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Un agriculteur travaille sur son exploitation agricole.
Un agriculteur travaille sur son exploitation agricole.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Réformes

La stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » vise notamment à réduire de 50 % le recours aux pesticides d’ici à 2030, et prévoit d’atteindre à cette date un quart de surfaces cultivées en bio. Ce projet risque d'affaiblir les exploitations et la compétitivité des agriculteurs européens, et de déplacer les impacts environnementaux vers des pays tiers.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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L’attaque russe sur l’Ukraine est venue nous rappeler que nos approvisionnements dépendaient étroitement de la liberté des échanges, laquelle, après les restrictions de l’épisode Covid, est à nouveau fortement entravée par les circonstances de la guerre.

Mais il y a plus grave, et cela n’a rien à voir avec le facteur externe d’un conflit ou d’un virus mais tout avec le facteur interne d’une transformation écologique programmée des économies européennes connue sous le nom de « green deal » européen couplée à l’aberrante détestation des écologistes pour le nucléaire civil.

Le « green deal » vise à faire de l’Union européenne (UE) la première région du monde à atteindre la neutralité carbone en 2050, avec une première étape de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et une seconde étape visant la neutralité totale des voitures neuves vendues dans l’UE en 2035.

Sur ce dernier point, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer combien le choix du « tout électrique » était purement politique et soulevait une forte défiance chez l’ensemble des constructeurs automobiles européens qui dénoncent l’irrationalité d’une solution imposée par les pouvoirs publics et l’entrave qu’elle représente pour la créativité industrielle.

Quant au nucléaire, l’irruption de la guerre a étalé au grand jour les hypocrisies qu’on soupçonnait chez les écologistes. On n’a jamais aussi bien compris que la violente opposition idéologique des Verts allemands vis-à-vis de cette production d’électricité parfaitement décarbonée, opposition diffusée à divers degrés dans toute l’Europe, avait surtout pour conséquence absurde de revigorer les centrales à charbon.

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Il se trouve en effet que lors des discussions sur les sanctions à prendre contre la Russie, l’Allemagne a commencé par s’opposer à l’exclusion des banques russes du système de virement international SWIFT… car elle risquait de ne plus pouvoir acheter à la Russie le charbon indispensable à sa production d’électricité. Dixit Annalena Baerbock, ex-coprésidente des Verts et ministre allemande des Affaires étrangères depuis deux mois !

Il est vrai que le gaz (pour faire plaisir à l’Allemagne) et le nucléaire (pour faire plaisir à la France) ont été introduits tout récemment (et sous certaines conditions) dans la taxonomie verte de l’UE, non sans provoquer d’abondants remous du côté des écologistes. Mais l’objectif ultime reste de faire descendre la part du nucléaire dans la production d’électricité dans l’UE de 26 % aujourd’hui à 15 % en 2050.

Autrement dit, au motif de sa course idéologique à la neutralité climatique qu’elle veut absolument gagner, la Commission européenne semble avoir un talent tout particulier pour handicaper au maximum les secteurs économiques dans lesquels les pays de l’Union sont forts, sans garantir pour autant que le climat et l’environnement s’en trouveront mieux.

Nouvel exemple navrant avec le volet agriculture et alimentation du « green deal » connu sous le nom de stratégie « Farm to Fork » ou F2F, c’est-à-dire « de la ferme à la fourchette ».

L’objectif général consiste à avancer vers un système d’alimentation européen plus sain et plus durable. Jusque-là, tout va bien. Qui serait contre ? Le problème apparaît lors de la déclinaison quantitative de l’objectif : à l’horizon 2030, il s’agit en effet de consacrer 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique (contre 8,5 % en 2019), de diviser par deux le recours aux pesticides et les ventes d’antibiotiques pour l’élevage et enfin de réduire de 20 % l’utilisation d’engrais chimiques :

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À tout cela, s’ajoute la volonté de laisser 10 % des terres agricoles en paysages non productifs afin de protéger la biodiversité, comme prévu dans le volet « biodiversité » du « green deal ».

Autant dire que le monde européen de l’agriculture s’est immédiatement senti pris à la gorge pour continuer à exister dans un monde où ses concurrents ne connaissent pas (encore) de contraintes aussi drastiques. Plusieurs études d’impact ont donc été immédiatement lancées par différents organismes publics ou privés et leurs conclusions sont sans appel : la mise en œuvre d’un tel projet reviendrait ni plus ni moins à se tirer une balle dans le pied.

