Reconfinement généralisé : les failles (masquées) de la détermination affichée par Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron mesures France coronavirus covid-19 reconfinement
Emmanuel Macron mesures France coronavirus covid-19 reconfinement
©LUDOVIC MARIN / AFP

"Tester, alerter, protéger"

Le président de la République a annoncé le retour du confinement dans toute la France jusqu’au 1er décembre. Ce dispositif pour lutter contre la pandémie sera allégé par rapport à la précédente phase de confinement en mars. Les écoles, les collèges, les lycées et les crèches resteront ouverts. Quels sont les principaux enseignements du discours présidentiel ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Qu'avez-vous pensé du discours d'Emmanuel Macron ?

Arnaud Benedetti : Sur la forme il était moins sermonnant et plus dans le registre de l’énergie. Il s’est efforcé de poser le diagnostic, de présenter didactiquement les hypothèses de travail et de dérouler ensuite sa justification du reconfinement. Sur le fond, outre qu’il n’a pu vraiment estomper le sentiment d’échec que signe cette annonce, beaucoup de contradictions demeurent. Tout se passe comme si à ce stade il y avait un confinement à plusieurs vitesses et que toutes et tous, nonobstant la volonté de nationaliser la gestion de la crise, nous n’étions pas forcément égaux dans le confinement : entre les types de commerces, entre les salariés, sans parler du maintien de l’ouverture des écoles, collèges et lycées qui nécessitera un trafic producteur d’interactions sociales, lesquelles ne facilitent pas le contrôle des chaînes de transmissions du virus. Finalement le Président a opté pour un " drôle de confinement ", un entre-deux dont on mesurera plus précisément le "design" lors du point presse du Premier ministre. La seule chose dont nous sommes sûrs c’est qu’a nouveau notre liberté de circulation est soumise à attestation... 

Jérôme Marty : En général, il a manifestement compris l'urgence et la situation dramatique qu'on était en train de vivre. Mais s'il a compris, il n'a sans doute pas proposé toutes les mesures qui auraient dû être mises en œuvre.

Emmanuel Macron n'a cessé de dire qu'on n'a pas vu venir la seconde vague. Les Français peuvent-ils le suivre ?

Arnaud Benedetti : Macron use jusqu’à la corde communicante de la comparaison avec le reste de l’Europe. Cette comparaison a pour fonction de limiter les critiques quant à la politique conduite depuis le déconfinement. Cet argument comparatif fonctionne pour le moment, même si granulairement la mise en perspective ne joue pas forcément en faveur de la France. Cette dernière est le premier grand pays d’Europe à reconfiner sur l’ensemble du territoire ; si d’autres suivent l’exécutif aura beau jeu d’exciper qu’il a anticipé un mouvement plus général ; si tel n’est pas le cas et que l’épidémie demeure incontrôlable, c’est-à-dire le pire des scénarios , l’acceptabilité nécessairement laissera la place à la colère. 

Jérôme Marty : C'est faux ! Nous sommes un certain nombre à avoir vu cette seconde vague et à l'avoir alerté depuis longtemps. Non seulement, on savait qu'elle était là mais en plus, on avait donné le scénario. On avait dit que ça allait exploser dans 4 ou 5 régions, on a commencé à alerter au mois de juillet, puis au mois d'août, puis au mois de septembre. Puis on nous a dit qu'il fallait des hospitalisations pour avoir une épidémie. On a attendu de voir le dur pour y croire. Alors c'est vrai que la population n'y croyait pas non plus parce qu'on n'a jamais eu ça avant. Mais la moindre des choses était d'étudier la courbe et de la comparer à la précédente. Elle n'était pas la même sur le plan de la vitesse, mais elle était la même sur ses conséquences et son aspect. On a connu la première vague. On sait que le virus était présent sur le territoire français depuis au moins mi-novembre 2019. Donc, ça veut dire qu'il a circulé en novembre, décembre, janvier et février de façon totalement invisible. C'est exactement ce qui s'est passé en mai, juin et juillet avant d 'être visible en août. Après, il a touché les jeunes et que les jeunes. Mais là, on a vu qu'ils avaient le virus car on les a testés alors qu'avant, on ne les testait pas. C'est comme cela qu'on a su que ça allait être pareil, donc nous avons alerté mais ils n'ont pas cru. Donc, qu'ils ne disent pas qu'ils ne savaient pas car on les a prévenus. Je peux comprendre qu'ils soient surpris par la violence, mais ils n'ont pas compris qu'il y avait un effet percolateur, c'est dommage! Quand on passe un certain seuil de circulation virale, cela explose. Il y a tellement de virus que ça explose. Et ça s'accélère de façon très importante, d'où l'exponentielle verticale d'un coup avec ce qu'on a connu là, c'est à dire un passage en l'espace de quelques jours de 30 000 cas par jour à près de 60 000. Et le problème est de savoir combien de rayons vont exploser comme ça. Donc, il fallait agir plus tôt et ne pas attendre. Emmanuel Macron a dit hier soir que c'était pareil pour toute l'Europe. Mais si on compare les chiffres, je ne suis pas sûr que ce soit pareil. Ils vont dire que la France est devant les autres pays parce qu'on teste beaucoup. Les hospitalisations sont le reflet du nombre de cas d' il y a 3 semaines. Il y a 3 semaines, lors de la semaine du 30 septembre au 6 octobre, nous étions à 87 000 cas. Et ces 87 000 cas ont amené 2 920 réanimations qu'on a actuellement. Et sur les 7 derniers jours, on est à 260 000 cas. Et dans trois semaines, on devrait être à 9 000 cas en réanimations. Et donc, on va dépasser nos limites en nombre de lits. Et cela ne va faire qu'augmenter.

