Les leçons de la crise du Covid-19 : sortir de l’absurdité financière<!-- --> | Atlantico.fr
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Un trader à la Bourse de New York.
Un trader à la Bourse de New York.
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonnes feuilles

Raphaël Rossello a publié « L'opportunité du Covid 19 » chez Mareuil éditions. Le chaos de la pandémie offre l'opportunité de remettre à plat la réalité de notre système économique et social. Ce procès-verbal, riche de références et d'anecdotes, veut lever les incertitudes du futur et pouvoir l'aborder avec un optimisme de combat. Extrait 1/2.

Raphaël Rossello

Raphaël Rossello

Raphaël Rossello est banquier d’affaires, spécialiste des PME. Il a publié « L'opportunité du Covid 19 », aux éditions Mareuil.

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Économistes et politiciens de tous bords partagent la même conviction que rien ne peut être obtenu si l’opinion n’y est pas favorable. Depuis des décennies, quand un gouvernement est confronté à la colère d’une région, d’une profession ou d’une catégorie socioprofessionnelle, la première réaction est de reconnaître ses erreurs de communication et de pédagogie. D’où le poids croissant des communicants et autres metteurs en scène de la vie politique et économique.

« Pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, écrit La Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils soient contraints ou qu’ils soient trompés  ». En matière de tromperie économique, l’Histoire nous donne l’embarras du choix.

L’économie étant très souvent autoréalisatrice, la croissance repose en premier ressort sur la confiance dans l’anticipation des agents économiques. Si les entrepreneurs prévoient une activité soutenue, ils vont investir et embaucher. Si les citoyens partagent cette confiance, ils vont réduire leur épargne de précaution et consommer davantage. Et ainsi de suite.

Conscients de cette particularité, nos dirigeants colportent une fausse espérance pour venir au secours d’une fausse croissance.

Un ministre français de l’Économie et des Finances disait : « Je sens dans le pays un frémissement économique qu’il faut transformer en reprise de la croissance durable. […] Nous avons toute une série d’indicateurs […] à la fois macroéconomiques et microéconomiques qui sont bien orientés, il faut transformer ça encore une fois en croissance durable. » Ces nuances verbales révèlent l’importance des mots dans l’art de la divination, comme dans toutes prophéties. Aux États-Unis, la méthode Coué porte le nom de forward guidances (annonces prévisionnelles). Je rappelle qu’au tout début de mon questionnement, c’est une communication du CBO, organe fédéral d’analyse des prévisions de dépenses budgétaires, qui m’a alerté sur les erreurs chroniques d’anticipations. Sur ce terrain, la Banque fédérale était passée maître dans l’art d’anticipations toujours glorieuses, mais la seule croissance était celle des promesses non tenues. Déjà pour convaincre les électeurs/consommateurs que la fin de la crise était proche, Herbert Hoover, président des États-Unis, avait martelé, en 1930 : « Prosperity is just around the corner » (« la croissance est au coin de la rue »). On sait aujourd’hui que c’était totalement faux. Les années passent, les mensonges demeurent. Étrangement, dans un monde interconnecté où tout devrait être transparent, ce sont les a priori qui ont la vie dure. Même si les annonces de la prospérité sont fausses, elles retiennent notre attention contrairement à la médiocrité des résultats, qu’on se hâte d’ignorer ou d’oublier. Les écarts entre les annonces dithyrambiques de la Banque fédérale américaine et la réalité n’ont pas été occasionnels, ils ont été systématiques. Parfois dans des proportions ridicules comme en 2014 où un rebond historique était annoncé à plus de 5 %. Quelques mois plus tard, il fallut reconnaître qu’elle n’était même pas de la moitié ! Une manipulation, ou, plus politiquement correct, un abus de sophistication statistique, qui n’a rien d’innocent. L’Église réformée est née de la remise en cause par Jean Huss et Martin Luther des indulgences vendues abusivement par l’Église catholique. Dans l’économie moderne, nul besoin d’indulgences, puisque l’on change les règles du jeu au grès des mandatures des élus, en effaçant les erreurs et en dissimulant les mensonges. On ne ment plus, on optimise les paramètres des statistiques qui rythment nos existences dans un espace juridiquement tolérable…

Prenons comme premier exemple l’optimisation du taux de croissance du PIB en réduisant celui du taux l’inflation. C’est un classique. Si un PIB passe de 100 à 104, il affiche 4 % de croissance brute. Si durant la même période l’inflation est de 2 %, la croissance officielle n’est que de 2 %. Sous-estimer l’inflation améliore le chiffre de la croissance. La tentation est donc grande de modifier la composition de l’indice supposé la mesurer. En théorie, le problème éthique réside dans le fait que toute modification de cette composition remet en cause le principe de permanence des critères propres aux règles comptables et au principe scientifique. Imaginez un instant que toute l’activité humaine soit évaluée à l’aide d’un mètre-étalon, qu’un traitement thermique nocturne et discret allongerait de 10 %. Les chiffres guidant et conditionnant nos vies s’en trouveraient augmentés dans les mêmes proportions. Plus d’un gouvernement en a rêvé.

