Voilà pourquoi une levée des brevets sur les vaccins anti Covid n’est PAS la solution au défi de la production de doses pour la planète entière<!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre du personnel soignant prépare une dose du vaccin russe Spoutnik V pour vacciner les personnes de plus de 60 ans contre le Covid-19 à La Paz en avril 2021.
Un membre du personnel soignant prépare une dose du vaccin russe Spoutnik V pour vacciner les personnes de plus de 60 ans contre le Covid-19 à La Paz en avril 2021.
©JORGE BERNAL / AFP

Production mondiale

L’administration Biden s’est déclarée favorable à la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins destinés à lutter contre la pandémie de Covid-19. Cette étape doit permettre d'accélérer la production mondiale de doses. Emmanuel Macron s'est également dit "tout à fait favorable" à la levée des brevets sur les vaccins. Le problème posé par ce défi est principalement celui des capacités industrielles de production sur une activité qui demande énormément de composants et de savoir-faire. Des solutions existent pourtant et le modèle à suivre serait plutôt celui mis en place par les États-Unis en mai 2020 avec l’opération Warp Speed.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Alors qu’une large partie de la population mondiale attend encore d’être vaccinée, la question de la levée des brevets continue de faire débat. Mais les brevets sont-ils vraiment le seul obstacle à la production mondiale de vaccins ?

Alexandre Delaigue : Non. Les vaccins, à la différence des médicaments, sont le fruit d’un processus de fabrication très particulier qui nécessite des équipements très précis. Ce sont des chaînes de production qui sont beaucoup plus complexes et qui font appel à des composants qui viennent de multiples endroits. On a donc un système de chaînes de valeurs dans la production qui fait appel à des dizaines de composants et à des sites de productions qui doivent correspondre à des normes qui sont beaucoup plus strictes (puisqu'on a affaire à un produit injecté) que pour des molécules pharmaceutiques plus traditionnelles. La production en grande quantité avec des chaines de productions homologuées et l’approvisionnement en intrants nécessaires, c'est ça qui est le principal obstacle à la production pour l’heure.

Si par exemple Moderna cède son brevet à un pays qui veut construire une usine, il faut encore qu'ils acceptent d'homologuer l'usine en question. Donc il faut tester le processus de production. C'est quelque chose qui prend du temps et qui n'est pas garantie d'avance. On n'est pas comme pour un médicament, où à partir du moment où vous arrivez à synthétiser le principe actif, c'est la molécule qui fait effet. Dans le vaccin ce n'est pas seulement synthétiser le vaccin, il faut songer à tout un tas de questions de sécurité, de conservation, etc. Pour un produit qui est injecté et potentiellement vivant, la production est beaucoup difficile et les risques sont plus importants.

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C'est aussi pour ça que les entreprises veulent continuer de contrôler les chaînes de production même quand, par ailleurs, elles sont relativement ouvertes au fait de permettre la production sous licence. Par exemple, Moderna est une petite entreprise qui n'a pas de chaîne de production. Ils cherchent donc des partenaires dans l'industrie pharmaceutique à qui ils vont confier leur licence. C'est ainsi qu'ils ont fourni une licence à Sanofi. Ils veulent que le partenaire soit en capacité de produire car ils savent que le processus est beaucoup plus complexe que s’il s’agissait pour un médicament de synthétiser une molécule dont on connaît la forme.

Sur une activité qui demande énormément de composants et de savoir-faire, la question est donc davantage celle des moyens de production ?

Alexandre Delaigue : Lever les brevets ne permettrait pas d'augmenter la production instantanément. Les gains sont faibles comparés aux alternatives qui existent dans lesquelles on augmente l'échelle de production de sites qui existent déjà, dans lesquels on a déjà les techniques adéquates. Car il ne suffit pas de lever le brevet. Il y aussi des enjeux de formation, de transfert de connaissance et de technologie derrière. C'est quelque chose qui doit être volontaire de la part de l'entreprise, il faudrait que par exemple les gens de chez Pfizer aillent dans tel pays et forment les gens sur place. 

