Détruire un stock d'armes chimiques, mode d'emploi <!-- --> | Atlantico.fr
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"Il est inenvisageable de détruire en quelques mois seulement l’arsenal chimique, là où Américains et Russes ont mis quasiment vingt-cinq ans." "
"Il est inenvisageable de détruire en quelques mois seulement l’arsenal chimique, là où Américains et Russes ont mis quasiment vingt-cinq ans." "
©Reuters

Le petit chimiste

La Syrie a récemment remis la liste de son stock d’armes chimiques à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Ce n'est que le début d'un processus qui, même si les combats cessaient demain, pourrait durer dix ans.

Olivier Lepick

Olivier Lepick

Olivier Lepick est docteur en Histoire et Politiques Internationales de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève (Université de Genève). Il est chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (Paris) et consacre ses travaux à la question des armes chimiques et biologiques.

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Atlantico : "La Syrie a fabriqué des armes chimiques durant des décennies, il est donc normal qu'il y en ait d'importantes quantités dans le pays", a récemment déclaré Bachar el-Assad à la télévision d’État chinoise CCTV.  A quelles quantités et types d’armes peut-on s’attendre dans cette liste, encore en cours de traduction ?

Olivier Lepick :On peut s’attendre à y voir la dernière génération d’agents chimiques militaires, à savoir les neurotoxiques organophosphorés, dont le plus célèbre et toxique à la fois est le gaz sarin. C'est ce dernier qui, le 21 août dernier, a été utilisé à Damas. On peut aussi s’attendre à voir paraître dans la liste le VX, qui est un peu plus toxique que le gaz sarin, et également des agents militaires de première génération comme le gaz moutarde, utilisé depuis la première guerre mondiale et que l’on trouve souvent dans les arsenaux chimiques militaires.

Les estimations effectuées par les services de renseignement occidentaux vont de plusieurs centaines à un ou deux milliers de tonnes. Il est difficile de l’estimer avec précision pour l’instant ; la publication au grand public de cette liste permettra d'y pallier. En plus des agents chimiques, il faut également prendre en compte les systèmes d’arme permettant de les disséminer : bombes, roquettes, obus…

Une fois le stock rassemblé, quelles sont les étapes de sa destruction ?

La première opération consistera à inventorier le stock chimique syrien sur la base de déclarations du régime. La simple tâche de localisation et de vérification de l’exactitude des informations pourrait s’étaler sur plusieurs dizaines de mois. On se souvient que dans les années 1990, les inspecteurs de l’ONU et le régime irakien avaient joué au chat et à la souris pendant un certain temps... La coopération effective des autorités syriennes avec les experts sera donc déterminante.

Une fois les armes localisées, il faudra les mettre sous le contrôle physique de l’ONU, ou bien de l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

Dans une troisième phase, qui sera sans doute la plus longue et la plus complexe, il faudra détruire ces stocks sur place, sans sortir des frontières syriennes. Pour ce faire, il faudra construire deux ou trois infrastructures de destruction. Celles-ci coûteront plusieurs centaines de millions de dollars. Il faut savoir que les Russes comme les Américains, depuis la ratification de la convention sur la destruction des armes chimiques en 1996 les engageant à détruire leurs stocks issus de la guerre froide, n’ont toujours pas fini de s’en débarrasser. Les Etats-Unis ont dépassé les 11 milliards de dollars, et la Russie se situe entre 5 et 8 milliards. Le processus ne sera achevé qu’aux alentours de 2020.

Les quantités étaient certes d’un autre ordre – 30 000 tonnes pour les Etats-Unis, 40 000 pour la Russie – mais compte tenu de la situation en Syrie, il est inenvisageable de détruire en quelques mois seulement l’arsenal chimique, là où Américains et Russes ont mis quasiment vingt-cinq ans. Le délai annoncé dans le cadre de l’accord russo-américain est intenable et s’adresse plus à l’opinion publique qu’à une réalité opérationnelle et industrielle.

Concernant la destruction elle-même, il existe deux procédés : l’incinération à très haute température, et la destruction chimique. Pour ce dernier, il s'agit d'une hydrolyse à très haute température également, avec un certain nombre d’adjuvants. Par ces procédés, 99,9 % des agents chimiques sont détruits. On ne compte quasiment pas de résidus, et ceux-ci sont de toute manière inoffensifs.

Combien de temps la destruction de ces armes prendrait-elle en réalité ?

Plusieurs années a minima. Mais tout dépend de la manière dont on les détruit. Le régime pourrait, comme cela a déjà été fait, balancer les stocks dans la Méditerranée, mais ce n’est a priori pas l’option qui sera retenue pour des raisons tenant à des considérations à la fois militaires, sécuritaires et écologiques. On peut sans trop exagérer tabler sur un processus de cinq à dix ans.

Qui prendrait en charge de telles installations sur le sol syrien ?

Le point d’interrogation est là, car on parle de plusieurs centaines de millions de dollars. On ignore encore qui se chargera du financement et comment la situation évoluera sur le terrain. Pour l’instant, ni l’ONU, ni l’OIAC ne prendront le risque d’envoyer des inspecteurs. Et encore faudrait-il qu’ils acceptent de travailler alors que les combats font rage. Il est déjà suffisamment compliqué, industriellement et scientifiquement, de détruire un arsenal chimique en temps de paix, alors imaginez en temps de guerre… Il est inenvisageable que l’arsenal soit déménagé dans un autre pays, car les risques seraient trop importants.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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