ailleurs, sait, lui, que la cohabitation, si cohabitation il doit y avoir (car le cas est vrai dans des villages où il n'y a pas d'immigration), lui sera imposée. Si une famille rom ou tchétchène vient habiter à côté de chez lui, le type n'a aucune marge de manoeuvre. Il sera obligé de rester là, de scolariser ses enfants au collège du coin, il n'a pas le choix.

La logique qui le conduit à voter pour le FN ou pour la ligne Sarkozy-Buisson, après, coule très naturellement : "Si je n'ai pas les moyens, moi, de poser la frontière avec l'autre, hé bien, je demande à l'Etat de l'imposer". On constate, en réalité, que sur toutes ces questions, les hommes, qu'ils soient de gauche, de droite, d'extrême gauche, d'extrême droite, pensent exactement la même chose. Dans le sondage Ipsos qui faisait apparaître que 75 % des Français trouvent qu'il y a trop d'immigrés, l'électorat mélenchoniste était à 55 %... Cela ne veut pas dire que tout le monde est raciste, ou dans la haine. Cela veut seulement dire que la présence de l'autre est en elle-même, et pour tout le monde, anxiogène. Elle est anxiogène parce qu'aujourd'hui, nous vivons dans une société multiculturelle, ce qui change complètement la donne. La société où l'autre devient soi, c'est fini. Nous sommes dans une société où l'autre ne devient pas soi — et quand l'autre ne devient pas soi, nous avons tous besoin de savoir combien va être l'autre.

Surtout quand on n'a pas les moyens de partir, de bouger... La France périphérique, vous le soulignez, est sédentaire, contrairement à celle des métropoles qui est mobile, qui a les moyens de bouger, elle...

Quand on vit dans une zone où il n'y a pas de création d'emplois, que l'on a des revenus modestes ou que l'on est au chômage, il devient très difficile de bouger. C'est comme un cercle vicieux.

Vous notez un phénomène intéressant : les immigrés précaires qui sont présents dans les métropoles ont, eux, la possibilité d'évoluer socialement. Comme ils vivent dans une zone d'emploi dynamique, ils bénéficient, dites-vous, d'une "sorte de discrimination positive", contrairement aux "petits Blancs" cantonnés dans la France périphérique...

Attention à ne pas généraliser : tous les immigrés précaires travaillant dans les métropoles ne bénéficient pas d'un "ascenseur social". Mais le fait est que le territoire, là encore, a évolué. En région parisienne, la Seine-Saint-Denis a été absorbée par la métropole : elle se retrouve au centre, alors qu’il y a trente ans, elle en était très éloignée. Ainsi, les banlieues, aujourd’hui, se retrouvent au cœur des zones d’emploi les plus actives et des villes les plus riches de France. Cela ne veut pas dire que les gens qui y vivent vont forcément réussir mais, au moins, ils sont là où ça se passe. Lorsqu’on vit dans un village du fin fond de la Picardie avec des revenus modestes, il est très difficile de pouvoir prendre ne serait-ce qu’une chambre de bonne dans la métropole régionale où se trouve le travail. De même, quand on perd un emploi en Bretagne intérieure, le pays des Bonnets rouges, le retour à l’emploi est très compliqué… Après la fermeture de Moulinex, une étude a été menée qui a fait apparaître que personne, dans le personnel, n’avait retrouvé d’emploi. A l’inverse, quand vous perdez un emploi en région parisienne, il reste quand même des possibilités de rebondir. Un plan social en région parisienne, c’est aussi, derrière, d’autres entreprises qui se créent. Cela ne veut pas dire que je suis "pour" le modèle des métropoles, la question n'est pas là...

Vous dites : "la question est de savoir si le "modèle métropole" fait société ou pas", et cela d’autant plus que la réforme territoriale va conduire à un renforcement des métropoles…

