Valéry Giscard d'Estaing : « Brexit ou pas, l'Europe à 28 n’est pas gouvernable sans réformes profondes... » <!-- --> | Atlantico.fr
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Valéry Giscard d'Estaing VGE
Valéry Giscard d'Estaing VGE
©Thomas SAMSON / AFP

Vision européenne

Valéry Giscard d'Estaing avait accordé une de ses dernières interviews à Atlantico, à la veille du référendum sur le Brexit. Il tenait à alerter une fois de plus sur les risques pris par une Europe incapable de se réformer. Un entretien accordé à Jean-Marc Sylvestre.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Jusqu'aux dernières heures de sa vie, l’ancien président de la République se tenait au courant de tout et dans l’actualité, ce qui le préoccupait le plus c’était l’incapacité de l’Europe à gérer les contraintes de la modernité. Il a toujours continué de porter une attention et un intérêt très particulier à cette Europe qu’il a contribué à construire. C’est donc avec beaucoup de tristesse qu’il l’a vue se déliter ainsi. C’est avec beaucoup de dépit qu‘il a suivi les évènements qui se sont déroulés en Grande Bretagne, mais qui ne le surprenaient pas. C’est avec beaucoup de sévérité qu’il a jugé les derniers gouvernements, français notamment, qui n’ont pas su anticiper les difficultés.

Personne n’a oublié que c’est évidemment à son initiative et sous son mandat que l’Europe monétaire est née. Cette avancée historique n’a été possible que grâce à la solidité du couple franco-allemand et à l’amitié personnelle qui l’unissait au chancelier Helmut Schmidt.

Dès le lendemain du premier choc pétrolier qui risquait de mettre à terre les économies occidentales (en 1974), les deux dirigeants ont une l’intelligence de se retrouver pour engager l’Union économique et monétaire, seul moyen de résister ensemble aux risques nouveaux et surtout de réagir.

A l’époque, dans les années 1970-80, l‘Europe a donc porté un projet d‘avenir très ambitieux et cohérent qui offrait une perspective à toute une génération de jeunes français et allemands pour effacer concrètement les cicatrices de leurs parents.

Plus tard, beaucoup plus tard, cette Europe-là, qui était capable de générer une croissance partagée et solidaire s’est progressivement diluée. L‘Europe s’est élargie, mais les Européens ont pris peur et ont cru se protéger de la technocratie bruxelloise, en se repliant sur leurs égoïsmes nationaux. Alors qu’au même moment, la globalisation de la planète faisait tomber les frontières et ouvrait la porte à une concurrence débridée et violente.  Au même moment, les progrès de la technologie transformaient ce monde globalisé en village peuplé de gens tellement différents.

A la veille du referendum britannique qui doit permettre aux Anglais de décider si leur avenir continuera de se jouer au sein de l’Union européenne ou pas, Valéry Giscard d’Estaing était donc revenu sur les conséquences de ce vote qui va imprimer une évolution historique. A l’époque, les sondages donnent la Grande Bretagne sortante. L’OCDE, le FMI que dirige déjà Christine Lagarde, ou la Commission de Bruxelles ont tous sorti des scénarios catastrophes en cas de Brexit.

Dans cet entretien accordé en juin 2016, à la veille du referendum, VGE pense que la Grande Bretagne quittera l’Europe, et que l’Europe devra se réformer en profondeur si elle veut survivre. Mais il doute que les gouvernements européens et notamment en France auront la volonté et la capacité de réformer la gouvernance européenne. Il n’avait pas tort. Le Brexit sera effectif à la fin de cette année et l’Union européenne ne s’y est pas préparée.  Les Européens regrettent tous ce départ mais n’en ont tiré aucune leçon, pour changer la gouvernance. C’est une faute majeure parce que pour lui, la construction européenne reste l’évènement le plus important du siècle.

Valéry Giscard D’Estaing s’explique sur l’évolution européenne, la seule cause qui à ses yeux méritait l’attention des peuples parce que selon lui, l’Europe était le seul moyen de protéger les valeurs et l’indépendance dans un monde organisé autour des deux pôles que sont les États-Unis et la Chine.

Jean-Marc Sylvestre : Monsieur le président, est ce que vous imaginer la Grande Bretagne quitter l’Union européenne ?  Est-ce qu’un Brexit, c’est à dire une sortie, vous inquiète ?

Valéry Giscard d'Estaing : Je ne sais pas répondre à cette question. Je ne sais pas ce que les Britanniques décideront lors de ce référendum, je regarde les sondages, mais ce sont des sondages.

Cette affaire du Brexit est très liée à la psychologie britannique. Les Britanniques n’ont jamais été convaincu de l’intérêt de l’Union européenne. Donc ils peuvent très bien décider d’en sortir. Ils n’ont jamais eu de considérations particulières pour les Européens continentaux. Ils ne nous considèrent pas comme des gens très sérieux, et très performants. A leurs yeux, nous sommes de piètres managers. Ils pensent en plus que l‘Europe leur apparait très difficile à gérer, que Bruxelles est une énorme bureaucratie, ce qui n’est pas totalement faux.

Mais ce que les Anglais ne disent pas, c’est qu‘ils ont eux-mêmes rendu le fonctionnement l‘Union européenne très difficile.

Ils ont sans cesse demandé des exemptions d‘obligations et des régimes d‘exception, qu’on leur a d’ailleurs accordés. Plus grave, les Britanniques ont été les agents les plus actifs d’un élargissement sans réforme de gouvernance. J’ajoute que ce sont eux qui ressortent en permanence le projet d’admission de la Turquie.