Par contre, sur les écoles, on ne dit rien. Emmanuel Macron a parlé d'un nouveau plan, mais il ne l'a pas détaillé. On ne masque pas les élèves à partir de 6 ans. On ne fait pas des cours en alternance ou à distance. Donc, on va laisser les enfants continuer à se contaminer. On privilégie le télétravail, mais on sait qu'il y a beaucoup de métiers où le télétravail n'est pas possible. On n'a pas entendu parler de nouvelles mesures à mettre en œuvre dans les entreprises, donc le télétravail ne sera pas possible. Alors qu'on sait qu'il y a beaucoup d'entreprises où les personnes ne portent pas de masque, et d'autres entreprises où ils n'aèrent pas. Nous n'avons pas entendu parler d'interdiction des selfs, des cantines. Donc, tout cela va continuer.

Je crois que les Français sont abasourdis, ils viennent de comprendre qu'il y avait une gravité, et tout le monde ne l'avait pas compris. Mais les décisions sont comme toujours, difficiles à comprendre. On reparle de commerces non essentiels. On va avoir les petits commerces qui vont fermer, alors que les grandes surfaces resteront ouvertes. On va comprendre la colère des Français. Mais le seul honneur de la France, c'est qu'elle ne laisse personne sur le bord de la route. Sur le plan économique, cela a été plutôt bien géré la dernière fois. Mais je comprends que ce soit dur à comprendre par exemple quand on dit à un petit commerçant qu'il est obligé de fermer, alors qu'un concurrent à côté peut rester ouvert.

Le président appelle à l'unité, est-ce vraiment possible ?

Arnaud Benedetti : Dans l’épreuve, le Président en appelle à l’unité. Réflexe on ne peut plus prévisible pour tout dirigeant confronté à des circonstances exceptionnelles. La réalité c’est que le civisme des français qui acceptent les mesures contraignantes qu’on leur impose ne doit pas être confondu avec une approbation ou un quitus pour l’exécutif... Ce dernier renvoie, avec ses relais de la majorité ,  à l’esprit de polémiques bien des critiques que sa politique ne manque pas de susciter. Le pays était fracturé avant la covid, il le demeure. L’appel à l’unité est une figure rhétorique. Emmanuel Macron sait qu’il ne peut plus désormais décliner son logiciel politique, il a compris qu’il ne jouerait pas sa réélection sur son programme initial, mais sur sa capacité ou non à gérer cette crise sanitaire qui est devenue la mère des batailles de ce quinquennat. Il jette toute sa force expressive dans cette bataille, et il y rajoute tout le potentiel de nos amortisseurs économiques et sociaux pour éteindre l’incendie socio-économique. Le paradoxe c’est qu’il est contraint d’utiliser les outils qu’il critiquait, l’Etat-providence, le " pognon de dingue " pour essayer de préserver le pays et sa cohésion. Cette fuite en avant dans l’usage des ressources publiques qui a pour objet entre autres de ne pas fracturer plus encore la société relève à ce stade du non-dit quant à ses conséquences. 

Jérôme Marty : Je sais que la France n'a jamais été autant en colère. Elle n'a jamais été aussi au bord d'une crise majeur. On a une France qui va être extrêmement touchée sur le plan sanitaire et économique, donc une France à genoux. Par ailleurs, on n'a jamais aussi une aussi grande menace terroriste. La France est très fragilisée. Les soignants vont faire face, mais dans quelles conditions ? Emmanuel Macron a quand même inventé hier soir la « planche à soignants ». On connaissait la planche à billets, et maintenant on a la planche à soignants. On parle de milliers de soignants qui auraient été formés, mais je ne sais pas qui c'est et je n'en ai jamais entendu parler. Le Président a également parlé de matériel, en disant qu'il y avait des stocks. On nous ressort le discours qu'on nous avait sorti au mois de mars. Sauf qu'on manque de gants, on a des difficultés à trouver des surblouses, et peut-être que demain, on n'aura plus de masques. Il y a des gens qui nous disent « On a ce matériel », ce sont les mêmes gens qui nous on dit la même avant chose avant, alors qu'ils n'en avaient pas ! Tous les jours, en tant que médecin généraliste et directeur d'établissement de soins, je vois qu'on a une grosse difficulté d'avoir du matériel de protection.