À propos de l’inflation américaine, le statisticien John Williams, ose annoncer des chiffres impertinents ou grotesques. Il a beau fournir ses sources et ses méthodes, il reste décrié et méprisé. Il prétend, par exemple, que l’inflation de son pays est plus proche en moyenne des 5 % que des 2 % officiels et explique cet écart en se référant aux critères d’avant 1990. L’inflation ainsi recalculée est tellement élevée que mécaniquement les États-Unis seraient en récession officielle depuis plusieurs décennies. Pourtant, nous, les héritiers de la méthode scientifique, savons que le progrès de la science est le résultat de la permanence des conditions de réalisation des expériences. Ce n’est pas le cas de l’économie. Les dirigeants sont libres de modifier les méthodes statistiques pour que les résultats soient conformes à leurs attentes. La raison invoquée serait d’être plus proche d’une réalité qui est changeante par nature. J’admets la remarque bien qu’elle ouvre la porte à de curieuses manipulations. Quelques exemples croustillants pourraient être relevés. Comme celui du hamburger en lieu et place du filet mignon. Ce morceau de bœuf faisait partie des composants historiques du panier des biens de consommation. Son prix s’envolant, les comptables publiques le remplacèrent par le steak haché dont le prix est plus accessible. La baisse de l’indice fut automatique.

Réduire le taux d’inflation est doublement avantageux. D’une part, on donne aux consommateurs un sentiment d’amélioration de leur pouvoir d’achat, tout en affichant un taux de croissance plus élevé. Les comptables publics étant sous le contrôle des gouvernements, il est tentant d’augmenter la croissance affichée en réduisant l’inflation par une compensation des produits et services dont le prix ne cesse de monter par ceux dont les prix sont déflationnistes. Les données sur ce sujet sont très disparates puisque le prix du même produit agricole, du même ordinateur ou de la même consultation médicale n’est pas identique selon les pays. On peut néanmoins constater que, depuis l’an 2000, les prix de l’informatique, des télécommunications, de la télévision et des jeux et jouets ont baissé de moitié alors que ceux de la maintenance automobile, des soins, de l’éducation, du logement, de l’eau, de la protection sociale et de l’alimentation ont au contraire augmenté dans la même proportion. Choisissez votre panier moyen de consommation et vous aurez la croissance que vous souhaitez. Cette affirmation se fait en dépit des résultats des analyses sociologiques nombreuses ayant pour objectif de représenter les comportements des consommateurs. Dans les faits, il n’existe pas de remède absolu à l’opposition arbitraire entre la recherche de vérité et la volonté politique.

Devant la prolifération des choix, The Economist avait eu, en 1986, l’idée ingénieuse de créer un indice « Big Mac », du nom du plus célèbre sandwich de McDonald’s, et l’un des produits les plus consommés au monde. Quand on compare la hausse de son prix avec celle des prix à la consommation américaine, on constate qu’entre 1986 et 2001, les évolutions sont corrélées. En revanche, depuis 2001, le prix du Big Mac croît plus vite que l’indice officiel. En seize ans, le sandwich a accusé une hausse de 28 % par rapport à l’indice officiel, contredisant ainsi la faiblesse de l’inflation admise. Le prix d’un sandwich ne fait pas l’économie, mais il est un témoin pertinent que l’inflation ressentie est plus élevée que le chiffre reconnu par l’État.

Le consommateur, prisonnier de son pouvoir d’achat, est confronté à la hausse du prix des biens et services de nécessité, variable selon les pays et selon les catégories socioprofessionnelles. Le profil de consommation des dix pour cent de citoyens les plus aisés est très éloigné du panier moyen des catégories sociales dites moyennes, lui-même différent de celui des classes économiques les plus défavorisées. L’augmentation des dépenses de logement, de santé, de scolarité, d’alimentation ou des transports devient insupportable pour tous ceux, très majoritaires, qui ne bénéficient pas de l’inflation de leur patrimoine financier puisqu’ils consacrent leurs ressources à satisfaire leurs besoins primaires.

La volonté politique d’améliorer les chiffres de la croissance ne s’arrête pas à l’espace de liberté du calcul de l’inflation. Tout indicateur économique émanant de sources fiables est le résultat d’un calcul rigoureux, mais dont les hypothèses sont le fait du prince.

Même si le prince est un honnête homme soucieux d’équité, son entourage se chargera de lui-même de mettre les curseurs de la vie économique aux niveaux qui le rassureront. Le désir d’embellir la réalité est dans l’ordre des choses. Tout acteur économique a cette tentation de faire des annonces rassurantes pour sortir son public de la morosité et lui donner l’envie, à défaut de confiance, de consommer et d’investir. Il en est ainsi des chefs d’État, des gouverneurs de banques centrales, des présidents de régions, des responsables des administrations et services publics, ainsi que de tous les chefs d’entreprises.

Tous les moyens sont bons pour que le peuple soit convaincu du retour de la croissance et continue de consommer.

La métamorphose de notre croissance devrait soulever nombre de questions dont la première est de comprendre les raisons de cette mutation, mais également de savoir si les tendances baissières constatées sont désormais irréversibles.

J’ai décidé de rédiger ce manifeste à l’instant où j’ai acquis le doute raisonnable qu’en dépit des apparences et des moyens considérables mis en œuvre pour ne pas la révéler, la tendance du dernier demi-siècle s’avère irrémédiable, puisque la fausse croissance résiste à la pharmacopée des politiques économiques traditionnelles.

Que toutes les politiques économiques parviennent à un résultat contraire à leurs objectifs est compréhensible, mais c’est la gravité de leurs conséquences qui est préoccupante. Cette vérité d’avant le Covid 19 restera encore une vérité d’après le Covid 19.

Extrait du livre de Raphaël Rossello, « L'opportunité du Covid 19 », publié chez Mareuil éditions

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