Le modèle mondialisé, métropolitain, ne peut pas permettre d’intégrer tout le monde. Cela fait vingt ans qu’on nous explique le contraire, et vingt ans que l’on constate que cela ne fonctionne pas. J’ai suivi les initiatives du mouvement « Nouvelles ruralités » créé par quatre départements PS ruraux, la Nièvre, la Creuse, l’Allier et le Cher. Ces quatre conseils généraux se sont dit : « Le modèle des métropoles ne viendra pas jusqu’à nous, essayons de repenser un projet économique sur nos territoires ». Ils partent du principe qu’ils ont certes des faiblesses, mais qu’ils possèdent aussi des atouts. L’idée est de repenser en local. Pour vous donner un exemple, dans la Nièvre, où le vieillissement est important, ils réfléchissent au développement d’entreprises de domotique. Ce qui est étonnant, c’est que ces conseils généraux, qui sont PS, ont beaucoup de mal à se faire entendre du gouvernement… C’est bien la preuve que la fracture politique traverse les partis. Anne Hidalgo n’a pas les mêmes intérêts que le PS de la Nièvre. Juppé, à Bordeaux, a une vision très métropolisée de la société française, je ne suis pas sûr qu’un UMP local partage ses vues… Quand on me dit que je tiens un discours contre les métropoles, c’est faux : les métropoles créent deux tiers des richesses françaises, il est évident qu’on ne va pas s’en priver ! C’est un modèle qui marche : un modèle mondialisé, libéral, et très inégalitaire. C’est tout le paradoxe : les territoires les plus inégalitaires sont ceux qui créent le plus de richesses et d’emplois.

Faut-il, pour autant, admettre que l’inégalité est inévitable, que c’est un paramètre avec lequel on est obligé de composer ?

Les emplois des grandes métropoles sont soit très qualifiés, soit sous-qualifiés et sous-payés, comme ceux que l’on trouve dans le BTP ou la restauration… C’est un modèle qui repose sur l’exploitation de populations sans droits, mais qui marche bien. Cela marche d’autant mieux que toute la création d’emplois intermédiaires a disparu. Dans les grandes métropoles, on est ou en haut, ou en bas, il n’y a pas de milieu. C’est le modèle des classes dirigeantes. Je ne veux pas dire qu’il faut le supprimer, puisqu’il marche.

La question est : comment on intègre le reste ? Pour ce qui est d’apporter une réponse, force est de le reconnaître : les politiques sont en panne. Il leur est très difficile de parler de ces territoires-là. Quand vous commencez à parler des territoires ruraux, des petites villes, on vous rétorque aussitôt : « Tu nous parles des petits Blancs ». J’explique quand même dans mon livre que les DOM-TOM font partie de la France périphérique, puisqu’il n’y a pas de métropole dans ces territoires et que les gens sont très fragilisés socialement. Faut-il le rappeler ? Les DOM-TOM, ce ne sont pas "les petits Blancs". Si on me reproche de ne m’intéresser qu’aux petits Blancs, c’est juste à mon avis pour éviter le débat de fond : quel modèle économique, non pas alternatif, mais complémentaire du modèle des métropoles faut-il mettre en place ? Je rêverais d’une classe politique structurée autour de ces deux modèles. La démocratie, c’est quand même l’affrontement, l’engueulade, c'est ce qui permet d’éviter la violence. Or la démocratie est devenue aujourd'hui une espèce de consensus mou sur des sujets mous où rien ne clive. Ce qui devrait animer le débat et ferait, d’ailleurs, revenir les gens vers les urnes, ce sont les questions qui clivent.

Puisqu'on parle de revenir aux urnes et donc d'élection, dans l’interview qu’il a donnée lors de son « retour », Nicolas Sarkozy a dit que le clivage droite-gauche était dépassé, que tout s’articulait, ou devait s'articuler, désormais autour de la question de la mondialisation, exactement comme vous…

Oui, c’était assez drôle ! Je l'avais rencontré quand il était à l'Elysée, en 2011. Cela m'avait valu une volée de bois vert de la part de "l'intelligentsia". Depuis, j'ai rencontré François Hollande, ainsi que Manuel Valls. Moi, je tiens le même discours à tout le monde. Après, qu'est-ce qui rentre dans la tête d'un politique... ? Un politique rencontre des gens pour savoir comment gagner la prochaine élection...

A ce propos, vous établissez un parallèle entre la ligne Terra Nova et la ligne Buisson...

La note de Terra Nova qui préconisait à la veille des présidentielles 2012 de s'appuyer sur l'électorat des minorités est horrible, cynique, mais elle est en même temps pertinente par rapport à ce qu'est la gauche et à ce que pourrait être son électorat. La gauche a joué le "petit Beur" quand la droite Buisson, elle, a misé sur "le petit Blanc". Les deux stratégies se répondent. Il faut être conscient en même temps que si, demain, Sarkozy estimait nécessaire de conquérir l'électorat des banlieues, il tiendrait un discours totalement islamophile. Aujourd'hui, les politiques s'adaptent à leur électorat potentiel. Je crois profondément, et depuis longtemps, que les partis politiques ne sont rien d'autre qu'un reflet de leur sociologie électorale.

Et aujourd'hui, selon vous, c'est le territoire qui détermine la sociologie électorale...

