La situation budgétaire signe la mort de Keynes et va imposer des réformes libérales... sauf que les experts en libéralisme ont disparu du spectre politique<!-- --> | Atlantico.fr
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John Maynard Keynes prononce un discours à la conférence de Bretton Woods, en juillet 1944.
John Maynard Keynes prononce un discours à la conférence de Bretton Woods, en juillet 1944.
©AFP / FMI

Atlantico Business

La panique des élites françaises devant l’ampleur de l'endettement budgétaire marque l'épuisement des recettes keynésiennes, mais surtout la résistance de l'opinion publique à des solutions libérales. Les médecins spécialistes n’existent pas en France.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La France a soigné depuis un demi-siècle tous ces maux économiques et sociaux avec des traitements keynésiens... Mais ça ne marche plus... Elle est aujourd'hui épuisée par l'obésité et l'arthrose liées à l'excès de déficit et de dettes. Ces calmants pris à haute dose sont mortels. Les médecins spécialistes recommanderaient des médecines naturelles de liberté et de responsabilité, mais sont-ils là ?

La France est arrivée à épuiser une situation macroéconomique qui a démarré en 1981 et qui n’a cessé de s’aggraver depuis cette époque... Les années Mitterrand ont mis en route une machine infernale pour financer des apparences de prospérité, des semblants de progrès social et surtout des traitements sans douleurs des crises conjoncturelles et surtout des mutations structurelles.

Il faut lire le récit de Franz-Olivier Giesbert qui raconte la tragédie française dans laquelle il rappelle très clairement que cette tragédie du déclin a été provoquée par un abus des politiques keynésiennes que J.M. Keynes lui-même n’aurait jamais préconisé à si forte dose et aussi longtemps.

"À long terme", disait-il, "n’y pensez pas, nous serons tous morts"... En deux mots, le keynésianisme, c’est quoi... ? C’est l’idée qu’un État face à une panne de croissance peut relancer sa machine à créer de la richesse en relançant la demande de consommation. Et pour relancer sa demande, il suffit d’injecter du pouvoir d’achat, en créant de la monnaie, ou de la dépense publique. Et normalement, disait Keynes, la machine va créer de la richesse qui permettra d’amortir la dépense et de rembourser la dette. Cette forme de médecine douce, proche du Doliprane, va très bien fonctionner notamment dans les années qui vont suivre la 2e guerre mondiale, parce que les besoins de reconstruction sont énormes et que le potentiel de croissance est considérable. L’inconvénient des traitements keynésiens de longue durée, c’est que les gouvernements démocratiques vont s’y habituer parce que les opinions publiques les supportent très bien. C’est même un médicament de confort.

Quand François Mitterrand arrive au pouvoir, la France est déjà très abîmée par l'effet des chocs pétroliers. Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre n'ont pas réussi à engager des réformes structurelles pour s'affranchir du pétrole. La France n’a pas de pétrole, elle a assez peu d’idées mais elle a une capacité d’emprunt intacte... François Mitterrand vaoffrir du pouvoir d’achat en distribuant de la richesse qui n’existe pas encore. Il sort Keynes de son placard. Il dépense plus qu’il ne gagne, il commence donc à collectionner les déficits et les dettes. L’économie n’intéresse pas trop Mitterrand qui n'a d’ailleurs jamais d’argent dans ses poches (tous ses amis l'ont raconté). Son talent a toujours été de se choisir des amis riches. L’État lui n’a pas d’argent et l’État n’a pas d’amis. L’État n’a que des centres d’intérêt et des électeurs.

François Mitterrand écoute les avertissements de certains de ses partenaires (Michel Rocard et Jacques Delors) mais ils ne les aiment guère. Il ne les comprend pas, il les trouve tellement ennuyeux et il sent que l’électorat ne les apprécie pas. François Mitterrand va tenir deux fois 7 ans, et il va terminer son second septennat quasiment mourant parce qu’il n’a jamais voulu traiter le cancer qui lui avait été diagnostiqué très tôt.

Mais il laisse la France dans un état financier aussi critique parce qu’il n’a jamais voulu sérieusement gérer en profondeur. Il s’est contenté de s’appuyer financièrement sur l'Allemagne qui lui sert de respirateur artificiel.

Jacques Chirac ne va rien faire de très différent... il ménage l'Union européenne et l'euro parce qu'ils lui servent de garantie quand il emprunte. Et il va emprunter beaucoup. Politiquement, il va même écarter ceux qui dans son entourage prônent des solutions de redressement plus radicales. Edouard Balladur, François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin... Ce courant qui aurait pu affranchir la France des contraintes de l'endettement est décimé en rase campagne. Nicolas Sarkozy va survivre et face à la situation économique offre une solution un peu différente compte tenu de la mondialisation qui s’impose et du danger protectionniste et populiste que représente Marine Le Pen. Mais Nicolas Sarkozy n’aura pas le temps d’installer des réformes libérales. Ce qui fera dire à François Fillon qu'il est premier ministre d'un État en faillite.