Un confinement national ne relève-t-il pas d'une forme d'égalitarisme alors que le virus ne touche pas tous les territoires de la même façon ? A-t-on voulu éviter des jalousies entre régions ?

Arnaud Benedetti : La France, par sa passion égalitaire et sa culture jacobine, appelle structurellement ce type de mesures, d’autant plus qu’il semblerait que le virus soit plus equanimement réparti qu’au Printemps dernier. La stratégie différenciée sur le plan territorial non seulement n’a pas été comprise mais elle a manifestement échoué sur le plan opérationnel. Cette renationalisation dès lors s’impose presque mécaniquement. Le problème central est de savoir surtout comment et pourquoi  nous en sommes revenus à ce point de départ dont on nous avait promis qu’il était exclu. Le 14 juillet le Président de la République avait explicitement indiqué qu’en cas de seconde vague la puissance publique serait prête. Manifestement tous les enseignements de la première vague n’ont pas été tirés et les mêmes erreurs semblent avoir été reproduites ( absence de moyens , faiblesse de l’organisation ) entraînant les mêmes effets. C’est, nonobstant l’intervention du Président, ce sentiment de la faiblesse du retour d’expériences qui pèse fortement sur l’appréciation de la gestion par l’exécutif de l’épidémie. 

Emmanuel Macron a reparlé des autorisations de sortie. Il semble continuer à vouloir donner du pouvoir à l'administratif alors qu'ils n'ont pas su gérer la crise.

Arnaud Benedetti : La crise que nous traversons est d’abord une crise systémique de la superstructure technocratique. Faute d’avoir anticipé, réarmé nos politiques publiques, simplifié nos organisations administratives byzantines, nous courrons après un virus qui opère comme la métaphore de la perte de crédit du politique. Le plus grave c’est qu’à l’aune de cette double obsession du risque sanitaire zéro et de la foi irraisonnée en la maîtrise technicienne de ce risque nous conditionnons des hommes et des femmes socialisées dans un contexte de libertés fondamentales à s’en priver sans qu’ils ne paraissent s’en offusquer. Cet apprentissage de la docilité , sur fond d’impératif sanitaire, devrait interpeller toutes celles et tous ceux qui pensent qu’une société pour être libre aussi doit consentir à une part incompressible de risque, faute de quoi elle est menacée par l’entropie.

Jérôme Marty : Quand le virus est au niveau national, je ne sais pas à quoi ça sert de ne pas circuler. Je comprends qu'on protège une région par rapport à une autre quand le virus n'est pas partout, alors que là, ce n'est pas du tout le cas. Il y a un vieux proverbe qui dit qu'on ne peut pas résoudre les problèmes avec ceux qui les ont créés. Force est de constater que l'administration n'a pas brillé par ses compétences ou sa capacité à gérer une crise pour laquelle elle n'a pas été formée. Les ARS n'ont absolument pas été formées pour gérer des crises sanitaires. La Haute Autorité de Santé a été totalement muette pendant toute la crise, et elle continue à l'être. Ces gens ne savent pas trop gérer, mais personne n'est formé ça. Il n'y a que les gens comme « Médecins Sans Frontières » qui savent gérer ce type de crise car ce sont eux qui gèrent les poussées des chikungunya dans les Tropiques, en Afrique... Cela risque d'être encore plus long que prévu. Nous sommes encore dans une graduation.

Le chef de l'Etat a dit qu'il a tout mis en œuvre pour faire face. Tout est arrivé en retard, ils n'ont pas vu les choses. Ils ont mis en place une politique de graduation. Ils ont une mis une politique d'atténuation, sauf que l'atténuation, ça ne marche. Ce virus, il faut le précéder, il faut lui « foutre sur la gueule », il faut le chercher là où il est. Et si on fait de l'atténuation, si on fait « les bisounours » et qu'on y va marche par marche, on n'y arrive pas. La graduation, c'est courir derrière le virus. Chaque fois que le virus montre qu'il est davantage méchant, on met une couche de plus pour agir contre lui, mais ça, ça veut dire que c'est le virus qui donne le tempo, le rythme et les axes. Mais ça, ce n'est pas bien car il faut le prendre de vitesse. Et pour cela, il faut taper fort et court (écoles fermées, mesures dans les entreprises...), et on met à profit le temps du confinement pour partir sur une politique de test. Emmanuel Macron en a parlé hier soir, mais il n'est pas allé assez loin. Il a parlé des tests antigéniques, mais on les attend toujours et il n'a pas donné de dates. Il faut aussi des tests salivaires en entreprises et dans les lieux où il y a beaucoup de circulation. On écarterait ainsi les gens qui seraient positifs. On pourrait aussi donner des auto-tests pour que les gens se testent eux-mêmes quand ils vont dans des lieux instables (mariage, réunion de famille, chez des amis, aller au cinéma...). Et si on fait ça, on peut s'en sortir.

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