A quel âge faut-il mourir pour éviter de tomber dans la pauvreté ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
70% des plus de 60 ans sont propriétaires
70% des plus de 60 ans sont propriétaires
©

Elle viendra quand même

Une vieille dame de 94 ans est mise à la porte de sa maison de retraite et toute la France s'émeut. Au-delà de ce fait divers, le débat du travail des seniors et du coût de la dépendance est plus que jamais d'actualité.

Hippolyte  d'Albis et Anne-Marie Guillemard

Hippolyte d'Albis et Anne-Marie Guillemard

Hippolyte d'Albis est un économiste de la démographie dont les domaines principaux de recherche sont le vieillissement de la population, les cycles de vie et la dynamique économique. Professeur à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne, il a reçu le Prix 2012 du Meilleur Jeune Economiste décerné par le Cercle des Economistes.

 

Anne-Marie Guillemard est professeur des universités à Paris Descartes.

 

Sociologue ayant notamment travaillé sur l'âge et la vieillesse, elle est l'auteure de Les défis du vieillissement (Armand Colin / 2010).
 

Voir la bio »

Atlantico : La France entière s’est émue de l’histoire d’une vieille dame de 94 ans qui a été mise à la porte de sa maison de retraire en raison d'impayés. En dehors des très riches, la vieillesse en France mène-t-elle nécessairement à la pauvreté ?

Hippolyte d'Albis :La pauvreté peut être appréhendée de deux façons. On se focalise souvent sur les revenus, qui sont mécaniquement plus faibles lors du passage à la retraite. C’est d’autant plus vrai pour les femmes de la génération de la personne que vous mentionnez. Leurs revenus sont faibles car, en moyenne, elles ont peu participé au marché du travail et ont perdu leur conjoint. Cependant, il est plus pertinent de regarder le patrimoine. En France, ce sont les ménages de 55-60 ans qui ont le patrimoine le plus élevé ; au delà, la richesse décroit avec l’âge. Il s’agit cependant d’un effet de génération, car si l’on suit une cohorte, on ne perçoit pas réellement d’appauvrissement avec l’âge. En particulier, le taux de propriétaires s’accroit avec l’âge et atteint, en France, les 70% après 60 ans. Au total, on ne peut pas dire que la vieillesse a jusqu’à présent nécessairement mené à la pauvreté. Il n’est reste pas moins qu’il existe toujours des situations dramatiques pour certaines personnes âgées, qui ne devraient pas être tolérées dans nos économies avancées.

Anne-Marie Guillemard :La vieillesse ne mène pas nécessairement à la pauvreté mais elle y mène de plus en plus sûrement et les trentenaires actuels sont voués, sauf exceptions, à une vieillesse pauvre si rien ne change. Notre système de retraites est, dans le monde entier, l’un de ceux dans lequel on contribue le plus longtemps. Cela ne serait pas problématique si les moins de 25 ans étaient plus présents dans l’emploi ou que les trentenaires étaient plus stables professionnellement, alors qu’ils mettent en moyenne six ans à trouver un emploi stable. Cette insertion très lente et précaire dans l’emploi ne peut mener qu’à des travailleurs qui une fois à l’âge de la retraite bénéficieront de versements tronqués. Depuis la réforme de 2003, il est évident qu’il y a une progression du risque d’appauvrissement de la vieillesse, ajoutez à cela le gel des retraites et l’augmentation du cout de la vie, en découle naturellement une baisse du pouvoir d’achat. La situation n’est d’ailleurs pas près de s’améliorer à la suite des mesures récemment prises par le gouvernement socialiste que sont notamment l’alourdissement fiscal pour les retraités et l’affectation des emplois de service dont les personnes ont vraiment besoin et qui étaient un gisement d’emploi important tant que les plus de 70 ans y trouvaient un avantage préférentiel, ce qui n’est plus le cas.

Face à l’évolution actuelle du rapport entre la fiscalité et les retraites, existera-t-il une alternative au travail autre que la mort pour les générations futures ?