On entre en effet dans un nouveau paradigme. Hier, c'était plutôt les classes sociales qui dictaient leur politique aux partis. Aujourd'hui, le territoire est déterminant. Du coup, il y a quelque chose qui vient traverser les partis-mêmes. Il y a autant de différences entre le PS parisien et le PS de la Nièvre qu'entre l'UMP parisien et l'UMP de la Nièvre. Inversement, je crois que le PS de la Nièvre et l'UMP de la Nièvre sont proches sur les "fondamentaux". La fracture, en réalité, traverse les partis. C'est ce qui fait que les partis ont du mal à tenir un discours clair. Le PS, c'est quoi ? Un parti de gauche, un parti libéral, un parti social-libéral ?

La croissance de la France périphérique conduit à l’éclatement du système politique actuel, dites-vous…

Je ne vois pas trop comment on peut tenir… J’essaie d’être rationnel : honnêtement, « idéologiquement » parlant, qu’est-ce qui empêche aujourd’hui Alain Juppé de faire alliance avec Gérard Collomb à Lyon ? Quelle est la différence de fond, entre le social-libéral et le libéral-social ? Ils sont à peu près d’accord sur tout. Encore une fois, ce n’est pas une critique, ça me paraît même cohérent.

Cela veut dire que c’est une voie à explorer, selon vous ?

Le problème, ce sont les appareils… Dans l’absolu, cela me paraîtrait rationnel que cela se structure comme cela parce que je ne vois pas de différence entre la droite libérale, le MoDem et le PS. En face, il y a quelque chose de complètement éclaté : un questionnement autour de la question sociale et des catégories populaires, de leur rapport à la mondialisation, au protectionnisme, à l’immigration. Sur ces sujets, le FN est en pointe. Chevènement avait essayé d’y aller mais il s’est arrêté à la question de l’immigration, ce qui l’a tué électoralement. Tout cela est en mouvement, en gestation, rien n’est figé. C’est pour cela qu’il est important qu’un parti se colle enfin à ces sujets et monte un projet complémentaire à celui de la mondialisation. Je dis cela alors que je ne crois plus du tout à la classe politique française. Je ne crois pas plus à « l’homme providentiel » qu’aux socialistes qui, sur le terrain, me disent qu’il faut stopper l’immigration et qui, le soir, à la télé, expliquent qu’il faut ouvrir les frontières. Prenez Montebourg et Filipetti, les deux ministres qui ont tenu les discours les plus anti-américains possible et qu’on retrouve à la une de « Match » en train de se prendre en photo à Los Angeles (rires) ! Dans le fond, je pense que ce sont des gens sans plus aucun pouvoir.

Vous dites que c’est grâce au vieillissement de la population française qu’ils se maintiennent au pouvoir…

Ils tiennent leur pouvoir des retraités, à droite, et des fonctionnaires, à gauche. Comment voulez-vous faire bouger la société française en direction des catégories modestes si vous n’êtes pas leur représentant ? Ils sont dans la posture, le discours, la façade. Ce sont devenus de simples et purs communiquants. Prenez Sarkozy et Valls : ce sont les mêmes, deux experts en communication. Si Hollande se plante, c’est parce qu’il est mauvais en com'. A cela s’ajoute le fait qu’il s’est fait élire sur la base de l’anti-sarkozysme...

Il n'y a donc plus rien à attendre de l'UMP et du PS ?

Si l’UMP voulait renverser la table, ce serait très compliqué. L’UMP ne peut pas aller très loin sur la question des retraites, par exemple. Même chose au PS, qui ne peut pas se lancer dans une réforme de la fonction publique. Je suis sans illusion sur l’évolution des partis. Je vois mal comment on pourrait éviter une implosion des partis et une recomposition interne autour de vrais choix idéologiques. Le socle électoral de l’UMP et du PS ne suffit plus, il leur faut un peu plus. Mais comment voulez-vous que le PS se ménage, en même temps, le soutien du bobo parisien et du petit employé de la Nièvre ? L’un et l’autre n’ont pas du tout les mêmes attentes, il est impossible de leur tenir le même discours. C’est pour cela qu’il est plus que temps d’éclaircir le débat : il faut que les masques tombent. Sinon, on va droit vers encore plus d’abstentions et encore plus de FN. Même si les partis ont un électorat encore un peu captif, les réserves ne vont plus durer très longtemps…

Est-ce rassurant ? Ce qui se passe en France se passe aussi ailleurs. Il existe aussi, dites-vous, une "Angleterre périphérique"…

