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"Les gens pensent qu’ils auront davantage la possibilité d’évoluer et d’accéder à de nouvelles connaissances en changeant d’entreprise qu’en y restant".
"Les gens pensent qu’ils auront davantage la possibilité d’évoluer et d’accéder à de nouvelles connaissances en changeant d’entreprise qu’en y restant".
©Reuters

Faire durer son couple

La chaire Nouvelles Carrière de la Rouen Business School a récemment publié une étude sur la mobilité externe des cadres. Celle-ci, contrairement à ce qu’on pourrait penser, favoriserait moins la progression professionnelle que la fidélité à une même entreprise.

Michel Feron

Michel Feron

Michel Feron est responsable du département Hommes et Organisations de la Reims Management School.

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Atlantico : La chaire Nouvelles Carrières de la Rouen Business School a récemment publié une étude sur la mobilité externe des cadres. Celle-ci, contrairement à ce que l’on pourrait penser, favorise moins la progression professionnelle que la fidélité à une même entreprise. Quelle interprétation faites-vous de cette conclusion ?

Michel Feron : Celle-ci n’est pas surprenante. Cette étude évoque une image qui s’est répandue, selon laquelle, lorsque l’on veut apprendre quelque chose, changer ou évoluer dans son métier, enrichir son capital humain, il serait intéressant de changer d’entreprise. Les gens pensent qu’ils auront davantage la possibilité d’évoluer et d’accéder à de nouvelles connaissances en changeant d’entreprise qu’en y restant. On observe une confusion entre changer d’employeur et changer de contenu d’emploi.

Quand vous changez d’employeur, le nouveau, par sécurité, vous demandera de refaire ce qui vous faisiez avant. Vous n’apprendrez donc pas grand-chose. Par contre, si votre employeur vous connaît depuis longtemps, il saura que vous avez le goût d’apprendre, l’envie de vous mettre à jour. Il vous attribuera des projets nouveaux, saura qu’il a intérêt à vous envoyer en formation, etc.

Si l’on regarde l’étude dans le détail, les personnes qui ont les plus belles satisfactions de carrière sont celles qui sont à Bac+5, qui ont l’habitude d’apprendre et qui aiment cela. Il vaut mieux rester dans la même entreprise en tablant sur la possibilité de saisir une opportunité lorsque celle-ci se présentera que d’en changer, car là on vous redemandera de faire la même chose. De plus, on se taille une image de « mercenaire ». Votre nouvel employeur anticipera votre départ à deux ou trois ans, et sera donc moins enclin à investir sur vous.

On a beaucoup monté en épingle l’idée selon laquelle les gens et le monde étaient perpétuellement en mouvement. Avoir des points d’ancrage tels que des « vieux routiers » qui assurent la continuité n’est pas plus mal. Plutôt que de céder à l’effet « coquille de noix ballotée par les vagues », il vaut mieux en ce moment trouver de la stabilité, tant du côté des salariés que des entreprises.

Dans quelle mesure cette image de « mercenaire » peut-elle nuire à la carrière d’un cadre ?

S’il s’agit d’une personne avec une compétence exceptionnelle (qui fait monter les enchères au passage), celle-ci se verra généralement attribuer une opération particulière, comme par exemple une implantation dans un pays mal connu. On sait cependant que dans peu de temps elle sera insatisfaite, que cela ne lui suffira pas et qu’elle demandera autre chose. Derrière elle seront installées des personnes en qui on a confiance, car on ne pourra pas compter sur elle pour l’avenir. L’opération reste donc ponctuelle : le « mercenaire » transmet sa compétence aux salariés stables, puis s’en va.

Tout l’enjeu pour les entreprises est de conserver en leur sein ces talents. Comment font-elles pour lutter contre cette croyance selon laquelle la progression professionnelle passe par la multiplication des expériences chez différents employeurs ?

Un certain nombre d’entreprises commencent à comprendre qu’il faut ouvrir des occasions d’apprentissage au sens large (situations nouvelles, équipes projets avec croisement de personnes différentes, développement à l’étranger, etc.). Il faut réalimenter la machine à compétences en permanence. Autrefois on faisait miroiter le poste du patron qui devait partir à la retraite dans dix ans. Les gens sont aujourd’hui un peu plus impatients, ils ont soif de nouveauté. On les retient donc en leur faisant comprendre que demain une opportunité d’apprentissage se présentera à eux, et surtout qu’ils ne stagneront pas. Cela exige de la créativité de la part de l’employeur, ce qui, certes, n’est pas toujours facile. Il faut, pour le salarié, avoir la possibilité de toquer à la porte afin de demander à voir du nouveau. On a tendance à penser que cela est plus facile dans un grand groupe, mais dans une PME le contact avec le patron est souvent plus facile. On peut donc, à partir du moment où on a sa confiance, s’atteler à un nouveau projet puisqu’on est le seul en lice. Quelle que soit la taille de l’entreprise, si celle-ci a compris l’intérêt qu’elle a à satisfaire votre soif de nouveauté, vous n’avez pas de raisons de la quitter.

Cela veut-il dire que l’époque à laquelle on effectuait des carrières de 30 ans dans la même entreprise était mieux que la nôtre ?

Prenons l’exemple du secteur de l’énergie. Chez Total, il est prévu que l’on peut faire 45 ans de chemin avec un jeune diplômé. Les missions, elles, durent environ trois ans. Vous occuperez donc de ce fait une dizaine d’emplois différents, quitte à suivre des formations lourdes et déménager une douzaine de fois. ERDF, en ce moment, cherche à recruter. On y change de poste tous les trois ans également, mais la mobilité n’étant pas une caractéristique du monde professionnel français, l’entreprise connaît des problèmes de recrutement. En tout cas vous êtes sûr, tous les trois ans, d’apprendre quelque chose de neuf.

Cette idée de changer d’employeur à longueur de temps est véhiculée par les médias qui, lorsqu’ils veulent interroger un spécialiste du marché de l’emploi, s’adressent aux cabinets de recrutement. Ces derniers vont évidemment vanter la mobilité interentreprises. En revanche on interview peu les DRH de grandes entreprises, dont l’objectif est de fidéliser les salariés. Ils réfléchissent aux meilleurs moyens de satisfaire la demande des jeunes cadres diplômés, qui veulent avoir connaissance des occasions d’apprentissage qui leur seront données demain.

D’où vient l’illusion selon laquelle, pour progresser professionnellement, il faudrait régulièrement changer d’entreprise ?

Le constat de la stabilité ennuyeuse a favorisé l’idée selon laquelle, pour entretenir des compétences, il faut changer d’environnement professionnel. Mais votre cœur de compétences est la raison pour laquelle on vous recrute : si on a été chef comptable pendant dix ans et que l’on veut être embauché comme DRH, l’employeur potentiel y repensera à deux fois, et cherchera plutôt à vous garder sous l’étiquette de comptable.

Les personnes qui « papillonnent » d’une entreprise à l’autre en début de carrière s’aperçoivent vers 35-40 ans qu’elles font toujours le même métier et que leurs méthodes de travail ne sont plus dans l’air du temps. Il faut régulièrement "recharger la machine à compétences". Pour cela, le meilleur moyen est de bénéficier de la confiance des patrons, pour que ceux-ci nous mettent dans des situations nouvelles.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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