Ils ont donc une perception très critique de l’Europe qu’ils ont contribuée à alourdir dans son fonctionnement et cette perception très critique les pousses aujourd’hui à souhaiter partir.   

Mais ce souhait-là paraît irrationnel, parce qu’ils vont en pâtir sur le plan économique ?

VGE : Absolument, leurs intérêts vont s ‘abimer...  Alors, il ne faut pas exagérer non plus. Si les Anglais sortent de l’Union européenne, ils démarreront des négociations bilatérales avec les différents partenaires mais ça demandera beaucoup de temps.

D’autant que la Grande Bretagne va être en risque de dislocation, on sait très bien que l’Irlande du Nord ou l’Ecosse demanderont leur rattachement à l’Union européenne.

Il y a beaucoup de Britanniques nostalgiques de la puissance et du rayonnement qui dataient de l’empire Britannique qui vont voter contre l’Europe alors que la sortie va les isoler encore davantage.

VGE : C’est une affaire de psychologie pour les Britanniques. Ils sont partagés entre les deux postures, parce que ce sont des postures, sans bien mesurer l’impact de l‘une ou de l’autre.

Et pour le reste de l’Europe qu ‘est ce qu’un Brexit pourrait changer ?

VGE :Pour beaucoup, le Brexit ouvre la porte sur l’inconnu, d’où l’inquiétude des marchés, mais en réalité, on entrera dans une période un peu compliquée de négociations bilatérales entre la Grande Bretagne et les partenaires...

Ce qui va être important, c’est la leçon que vont en tirer les Etats-membres sur la gouvernance de l’Union européenne.

L’Europe à 28, n’est pas gouvernable. Donc l’Europe ne peut pas continuer à fonctionner comme elle fonctionne actuellement. Cette Europe à 28 est incapable d’affronter les problèmes qui se posent aujourd’hui, la crise économique, la mondialisation. L’Europe est incapable d’assumer la concurrence des autres grandes régions du monde. L'Europe est incapable de faire face au problème de l’immigration massive. On voit bien le drame actuel. On le voit bien aujourd'hui.  

Par conséquent, qu‘est ce qui peut se passer ?

VGE :Il faut absolument qu’au lendemain du referendum britannique ; quelque soit le résultat, que des Européens prennent l’initiative de renégocier les traités qui organisent la gouvernance de cette Europe.

A 28 ou 29, c’est impossible, il faut commencer par réorganiser la zone euro et dans la zone euro, je pense que l’initiative doit venir d’une démarche commune entre la France et l‘Allemagne.

J’ai toujours pensé que le président Hollande aurait dû, dès le lendemain de son élection, proposer à Mme Merkel une renégociation de l’organisation de l’Union européenne. Elle aurait accepté.

La présidence française a fait une erreur stratégique que l'on paie très cher aujourd’hui.

Il faudrait donc au lendemain du referendum reprendre cette idée pour reconstruire, autour du noyau dur que constituent la France et l’Allemagne, une zone euro beaucoup plus intégrée.

Concrètement, l’intégration porterait sur quel périmètre ?

VGE :Nous avons besoin d’une intégration économique et financière. Il est aberrant que des métropoles aussi puissantes et aussi rapprochées géographiquement que Lyon et Munich, Marseille, Düsseldorf Barcelone répondent à des contraintes administratives et fiscales si différentes.

Je pense qu’il faut faire avancer l’intégration économique et financière dans tous les domaines où tout le monde reconnaît qu‘elle est souhaitable.

D‘abord sur la fiscalité, fiscalité des revenus, du patrimoine, des plus values, et des successions. Fiscalité des entreprises et des particuliers.

Ensuite, il faut pousser l’intégration des systèmes administratifs, du contrôle et de la régulation bancaire.

Enfin, il faut consolider et fusionner les endettements publics et permettre à l’Europe d’émettre des emprunts. Créer une direction du trésor européen.

Il faut une autorité, un vrai gouvernement économique qu’il ne faudrait d’ailleurs pas installer à Bruxelles mais dans une autre grande ville européenne entre la France et l’Allemagne.

Mais ce type de reforme ne peut pas se faire très vite ?

VGE : Il faudrait établir une programmation, sur 15 ans par exemple, de cette intégration économique et financière qui ne concernerait que les membres de la zone euro. Revenir à un noyau dur dans lequel on pourrait d’ailleurs organiser des referendum populaires sur les dossiers les plus sensibles avec une majorité qualifiée de 65%, ce qui permettrait d avoir un engagement solide de ceux qui veulent aller plus loin.

Est ce qu’on peut imaginer parallèlement une intégration politique ?

VGE : Je ne le crois pas. Les peuples ne sont pas prêts encore à une intégration politique. En revanche, il faut que la réforme porte sur l’intégration économique et financière. Si vous prenez l’exemple des Etats-Unis d’Amérique, vous constatez que les Etats comme la Floride, la Californie, ont chacun une très grande autonomie politique qui protège d’ailleurs leurs spécificités culturelles.

Est- ce que l’éventuel Brexit ne va pas donner des idées à d’autres peuples en Europe qui considèrent que tous leurs ennuis viennent de l’euro ou de Bruxelles.

VGE : Des idées, il y en aura surement mais je ne crois pas que les pays membres de la zone Euro puissent avoir sérieusement l‘envie de quitter la zone euro. En revanche, ce que je crois, c’est qu’il faut resserrer les liens par plus d’intégration.

Je suis convaincu que l’extension de la gouvernance économique en Europe est une absolue nécessité. Nous avons perdu beaucoup trop de temps.

Propos recueillis par Jean-Marc Sylvestre.

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