Peut-être qu'on aurait pu faire un autre choix l'an dernier. Mais là, l'urgence est plutôt de développer de nouveaux moyens de production et donc une demande solvable. Qu'est-ce qui est préférable ? Que le gouvernement dise qu’il est prêt à acheter X millions de doses tout de suite à un laboratoire qui peut les produire ou alors qu’on lui donne la licence, qu’il construise l’usine et essaye d’acquérir les bonnes techniques de production ? Au bout du compte, la seconde solution leur coûtera probablement beaucoup plus. On peut débattre dans l'absolu de l'intérêt des brevets pharmaceutiques mais dans la situation actuelle il serait largement préférable d'augmenter les capacités de production des usines existantes. Il faut aussi faire en sorte que l’investissement soit coordonné par les pays riches. Les vaccins ne coûtent pas si cher (une dose de Pfizer coûte 10 dollars), à l’échelle de nos énormes plans de relance, ce n’est pas grand-chose. 

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Quelles conséquences pourrait avoir une levée des brevets ?

Alexandre Delaigue : Aujourd'hui, on voit que AstraZeneca, qui avait signé un contrat avec l'université d'Oxford pour fournir des vaccins (au coût de production !) pendant 3 ans se voit intenter un procès par l'UE. On peut se douter que la prochaine fois qu'ils auront une telle proposition, ils y réfléchiront à deux fois. Aujourd'hui les laboratoires peuvent avoir l'impression que si leur production de vaccin fonctionne, on va leur demander de donner le brevet à tout le monde, et que si ça ne marche pas on va les envoyer au tribunal. On n'attire pas les mouches avec du vinaigre. A un moment donné, la proposition ne doit pas être trop déplaisante pour les laboratoires sinon ils vont se remettre à faire ce qu'on leur reprochait largement avant, c'est-à-dire ne plus s'intéresser aux maladies vraiment importantes et préférer aller vendre des médicaments hors de prix sur le marché américain où ils peuvent imposer les prix qu'ils veulent. Si on veut que les laboratoires aient envie d'aller sur ce type de technologie, on ne peut pas totalement faire abstraction de la question des incitations.

Pour acheminer des milliards de doses à la population mondiale, des chercheurs du Peterson Institute for International Economics (PIIE) proposent de s’inspirer du programme américain Warp Speed qui, en parvenant à faire collaborer de nombreuses entreprises concurrentes, avait garanti aux Etats-Unis un approvisionnement sans failles en doses de vaccins. Comment pourrions-nous le reproduire au au niveau mondial ?

Loïk Le Floch-Prigent : Les chercheurs du Peterson Institute for International Economics (PIIE) ont d’abord fait un travail tout à fait remarquable de description du programme américain qui a conduit à la mise sur le marché rapide de plusieurs vaccins contre le virus qui a dévasté le monde entier. Pour ceux qui doutent de l’engagement des chercheurs et de l’industrie pour résoudre les problèmes de la pandémie c’est une bonne leçon à méditer. Il y a eu à la fois mise en place des subventions et précommandes exceptionnelles en montants, mais surtout acceptation des risques correspondants dans les entreprises comme au niveau du Gouvernement. Cela pourrait être aussi l’occasion de mieux comprendre le fonctionnement de l’industrie du médicament et des vaccins avec dans chacun des cas une chaine d’approvisionnement compliquée. Le pari le plus important pour une innovation disruptive est d’engager des essais cliniques, c’est très cher et jusqu’au dernier moment un cas douteux peut faire vaciller des années de travail de façon définitive. Avant de montrer du doigt une industrie qui peut effectivement gagner beaucoup d’argent, il faut garder en mémoire cette peur de centaines d’individus d’échouer dans la dernière ligne droite, et même parfois après une mise sur le marché réussie ! Des affaires récentes et des procès retentissants ont bien démontré la fragilité de ce qui est lié à la santé humaine.  

Le programme américain a donc permis de faire travailler ensemble des institutions rivales et de multiplier les possibilités de réussir en allant dans toutes les directions depuis la Recherche, la production, le conditionnement et la vaccination elle-même, avec le sentiment de chacun que le gagnant allait être d’abord l’humanité tout entière. Pour une profession qui a été beaucoup plus humaniste à son origine  que ces dernières années car on a dénoncé à juste titre le comportement de « Big Pharma », il est bon qu’ elle ait enfin renoué avec ses origines, en particulier en ce qui concerne les vaccins qui ont toujours eu comme objectifs de prévenir les épidémies dont les plus pauvres étaient les premières victimes. C’est donc un retour à une tradition ancestrale des Pasteur, Koch et autres Mérieux et c’est une excellente nouvelle.