Hippolyte d'Albis : Personne ne souhaite la disparition des plus âgés, car avant d’être une catégorie démographique, ce sont nos parents et grands-parents. Le vieillissement de la population entraîne un accroissement de la part des inactifs dont la consommation et les besoins spécifiques, notamment en santé, sont financés par les actifs. Pour maintenir un système de protection décent, il n’y a pas tellement d’autre alternative que d’accroître la richesse produite via le nombre d’actifs et leur productivité. Cependant, au contraire de la fiscalité, l’activité économique ne se décrète pas par le gouvernement ou le parlement. Elle est le résultat d’efforts collectifs et constants en matière d’innovation et d’éducation principalement. Les choix politiques en matière fiscale ou de retraite concernent plutôt le niveau de la redistribution que l’on souhaite envers les plus pauvres et les plus fragiles.

Anne-Marie Guillemard : Tout le problème est de savoir s’il y a de l’emploi pour les personnes d’âge élevé car en France les chiffres montrent qu’un travailleur est considéré comme vieux ou disons "demi vieux" à 45 ans. C’est l’âge à partir duquel il est avéré que les DRH hésitent à promouvoir ou à former un travailleur, qui est donc considéré comme étant à mi carrière, sur la pente descendante. Cela témoigne du fait que nous ne sommes absolument pas dans une logique d’allongement de la vie professionnelle alors que celle-ci devrait aller de pair avec l’augmentation de l’espérance de vie. A l’inverse, la France voit ses jeunes rentrer de plus en plus tard sur le marché du travail à cause de l’allongement de la formation et en sortir proportionnellement plus tôt par rapport à leur durée de vie moyenne. L’âge de sortie actuel dans le régime général des retraites est de 59 ans alors que la liquidation de retraite est de presque 62 ans ce qui entraine naturellement des périodes de précarité et entraine un meilleur accès au marché du travail pour certains seniors.

Quelles solutions peut-on imaginer pour lutter contre le paradoxe entre la perception sociale négative des seniors et la nécessité pour eux d’un accès accru au marché du travail ?  

Hippolyte d'Albis : La perception négative que certains peuvent avoir des seniors trouve notamment ses racines dans la volonté de lutter contre la baisse de la fécondité, qui en France a été observée bien avant les autres pays Européens. Le retentissement à la fin des années 1970 d’un ouvrage tel que "La France ridée" en est une illustration. Il est également vrai qu’en France le taux d’emploi des séniors, et plus précisément des 55 ans et plus, est plus faible que dans d’autres pays. Pourtant, une enquête récente de la DARES auprès des entreprises du secteur marchand, a montré que les plus de 50 ans bénéficiait d’une très bonne image en interne, du fait de leur savoir-faire mais aussi de leur dynamisme. Le paradoxe est donc plutôt que malgré la perception positive dont ils jouissent auprès des entreprises, leur employabilité est faible. Se priver des compétences des séniors est une véritable perte pour l’économie française.  

Anne-Marie Guillemard : C’est un problème très grave qui implique l’extrême nécessité d’allonger le travail qui est la seule solution pour le financement des retraites. Cela est encore plus vrai dans le cas d’une population vieillissante car il y a la un double dividende, si vous prolongez votre activité, vous aurez moins de pension à verser et recevrez plus de contribution de la part de ceux qui sont encore dans le travail. Sur ce sujet, la France est notoirement en retard et progresse moins vite que la Finlande ou les Pays-Bas qui sur la période 1996-2011 ont respectivement augmenté leur taux d’emploi des 55-65 ans de 65% et 80% pour une France à moins de 50%.

Ces résultats ont essentiellement été obtenus grâce à des mesures préventives de sensibilisation des entreprises plutôt que par des réformes de l’emploi. Ces pays ont su rendre attractif l’emploi des seniors qui sont en France victimes de très nombreux stéréotypes qui les conditionnent à l’inefficacité. Les entreprises françaises n’ont pas été alertées par les gouvernants sur le fait qu’il est essentiel de rendre mobiles leurs employés car si l’on maintient un employé dans le même poste durant vingt ans, il devient naturellement improductif puisque formé à un métier d’hier plutôt qu’à un métier de demain. Ces carences dans la gestion prévisionnelle des compétences n’a pas permis aux entreprises d’opérer les transferts qu’on su faire des pays comme le Japon en transférant des seniors aux compétences rares vers des filiales ou des PME. Ces seniors peuvent effectivement se révéler improductifs au sein de grands groupes mais plutôt que de les sortir de l’emploi, leurs compétences peuvent être extrêmement recherchées dans des entreprises plus petites ou des filiales qui développe une activité dans une autre région du pays ou du monde. Il faut absolument sortir de la logique dont la France est malade qui consiste à n’avoir qu’une seule génération au travail, les 30-55 ans, et qui porte l’emploi à elle seule et qui est écrasée par celui-ci. Enfin, il faut rendre le travail attractif pour les seniors, ce que la France n’a pas su faire en mettant en place des mesures comme les 35h qui ont essentiellement intensifié le temps de travail créant ainsi des travailleurs épuisés et ne cherchant qu’à sortir de l’emploi par absence de perspective d’une fin de carrière intéressante.

