Dans un paysage intellectuel tout à fait désertique, il faut vraiment que les choses aillent mal pour que l’on se saisisse à nouveau de certaines idées de Milton Friedman conçues pour contrer une crise déflationniste (années 1930, Japon) et ayant survécu à un long autodafé, comme la " monnaie hélicoptère ". Ça tombe bien, ça va vraiment mal. Commençons par là où nous en sommes avant d’aborder le cœur du sujet.
Mêmes les plus optimistes qui ont passé le plus clair de ces huit dernières années à nier les réalités déflationnistes commencent à s’apercevoir qu’il y a quelque chose qui ne tourne plus rond. Les Suisses, qui ont été les champions toutes catégories du quantitative easing et des taux négatifs, n’arrivent pas toujours à se sortir d’une inflation à -1%/an.
Idem en Suède et ailleurs. Les Japonais, qui ont réussi leur détente monétaire, leur dévaluation et une partie de leur " reflation ", n’ont pas encore réussi à revenir " à la normale ", leurs taux d’intérêt en témoignent. Après un an d’achats soi-disant massifs, la BCE constate que les anticipations d’inflation reviennent à leur niveau de décrochage pré-QE, que les taux longs allemands sont proches de 0% (personne, il y a encore trois ou quatre ans , n’aurait misé sur un Bund 10 ans à 0,2% "en dehors d’une déflation intense"), que les craintes de bulles sont des blagues (le CAC 40 à 4 200 points, pas à 6 000), etc. Bref. Ça sent mauvais.
A tel point que même à la BCE, c’est la panique. L’autre jour, dans les minutes de la dernière réunion, il a été fait mention d’un membre de l’institution qui aurait affirmé qu’en l’absence de respect de la cible d’inflation depuis des années en zone euro, nous pourrions envisager des actions qui conduiraient à un léger dépassement de la cible, dans l’autre sens. Bon, OK, c’est une personne sur 20, pour la 1ère fois et peut-être la dernière, car en règle générale les dissidents " colombe " sont vite éliminés à Francfort ou se dégonflent, mais ça ressemble furieusement à ce dont je vous parle depuis des années, le Price Level Targeting. Ça a l’air compliqué et dangereux, c’est simple et archi-conservateur : moyenner à 2% d’inflation sur l’ensemble du cycle (si tant est que l’inflation ait un lien avec la mesure officielle CPI, mais passons) ; c’est, après tout, l’esprit et la lettre du mandat de la BCE, et un axe de bon sens pour rétablir de la symétrie, en l’absence d’une meilleure cible (le PIB nominal).
A ce propos, et là encore comme pour montrer à quel point il y a le feu à la maison, Larry Summers, lui personnellement lui-même, vient de se convertir à l’idée d’une cible de PIB nominal. C’est fort : ça vient d’un budgétariste et d’un structuraliste qui, le plus souvent, minorait le rôle de la politique monétaire, et d’un homme qui a bien failli être le chef de la FED (d’ailleurs, on est nombreux à se dire que, finalement, Yellen s’apparente de plus en plus à une erreur de casting), et par-dessus le marché, un des principaux responsables du processus indépendantiste des banques centrales dans les années 1990. Il dit maintenant : au point où nous en sommes, avec de mauvaises prévisions de croissance et d’inflation (biais systématiquement trop optimiste de la part de la FED depuis 2007), avec tous ces conflits d’intérêts à la FED entre les objectifs, les cibles et les missions de perfusion des banques, nous devrions songer à faire clair et efficace, à écouter enfin un petit universitaire, Scott Sumner, au lieu de se fier à tous les gourous de l’Ivy League qui ont eu tout faux depuis le début (bon OK, là c’est moi qui parle, mais c’est en gros le message). Il ajoute : vous pouvez voir des lieux où il y a de nombreux docteurs, et dans ces lieux de très nombreuses personnes qui sont malades, et vous pourriez conclure que les hôpitaux blessent les gens. Au lieu de cela, si les gens sont à l’hôpital parce qu’ils sont malades, alors les QE et les taux négatifs sont là du fait de la crise monétaire, parce que tenter de créer de la monnaie depuis 2008 ne fait que contrebalancer une partie de la destruction monétaire opérée par les banques commerciales et par les agents économiques eux-mêmes (désir de désendettement, disparition de nombreux instruments financiers, faillites, nouvelles exigences réglementaires, etc.). Nous ne sommes pas dans le pétrin à cause des initiatives monétaires, de même que la Normandie de 1944 n’était pas dans le pétrin à cause des bombardements américains. (Petite parenthèse, la plupart des critiques anti-QE empruntent mot pour mot à la phraséologie pacifiste de la fin des années 1930 : "le réarmement sera irréversible", "va causer des dégâts et un gouffre pour les finances publiques", "n’a jamais marché", "sera imité par les autres ce qui le rendra inutile", "est immoral ou illégal, compromettra l’amitié franco-allemande", etc.).
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