Mais il n’y a pas d’Allemagne périphérique. En Allemagne, il y a tout un maillage de micro-entreprises locales qui opèrent une vraie redistribution, une vraie intégration. Même chose en Autriche et dans une partie de la Suisse. Quand on regarde en revanche la Grande-Bretagne, une partie des Pays-Bas, ou même la Suède, on retrouve des territoires périphériques qui coïncident, là encore, avec la carte électorale des partis populistes. La logique métropoles mondialisées d’un côté, périphérie, de l’autre, fonctionne un peu partout. C’est ce qui porte les partis populistes partout. Et c’est ce qui pousse partout vers une recomposition politique. On ne peut pas avoir un parti populiste à 25-30 % sans que cela ne conduise à une révision de tout le paysage politique. Cela n’est qu’une question de temps.

Vous dites que le modèle alternatif va venir des classes populaires. N'est-ce pas un peu, disons... "angéliste" ?

Je présente dans mon livre une carte de « la France qui gronde », celle des Bonnets rouges, des nouvelles ruralités, des plans sociaux. Tout cela, c’est vrai, n’est pas très organisé. Il n’en demeure pas moins que la croissance des catégories modestes, fragilisées, pèse et va peser sur toute la société française. Ce poids n’est pas forcément négatif, il peut apporter des changements positifs. Les jeunes de la France périphérique ne sont pas mobiles comme ceux de la France des métropoles. Avoir de la matière grise disponible, à demeure, ce peut être une chance. Reste à structurer tout cela. Pour qu’un projet émerge, il faut qu’un parti, ou une force politique, s’empare de ces sujets. On sent bien que c’est un peu "tempête sous un crâne" dans les partis majoritaires… et c’est tant mieux. Nous sommes à un moment particulier. Il faut rester optimiste : la société change tout le temps, y compris sur ces territoires…

Sur ces territoires, vous soulignez pourtant qu’il y a un refus de la mixité…

La société multiculturelle n’a pas de contre-modèle. Nous, les Français, grands malins que nous sommes, pensions réussir à instaurer un modèle multiculturel différent du modèle anglo-saxon. Dans une société multiculturelle, se pose la question de la relation à l’autre, du rapport entre majorité et minorité. Le fonctionnement de la société multiculturelle, en gros, c’est : « Je peux fraterniser avec toi si tu es suffisamment loin, ce qui n’empêche pas la fraternité ». Cela est vrai dans les milieux populaires comme dans les milieux aisés. Dans le livre, j’ai, à dessein, donné des exemples de la façon dont on gère le rapport à l’autre ailleurs qu’en France, et plus particulièrement dans les pays émetteurs d’immigrés. On s’aperçoit que le rapport à l’autre est le même exactement partout.

Quand j’interviens en banlieue, je raconte l’histoire d’un village où un immigré arrive. Tout se passe bien. Sa famille arrive, le village l’accueille chaleureusement. Quand les cousins arrivent, et puis les cousins des cousins, là, les rapports se tendent. Je demande alors : "Où pensez-vous que se trouve ce village ?" Evidemment, on me répond : « Ca, c’est un village raciste du Sud de la France ! ». Quand j’explique que le village en question est en Kabylie et que les immigrés sont chinois, tout le monde se marre ! Cela permet de faire redescendre la tension. Il y a d’autres façons d’aborder ces questions. J’en ai marre qu’on me demande systématiquement si je suis raciste, parce que je traite de ces questions. Ce sont des questions universelles. A l’heure de la société mondialisée, qui génère une immigration massive, le rapport à l’autre concerne absolument tout le monde. Les gens ont du mal à intégrer l’idée que, quand on est minoritaire, on dépend de la bienveillance de la majorité. Si la majorité est bienveillante, tout va bien, sauf qu’on ne sait jamais combien de temps cette bienveillance va durer…

Vous ne croyez pas à une « révolution ». Si rien ne change, on se dirige plutôt, dites-vous, vers une « guerre à basse tension »…

Parce qu'elle pose inévitablement la question du rapport à l'autre qui, j'insiste encore, est la même pour tout le monde, la société multiculturelle est forcément une société sous tension. Les affrontements de cet été à Sarcelles l'ont bien montré. En même temps, c’est absolument normal. Puisqu’on vit un moment nouveau, historique, il est normal que ce soit un peu tendu. On ne peut pas être dans « La vie est belle » de Capra. Mais ce n’est pas forcément dramatique. Je garde espoir. Je suis moyennement optimiste, mais pas moyennement pessimiste (rires). La chape de plomb sur toutes ces questions est en train de se fissurer. Mais il reste du travail, les "gardiens du temple" sont encore là.

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