Par exemple, pour l’Université néerlandaise de Wageningue dont le rapport a été publié en décembre dernier, les volumes de production chuteraient en moyenne dans toute l’Europe de 10 à 20 % selon les scénarios étudiés (calés sur les objectifs chiffrés cités ci-dessus). Certaines cultures comme les pommes subiraient même une chute de production de 30 %, tandis que les betteraves sucrières s’en tireraient sans trop de mal. Dans l’ensemble, les prix augmenteraient, entrainant une altération du commerce mondial par augmentation des importations européennes et diminution des exportations. L’étude suggère en outre que le bénéfice environnemental de passer à 25 % de terres cultivées en bio n’est pas vrai pour toutes les cultures.

En novembre 2020, le ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) s’est également penché sur la question. Il considère en effet que l’agriculture européenne est trop importante pour qu’une évolution aussi radicale de ses structures n’affecte pas l’ensemble du monde. De plus, rien n’interdit de penser que le précédent européen, une fois lancé, pourrait inspirer d’autre région du monde. Il en résulte une étude de l’impact de « Farm to Fork » pour l’UE, pour les États-Unis et pour l’ensemble du monde selon trois scénarios (« Farm to Fork » limité à l’UE, adopté par une partie du monde, généralisé au monde entier) :

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Si la stratégie « Farm to Fork » reste limitée à l’UE, celle-ci verrait sa production chuter de 12 %, ses prix augmenter de 17 %, le chiffre d’affaires de ses agriculteurs baisser de 16 % et ses exportations s’effondrer de 20 %. Dans ce scénario, les États-Unis seraient peu impactés, mais l’insécurité alimentaire concernerait 22 millions de personnes de plus dans le monde.

À l’autre bout de l’étude, la généralisation des contraintes écologiques de « Farm to Fork » conduirait à une baisse de la production agricole mondiale de 11 %, à des hausses de prix colossales et à la mise en insécurité alimentaire de 185 millions de personnes de plus par rapport aux projections 2030 sans « Farm to Fork ». On ne saurait trop souligner combien la transformation écologique de l’agriculture à marche forcée pourrait s’avérer désastreuse pour le développement humain…

Mais le plus rageant de l’affaire, c’est qu’il existe une étude interne à la Commission européenne qui ne soutient nullement le projet « Farm to Fork ». Réalisée par le Centre commun de recherche et publiée fin juillet 2021, elle ne s’intéresse qu’à l’impact sur l’UE à l’exclusion du reste du monde. Résultat, en supposant la politique agricole commune (ou PAC) inchangée, le volume de production des céréales baisserait de 15 %, celui des fruits et légumes de 12 % et celui des produits laitiers de 10 % (entre autres) :

Comme les autres études, celle du Centre commun de recherche met également en évidence une hausse des prix des produits agricoles ainsi qu’une dégradation de la balance importations exportations. Mais réjouissons-nous, malgré ces perspectives peu joyeuses, les émissions de gaz à effet de serre baisseraient de 20,1 %… Si ce n’est que les auteurs admettent dès leur propos introductif que du fait de la hausse des importations, une part importante des gains en matière d’émissions de gaz à effet de serre dans l’UE serait transmise à d’autres régions du monde ! On nage clairement en plein délire.

La stratégie « Farm to Fork » a été adoptée par le Parlement européen en octobre dernier, mais il lui reste à être déclinée en textes législatifs contraignants, parcours qui ne devrait pas aboutir avant 2023. Il est donc encore temps d’arrêter le massacre.

Interrogé cet automne par des sénateurs ayant lu l’étude interne de la Commission européenne et inquiets de voir l’agriculture européenne sacrifiée sur l’autel d’un mieux-disant environnemental tout relatif, le ministre français de l’Agriculture Julien Denormandie s’est montré très compréhensif :

« L’étude à laquelle vous faites référence, menée par le bureau d’études de la Commission européenne, doit provoquer un réveil des consciences chez toutes celles et tous ceux qui considèrent que l’on ne fait jamais assez pour la transition agro-écologique. »

Reste à savoir ce que ces bonnes dispositions deviendront dans les rapports de force en présence au Parlement européen. Dans l’immédiat, le ministre s’est limité à promettre une nouvelle étude d’impact. Un grand classique peu rassurant…

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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