François Hollande va reprendre les méthodes de la médecine douce de François Mitterrand... la gauche caviar, la gauche bobo se réinstalle en majesté. Elle fait le minimum pour que la machine économique tourne, mais rien qui puisse l'exonérer d'acheter la paix sociale. Avec Hollande la boucle est bouclée. On revient aux ordonnances du bon docteur Keynes. L'État investit avec de l'argent emprunté. L'État soigne les blessures sociales et les autres avec de l'argent emprunté. À la fin du quinquennat de F. Hollande, la France n’a plus de ressort, plus d’énergie (on s'apprête même à fermer le nucléaire pour s'attacher les verts). La France est championne d'Europe dans toutes les catégories, le déficit budgétaire, l'endettement par rapport au PIB, le chômage et la croissance. Les écologistes sont très contents, moins il y a de croissance et de richesses produites, moins il y aura d'émissions de CO2. Le pays va enfin être propre, mais inanimé.

Emmanuel Macron va sortir de Bercy qui est un peu la salle de contrôle chiffré, comme un zébulon, et gagner le pouvoir du premier coup. Personne ne le connaît mais tout le monde pense qu'il a les clés pour sortir le pays de son presque coma artificiel, et pour cause. Il nettoie la classe politique, il parle de concurrence internationale, d'innovation technologique, de digitalisation... La majorité de l'opinion publique ne comprend pas ce qu'il veut faire mais ça paraît tellement différent de ce que les prédécesseurs ont fait, tellement plus sérieux que ce que propose Marine Le Pen, que Macron va être porté à l'Élysée. Sa promesse, c'est de remettre la France dans la compétition mondiale pour la prospérité et d’assumer les grandes mutations qui se préparent : écologie, énergie, intelligence artificielle, etc., etc. Le problème, c’est que Macron a oublié que pour gouverner il lui faudrait une majorité. L'époque de Napoléon III qui pouvait gouverner seul ou à deux avec Morny,  cette époque est révolue. En clair, Emmanuel Macron qui va gouverner avec un projet personnel très flou et surtout un environnement très agité, voire violent, est paralysé. Il sait que la Médecine Keynésienne est obsolète, mais face aux gilets jaunes, il paie. Face au Covid, il paie. Face à la guerre des Russes contre le monde occidental, il paie... Et comme il n’a pas l’argent, il s’endette. Mitterrand a pris le pouvoir avec un budget presque en équilibre, puisque les dépenses publiques et sociales tournaient autour de 30%, l'endettement extérieur était très supportable, 20 % du PIB, et une petite croissance économique. Macron, lui, 50 ans plus tard, gère un État où les dépenses publiques et sociales dépassent les 60% du PIB, le déficit budgétaire file vers les 6%, et l'endettement de l'État et des collectivités publiques dépasse les 120% du PIB si on tient compte des engagements hors bilan. ( plus de 3000 milliards d’euros ).

Le directeur financier de la maison France a semble-t-il prévenu son président à plusieurs reprises mais son président n'a rien changé à sa trajectoire. Le bilan actuel est simple, la France est en voie de blocage, elle n’a plus aucune marge de manœuvre, elle ne peut pas augmenter les impôts sauf à provoquer cette fois une jacquerie des classes moyennes. Elle ne peut pas raboter encore et toujours les dépenses publiques et sociales, elle risque de rallumer le feu dans les corps de fonctionnaires. D'où le coup de gueule de Bruno Le Maire et de son livre .

Donc, si tous les outils qui servent à actionner une politique économique, si les impôts sont intouchables, si les dépenses publiques et sociales sont intouchables... L'État ne peut qu’emprunter avec de moins en moins de garantie en face.En clair, John Maynard Keynes est mort. Il ne sert plus à rien. On s’en doutait bien. On en est certain. On en est arrivé à cette situation à cause du laxisme des différents gouvernements qui se sont succédés de droite comme de gauche... mais aussi parce que l'opinion publique s’est habituée à avoir un État protecteur capable de tout faire, de tout savoir, de tout payer.

La solution pour sortir de cette paralysie est simple : il va falloir revenir au principe de base de la création de richesse, c’est-à-dire revenir à l'innovation, la remise en marche de la concurrence, etc. Mais surtout, il va falloir habituer l'opinion à des rapports nouveaux avec l'État. Il va falloir que l'opinion retrouve les moyens de prendre ses responsabilités. Ce que toute la génération actuelle n’a jamais fait . Responsabilité de salariés, responsabilité de consommateurs, de retraités, etc. Quant à l'État, il va falloir, qu'on le veuille ou non, qu'il se replie vers ses fonctions régaliennes : le droit, la police et la justice, la défense nationale. Et la solidarité et la régulation. Tous les autres services de l’État peuvent revenir dans des mécanismes qui appartiennent à la sphère privée. Les ressorts de l'économie de marché laissent la responsabilité individuelle fonctionner et ces ressorts peuvent très bien fonctionner dans les services publics. Alors les militants grincheux de la gauche antique, comme les militants de la souveraineté et de l'identité nationale, ne seront pas contents... Mais tant pis, si la gestion des services publics est plus efficace pour le plus grand nombre, l'opinion acceptera ce changement de paradigme.

Avec Keynes, les gouvernements avaient des obligations de moyens. Keynes étant mort, les gouvernements vont avoir des obligations de résultats.

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