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Comment arriver à prolonger cet état de grâce ? La simple observation récente de la contamination galopante en Inde et des réactions de l’ensemble du monde pour essayer d’aider ce continent sur peuplé montre bien que l’on a compris la leçon de cette année et que l’ensemble de l’humanité sait désormais  que d’autres virus viendront dans un monde ouvert que nous souhaitons tous et qu’il va falloir une solidarité mondiale plus forte. Les pays riches auront la capacité de trouver des solutions, les feront payer à leurs populations, et finiront par donner aux pays déshérités le résultat de leurs travaux : il s’agit simplement d’organiser les choses pour que les escrocs ne viennent pas retirer de cette générosité une nouvelle manière de s’enrichir et cela ne va pas être si simple. Les bonnes âmes qui voudraient spolier les chercheurs et industriels qui ont souvent passé des jours et des nuits à chercher et trouver, à investir temps et argent, n’ont sans doute jamais réfléchi au travail qu’il reste à faire pour trouver d’autres vaccins pour les maladies malignes et en particulier les cancers à partir desquelles les nouvelles techniques utilisées contre la Covid avaient été lancées il y a une dizaine d’années sans succès probant encore aujourd’hui.

La fabrication d’un vaccin contre le Covid-19 demande une multitude de composants. Comment pallier une éventuelle pénurie d’intrants ?

Loïk Le Floch-Prigent : En ce qui concerne la pandémie actuelle on a une bonne idée de toute la chaine qui doit permettre de réaliser des vaccins dans tous les pays du monde, mais on a vu avec les premiers vaccins ARN Messager que la logistique du froid était essentielle et donc le fait que dans beaucoup de pays l’électricité ne soit pas encore abondante et bon marché est un handicap quasi-insurmontable. De la même façon si l’on sait quelles industries de matériel pourraient être rapidement montées dans tous les pays, encore faudrait-il qu’ils disposent d’infrastructures élémentaires leur permettant de les faire fonctionner. Et enfin les régimes dictatoriaux et confiscatoires sont encore fortement répandus dans le monde et il sera très difficile de faire comprendre à certains autocrates qu’ils doivent se préoccuper de la santé de tous et non de leur minorité confortable. Pour une grande moitié de la population mondiale, on doit savoir et pouvoir faire, pour l’autre moitié ce sera beaucoup plus difficile alors que les foyers de contamination devraient être tous traités. L’OMS, Organisation Mondiale de la Santé ne semble pas avoir eu la clairvoyance de préparer ce futur. C’est la raison pour laquelle les chercheurs de Peterson ont réfléchi à un système nouveau issu de l’expérience du programme américain qui, on l’ a vu, a connu un succès incontestable. 

Les chercheurs plaident pour la signature d’un accord sur l'investissement et le commerce des vaccins COVID-19 (Vaccine Investment and Trade Agreement). Comment pourrait-il faciliter la chaîne d’approvisionnement et de production et permettre cette organisation dans la distribution, production et conception à l’échelle mondiale (si les nouveaux variants l’exigent par exemple) de nouveaux vaccins ?

Loïk Le Floch-Prigent : L’idée directrice est de bâtir un traité mondial Covid Vaccine Investment and Trade Agreement, cela fait CVITA, à la mode des Universités qui aiment bien les sigles ronflants. Ce n’est qu’un ébauche, mais, dans la mesure où les USA ont été clairement les leaders nous permettant aujourd’hui espérer à la fois traiter la Covid 19 mais aussi tous les variants qui vont désormais se succéder, il faut certainement réfléchir à la fois à protéger les chercheurs et l’industrie pour que tous continuent à travailler, chercher, trouver, industrialiser, distribuer les vaccins actuels et les suivants, mais aussi traiter le monde entier en installant des fabrications partout où c’est possible. Cela exige un contrôle des intrants, de la conservation et de la destination des produits. Sans ce traité solennel on voit bien comment des produits frelatés (ou non) pourraient finir après des trafics odieux à arriver à bas prix dans des contrées reculées faisant la fortune de quelques trafiquants. On connait déjà suffisamment de faux médicaments issus d’on ne sait où qui sillonnent les continents africains et de l’Amérique du Sud. C’est donc un travail sérieux et urgent à entreprendre sans qu’il soit indispensable de faire des procès d’intentions aux pays qui ont fait les découvertes et qui ont effectué les premiers soins sur leurs populations. N’en déplaise à certains nous n’avons pas d’autre choix que de faire confiance à l’éthique des sociétés de conception et de production des vaccins, c’est-à-dire des industriels des vaccins.  

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