Comment expliquer que la prise en charge de la vieillesse coûte aujourd'hui si cher ? La France a-t-elle pris la mesure des enjeux liés à la prise en charge de la dépendance ?

Hippolyte d'Albis : Il est bien établi que les dépenses de santé et d’accompagnement des dépendants s’accroissent avec l’âge, notamment après 80 ans. Ceci tient au fait que le risque d’être malade ou d’entrer en dépendance s’accroit parallèlement. De plus, le nombre de personnes de plus de 80 ans va fortement augmenter d’ici une quinzaine d’année pour atteindre 5 millions d’individus. Il y a donc potentiellement d’importants besoins qui vont apparaître, qui seront autant de gisements d’emplois et d’opportunités de recherche dans les domaines médicaux et des gérontechnologies. La question du financement de ces besoins futurs est importante mais je pense qu’elle ne doit pas se limiter à sa dimension publique. Une taxation peut être envisagée pour couvrir les dépenses des plus démunis ou, éventuellement, certaines dépenses lourdes. Mais le débat doit également porter sur le financement privé des dépenses liées au grand âge par une logique assurancielle ou par des stratégies d’auto-assurance de la part des familles.

Anne-Marie Guillemard : La dépendance a été créé et a absorbé les seniors impliquant ainsi leur prix pour la société en les mettant sur des transferts sociaux. Cela a commencé avec la préretraite qui a fait beaucoup de mal aux mentalités car lorsque un individu prend sa préretraite à 50 ans, il ne peut que se considérer comme étant en fin de carrière et devient naturellement moins productif. De plus, ce qui devait initialement laisser de la place aux plus jeunes n’a jamais fonctionné et tous les pays qui se sont engagés dans cette logique de partage générationnel du travail ont toujours subi des échecs. La France a réussi a réussi à créer du chômage des deux coté de l’échelle des âges, chez les plus jeunes et chez les seniors. En effet, si les seniors sont discriminés, les jeunes le sont aussi car considérés comme inexpérimentés et donc inefficaces. Pourtant, il est d’une absolue nécessité que d’utiliser cette population active tout en rallongeant la carrière des seniors. Notre pays a la chance extraordinaire d’avoir réussi à maintenir une forte natalité mais ne l’exploite pas et elle devient un frein au lieu d’être un accélérateur.

La croissance démographique française sera-t-elle un avantage ou un handicap pour améliorer la condition des seniors ?

Anne-Marie Guillemard : Absolument, le vieillissement n’est pas un mal fatal, d’autant plus que nous en sommes en bien meilleure posture démographique que la plupart de nos voisins européens. Ces jeunes sont très nombreux à entrer sur le marché de l’emploi mais ne sont pas recrutés ou le sont dans des emplois précaires au lieu de les intégrer. Il faut inverser la logique de remplacement des vieux par les jeunes car cela n’a pas de sens en terme de compétences mais il est nécessaire de mettre en place la synergie des générations au travail. Il ne sera pas éternellement possible de laisser une génération porter à elle seule l’emploi et les transferts sociaux car cela fait entre autre baisser la qualité de travail. La baisse de celle-ci entraine naturellement une perte de compétitivité des entreprises qui n’a aucune chance d’être retrouvé avec des travailleurs blasés et épuisés. Plutôt que de penser à la pénibilité des emplois, il faudrait créer du turnover dans ces emplois pénibles pour que les gens y restent le moins longtemps possibles et soient ainsi productifs plus longtemps.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !