Nouvelles règles budgétaires européennes : que cède encore la France à l’Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Emmanuel Macron pose à côté du chancelier allemand Olaf Scholz avant une rencontre avec le président ukrainien à l'Elysée, à Paris, le 8 février 2023.
Emmanuel Macron pose à côté du chancelier allemand Olaf Scholz avant une rencontre avec le président ukrainien à l'Elysée, à Paris, le 8 février 2023.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Ombre berlinoise

La Commission européenne a proposé « la réforme la plus complète des règles de gouvernance économique de l’Union depuis la crise financière » en essayant de construire un (dés)équilibre entre rigueur et flexibilité.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



Voir la bio »

Atlantico : La Commission a présenté ses propositions législatives de réforme des règles fiscales de l’UE. Dans quelle mesure y trouve-t-on de nouvelles concessions aux obsessions allemandes d’austérité ?

Rodrigo Ballester : A première vue, la proposition de la Commission qui, par ailleurs, n’est que le point de départ d’un long processus législatif, semble plus équilibrée et flexible que le Pacte de Stabilité actuel, qui est plus rigide et dogmatique. La proposition prévoit des délais plus longs, des ajustements que chaque Etat membre pourrait définir (en partie) lui-même en fonction de ses propres circonstances et de son propre rythme.  Par ailleurs, ces nouvelles règles prendraient en compte les investissements à long-terme nationaux, notamment en ce qui concerne l’environnement et la transition numérique. Donc, a priori, la copie de la Commission s’éloigne du dogmatisme obtus du Pacte de Stabilité actuel, dont certaines règles ne sont simplement pas appliquées, car à l’impossible, nul n’est tenu, même pas par la Commission européenne.

Cela dit, c’est un secret de polichinelle, l’Allemagne a déjà pesé de tout son poids pour que la proposition initiale de la Commisison, jugée trop laxiste, soit remise dans le droit chemin de l’austérité. C’est pourquoi elle prévoit également des objetifs clairs de réduction de la dette publique pour les pays ayant une dette de plus de 60% du PIB et un déficit budgétaire supérieur à 3%.

Le problème est que l’Allemagne (et d’autres faucons de l’austérité comme les Pays-Bas ou la Finlande) ont déjà fait savoir qu’ils ne se contenteraient pas de si peu. Cette proposition n’est que le début d’un long processus législatif qui ne sera pas un long fleuve tranquille. Nous verrons bien si le dossier est bouclé avant les élections européennes de mai 2024.

À Lire Aussi

L’amitié franco-allemande, ce mirage masochiste

S’il ne s’agit certainement pas de contester l’intérêt d’une gestion saine des finances publiques, pourquoi l’Allemagne est-elle toujours montrée comme modèle de vertu économique alors qu’elle est loin de l’être ?

Il ne s’agit pas que de l’Allemagne, le club des faucons est plus large. Mais il est vrai que Berlin joue encore le rôle d’arbitre des élégances sur ce sujet comme s’il avait le monopole de l’expertise en la matière, comme si son magistère était infallible. Sauf qu’il ne l’est pas et si ce mythe pouvait être encore entretenu il y a une décennie en pleine crise de l’Euro et sous le règne de Merkel, cette réputation est désormais sérieusement écornée, surtout à l’aune de la guerre en Ukraine qui a dévoilé les nombreuses faiblesses du modèle allemand voire, les erreurs de débutants de ses élites et le dogmatisme de certaines décisions stratégiques, par exemple en matière énergétique.

Alors, pourquoi sa voix reste-elle si prépondérante ? C’est en partie parce que Berlin est le leader traditionnel des états frugaux et qu’il est bien pratique pour eux de s’abriter derrière un poids lourd. Mais surtout, n’oublions pas l’obsession de la dette auprès de l’opinion publique allemande et cette impression tenace que l’UE est composée de cigales qui vivent à crédit sur le dos des fourmis. Ce sujet est donc porteur dans la psyché d’outre Rhin. Il n’est pas anodin que dans une coalition clairement à gauche sur tant de sujets, la politique financière soit définie par le très orthodoxe et libéral ministre Christian Lindner.

À Lire Aussi

La France, cette championne de l'intégration européenne… poussée dans les fossés de l’UE

Se priver de l’outil de la dette au nom de la lutte (par ailleurs essentielle) contre les gaspillages n’est-ce pas s’interdire d’investir dans l’avenir énergétique ou la souveraineté militaire et stratégique du continent européen ?

Voilà précisemment un écueil que la proposition de la Commission espère éviter, c’est l’une des leçons qu’elle souhaite tirer des erreurs du passé. Sa proposition mentionne explicitement les investissements, elle n’est pas seulement (et bêtement) basée sur la réduction quoi qu’il en coûte de la dette. Cependant, n’oublions pas que nous ne sommes qu’au début du processus législatif et nul ne peut préjuger le résultat final. En outre, malgré les bonnes intentions, la Commission reste un molosse bureaucratique qui manque de souplesse et de doigté dans l’application des normes et qui est, qui plus est, sous influence allemande. Il se pourrait donc bien que la législation finale et sa mise en œuvre penche plus du côté de l’austérité que des investissements. Mais restons prudents.

Nous dirigeons-nous, sous pression allemande notamment, vers un retour mal venu de l’austérité en Europe ? 

Difficile à dire. Mais il est vrai qu’après la pandémie pendant laquelle, il faut le dire, l’UE a plutôt fait preuve de souplesse, la situation fiscale de nombreux Etats membres est inquiétante. Et les faucons qui ont rongé leur frein pendant cette période difficile veulent désormais siffler la fin de la récréation. Il était temps de revisiter les règles du Pacte de Stabilité en tirant les conclusions des erreurs du passé. Et pour certains, pas seulement l’Allemagne, cela veut dire revenir peu ou prou sur le chemin de l’austérité même si les jeux ne sont pas faits.

À Lire Aussi

Une autre Europe émerge sur les décombres de l’UE techno de Bruxelles, mais quand aurons nous vraiment changé de monde ?

Par contre, ce qui me paraît inquiétant, c’est le renforcement constant des pouvoirs de l’UE et de son emprise sur les Etats membres à travers le budget. La gouvernance économique est déjà largement déléguée à Bruxelles et coordonnée à travers le Semestre Européen, une énorme machine bureaucratique qui a tendance à s’imiscer au-delà de ses compétences initiales. Et depuis peu, l’UE s’est dotée d’un mécanisme de conditionnalité des fonds européen censé protéger le « budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit ». Un énoncé qui a tout pour plaire mais qui est appliqué avec une telle désinvolture qu’il en devient arbitraire et transforme le budget en un aspirateur de compétences nationales.

Deux exemples : au nom de la protection du budget européen, deux-tiers des universités hongroises (soit 180 000 étudiants !) seront très probablement exclues du programme Erasmus à partir de septembre prochain. Pour quelle raison ? Simplement parce que l’UE estime que la gouvernance de ces universités pourraient, un jour, peut-être, constituer une risque réel pour le budget de l’UE. Une sanction totalement disproportionnée pour une infraction imaginaire… au nom de la protection du budget. Deuxième exemple, la Pologne qui n’a pas reçu un seul euro des 35 milliards du Fonds de Relance auxquels elle a droit. Pourquoi ? Contrairement à Budapest, aucune procédure en conditionnalité n’a été lancée contre Varsovie. Mais comme il faut bien trouver un pretexte juridique au gel de ces fonds, la Commission n’a rien trouvé de mieux que de dire que la Pologne ne respecte pas  les « recommandations » du Semestre européen. Des recommandations qui deviennent donc subitement des obligations !

Ce n’est pas seulement cette légereté qui frôle l’arbitrarie qui inquiéte, c’est également le fait que pour obtenir ces fonds, l’UE commence à exiger des changements (parfois constitutionnels !) pour lesquels elle n’a absolument aucune compétence, ce qui est en soi très grave et constitue une érosion de la souveraineté nationale. On assiste donc à un renforcement du pouvoir de l’UE à travers un budget qui, dans l’indifférence générale, est devenu une arme politique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !