Gérard Guégan : toute une vie pour et par la littérature <!-- --> | Atlantico.fr
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Gérard Guégan.
Gérard Guégan.
©© Stéphane Cerri

Atlantico Litterati

Gérard Guégan publie « Le chant des livres » (Grasset), son cinquantième ouvrage.La subtilité sur terre.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Auteur de cinquante livres, Gérard GUÉGAN - écrivain, éditeur et journaliste - incarne plus que tout autre romancier et/ ou essayiste cette passion qu’il servit si bien et  continue de servir : la littérature, sa vie. Pour cet artiste singulier, en effet et- nous le croyons sur parole-, les livres chantent en chacun d’entre nous : nous sommes le reflet de nos lectures. Les livres sont notre oxygène, nous pensons et respirons par eux. Sans eux, nous ne sommes pas, ou si peu.Opinion que partage Raphaël GAILLARD, scientifique amoureux des arts et Lettres, au point qu’il  vient d’être élu à l’Académie française.Ce nouvel occupant du fauteuil 16, Quai de Conti, disait voici peu et ici- même, dans  cette chronique : « Estil seulement besoin de l’écrire ? Les performances de lecture sont globalement corrélées chez l’enfant à ses performances intellectuelles. Une corrélation n’est pas un lien causal, certes, mais la force de cettecorrélation, sa reproductibilité et la diversité des méthodes pour la mettre en évidence concourent à l’idée que savoir bien lire est synonyme d’intelligence ».Nous étions sous le charme de ce discours et n’étions pas les seuls, car Raphël Gaillard, normalien et psychiatre, qui dirige le pôle hospitalo-universitaire de l'hôpital Sainte-Anne et de l'université Paris Cité a été invité à rejoindre le 27 avril dernier, le fauteuil 16 du quai de Conti- qui fut, entre autres, celui de VALÉRY GISCARD D'ESTAING. (Félicitations, cher Raphaël Gaillard, beau destin : vos essais ont enchanté les membres de La Compagnie ; l’académie française vous va comme un gant)

J’imagine très bien Raphaël Gaillard lisant avec délectation « Le chant des livres » de Gérard Guégan, pour le plaisir d’entendre Guégan  évoquer à chaque page cette petite ou grande musique de la littérature  en racontant ses amis écrivains d’hier et d’aujourd’hui . Nous autres lecteurs  en apprécions la puissance et la grâce, mais il y a  aussi, quoique discrètement, dans le titre du nouvel essai de Gérard Guégan une allusion ( Guégan n’insiste jamais) au « chant  du cygne », expression qui évoque ce moment d’avant la fin, le chant du cygne annonçant la mort de l’oiseau mythique. Pas fou, Guégan sait que la littérature  est un art et une science qui, de nos jours, se perdent. Mais  ce « Chant des livres » ( Grasset) de Gérard Guégan existe en son charme entêtant et durable, et Guégan nous apporte ipso facto-la bonne nouvelle : son essai, tout en  réfléchissant à la force et la fragilité des écrivains-  est  justement la preuve vivante que la littérature-par définition- ne meurt jamais.Elle plie parfois mais ne rompt pas. »Les auteurs nous quittent, elle demeure.Pour Guégan, la littérature est la respiration de  toute civilisation, et particulièrement,la nôtre; toujours, un humain tracera des signes dans la caverne ; des inscriptions diront son humanité, des lettres sa conscience, le verbe toujours affirmera en nous et chez autrui, le sacré du texte. « Apprends qu’il te faudra aller chercher tes mots dans la cendre de tes sentiments »,( dit -admirablement-  Gérard Guégan dans « «Appelle-moi Stendhal » (Stock 2013). L’une des plus belles définition de la littérature que je connaisse.

          « On écrit d'abord parce que d'autres avant vous ont écrit [...] pas d'écrivains sans insertion dans une chaîne d'écrivains ininterrompue », affirme de son côté Julien GRACQ dans "En lisant en écrivant" (José Corti -1980). Gérard Guégan, en quelques phrases pudiques, nous conte son amitié pour Jean_-Pierre Enard dont « tout le monde » avait aimé « Le dernier dimanche de Sartre » (Le Sagittaire)  

Guégan, pour ce qui est de l’avenir,ne tranche pas. Il a la foi et comme nous tous, il espère.  Les apparences sont peu réjouissantes, certes, et la lecture se perd jusque dans les écoles, c’est dire, mais ce n'est pas « le chant du cygne » : la culture de l’écrit renaîtra plus forte encore de cette saison en enfer. Et  l’essai de Gérard Guégan est la première pierre de cette cathédrale à venir, la preuve qu’une page va se tourner en faveur du Verbe. Durant la folle jeunesse  de Guégan,  précise l’éditeur, «  l’on s’aimait, ou l’on se brouillait à cause d’un livre ». La lecture était partout essentielle, la littérature semblait la matrice  trois  fois chérie de la Nation. Le chant des livres est l’autoportrait d’un artiste qui incarne cette passion française au point que l’auteur ressemble à son personnage ( de roman-vrai) : Gérard Guégan, l’éternel rimbaldien. Un essai limpide dans le chaos actuel. Un récit qui se fait humble face à son sujet ( la force tellurique de la littérature) ; sans doute Guégan pourra-t-il  contaminer le cœur et l’esprit de notre( belle) jeunesse, plus attachée qu’on ne le croit  à la valeur de l’écrit « (…)Les habitudes qui règlent  l’engagement littéraire sont peut-être en train de changer : abandonné des anciennes classes et inconnu des nouvelles, l’écrivain au sens magnifique du terme, est de plus en plus seul. », note Roland Barthes (1951-1980) dans « Sollers écrivain ». (PointsSeuil). Seul et magnifique, en effet, l’auteur- éditeur-traducteur  et figure de la littérature contemporaine qu’incarne Gérard Guégan, publie  son cinquantième ouvrage : Le Chant des livres  en nous livrant des pans d’autobiographie par  l’évocation de toutes ces conversations  provoquées par la rencontre de divers écrivains aimés, un peu, beaucoup, passionnément.Le « chant du cygne » évoque donc ce moment  d’avant la mort. Anton Tchekov en fit une pièce en un acte, un court chef d’œuvre, le théâtre dans le théâtre, et Guégan- sophistiqué comme il  l’est- a certainement pensé à Tchékov en écrivant son essai.

L’engagement littéraire, Guégan l’incarne plus que d’autres  acteurs de la scène littéraire contemporaine. Et ce recueil de souvenirs chante en effet  la douceur des pages du manuscrit en train de s’écrire, et  l’amour fou de l’écrit, une emprise à nulle autre pareille:  la passion littéraire, l’admiration et l’amitié pour ceux, morts ou vivants qui  firent et font de  notre littérature ( celle des autres et la leur) plus qu’un métier : leur(s) vie(s).Il y a chez Gérard Guégan une « passion fixe » comme se plaisait à le dire Sollers qui nous manque beaucoup. L’écriture par-dessus tout, la littérature au-dessus de tout :  Guégan,Sollers :cette magnifique dévotion à l’écriture. 

«Au contraire de ce que l’on pourrait penser, un portrait littéraire n’est pas une photogaphie », note Gérard Guégan dans « Le chant des livres ».Une  recension pudique et non exaustive des moments en relation avec la littérature et les écrivains qui ont jalonné sa trajectoire d’écrivain distingué par plusieurs prix littéraires-dont le Freustié ( le vrai Freustié, le plus flatteur - celui remis du vivant de Bernard Frank, un prix à l’époque ultra littéraire, financé par la meilleure amie de Bernard ( et personne d’autre  n’a « fondé » ( sic) le Freustié. Dans le doute, demander  la dépêche AFP concernant la création duFreustié, document dont je détiens un double que Bernard Frank nous avait donné « en souvenir » . Tous ces crépages de chignon, ces mensonges,ces licenciements !)

Par opposition à « l’écrivant » que dénonçait  jadis et naguère Roland Barthes et qui prolifère aujourd’hui-, l’écrivain au sens où l’entend Gérard Guégan ne vieillit jamais ; si cela lui arrive, et qu’il disparait en librairie, il peut  ressusciter par l’écriture, car la littérature dure parfois plus longtemps que la vie de l’auteur, le verbe bien asséné  pouvant même  triompher des armes blanches ( cf. Salman Rushdie/ « Le couteau »/ Gallimard). Gérard Guégan est de la race des seigneurs : écrivain, journaliste, éditeur et lecteur gourmand, il incarne cette image que se font encore de la France ( mais de plus en plus rarement,) les lecteurs étrangers. Hélas, nos gouvernants ont fait de cette Nation du Verbe et de la culture le pays des « Marches Blanches ». Nous marchons en silence, dans le deuil partagé, opposant à la barbarie qui règne souvnt en toute impunité, nos condoléances les plus  attristées..Les « papas » et « les mamans » sont en tête du cortège;  la barbarie  s’interrompt ici pour mieux frapper là-bas : la marche blanche perpétuelle est notre enfer sur terre, elle est  le symptôme de notre patrie glacée.

Gérard Guégan vivifie son lecteur en lui contant ses rencontres débonnaires- ou nerveuses, voire conflictuelles en compagnie de ses auteurs de prédilection, au fur et à mesure de sa trajectoire personnelle.Arbitre des élégances littéraires, tel que fut et est toujours Guégan,  l’auteur du « Chant des Livres »nous fait revivre une époque  « où l’on s’aimait,  où l’on se brouillait  à cause d’un livre », époque en or durant laquelle la visite au « grand écrivain »-celui que l’auteur débutant préférait à tous les autres, le « parrain » en somme, était aussi importante que l’est la cérémonie du baptème pour les Chrétiens. Gérard Guégan fait revivre une époque durant laquelle la littérature et ceux qui la faisaient comptaient plus que tout . Cet autoportait met en scène Gérard Guégan au Sagittaire, qu’il dirigeait. « En ce temps-là, j’avais pour principe de tirer le portait  des auteurs du Sagittaire, mais c’étaient eux qui choisissaient ensuite la photo destinée à l’illustration de leur livre. »nous dit-il au passage . Défilent alors  pour notre plaisir Jean Giono, Henry Miller, Philippe Sollers,Charles Bukowski, Edmonde Charles-Roux,Faulkner,  et les descendants d’amis d’Arthur Rimbaud, à l’origine de tout, en particulier de la passion littéraire de Gérard Guégan. 

La morale de cette histoire ? La lecture fait la France, et que nous le voulions ou pas, que nous le sachions ou pas, nous sommes ce que les livres nous ont faits ( ou pas, si nous ne lisons pas : mais alors, sommes-nous tout à fait français ? )

4) « Le chant des livres » de Gérard Guégan (Grasset). Extrait :

« Qu’avez-vous lu ces derniers temps ? », me demanda Sollers

« 1. 

Revenons-en si vous voulez bien, à la littérature.Qu’avez-vous lu d’intéressant ces temps derniers me demanda Sollers.

         Tout en réfléchissant à ma réponse, je jetai un coup d’œil vers la rue du Bac.Il s’était remis à tomber de la neige fondue. L’hiver avait de l’avance sur le calendrier. Nous étions en effet fin octobre.

2. 

Je ne sais plus qui de Pierre-André Boutang ou de Raphaël Sorin avait pris l’initiative d’organiser ce déjeuner. Toujours est-il qu’avant ce jour de 1976, je n’avais pas partagé le pain et le vin avec Sollers. Quand Boutang ou Sorin-peut être s’y étaient-ils mis à deux ?- m’avaient poussé à le faire, je ne m’y étais pas montré hostile en dépit de nos divergences.

Au vrai, j’étais curieux de voir à quoi ressemblait un écrivain dont j’avais acheté le premier roman le jour de mes vingt ans. Mais dont j’avais mal supporté qu’il collât à Marchais en 68, puis qu’il ralliât  le maoïsme version Macciocchi (Maria-Antonietta Macciocchi - écrivaine italienne- plutôt que les Mao de la Gauche prolétarienne qui l’auraient – rions un peu- forcé à aller trimer en usine).

3.

L’intelligence déliée de Sollers, son goût de l’anecdote vacharde avaient assez vite entamé mes préventions. Au moins, m’étais-je dit, en appréciant le Saint-Estèphe qu’il avait choisi, l’ennui ne serait pas de la partie. Je fus cependant sidéré de l’entendre, dès le premier verre, me proposer, compte tenu de sa mésentente naissante avec le Seuil, une alliance entre les éditions du Sagittaire et Tel  Quel, sa revue.En guise de réponse, j’étais parti d’un gros rire.

4.

Mais s’agissant de mes lectures, je ne voulais pas me défiler.

« Hé bien, je viens de terminer le dernier roman de William Humphrey, « Les Liens du sang ». Ca vaut Hemingway.

-Quoi ! Vous aimez Hemingway ! Cette fiction pour enfants de troupe ! C’est à peine moins crapoteux que Dumas.

-Pas de chance, dis-je, j’adore Dumas.

-Admettons. Et pour ce qui est de la théorie, vous en êtes où ?

-J’en suis à Castoriadis (*NDLRCornelius Castoriadis, (1922-1997)Critique sans concession de la « pensée héritée »de la politique, la société et l’histoire, en particulier dans sa version marxiste, ce livre inclassable s’est affirmé comme une des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle, au carrefour de la politique, de la philosophie, de la psychanalyse et de la réflexion sur la science. )


         Fronçant les sourcils, Sollers fit alors décrire à son fume-cigarette une série de ronds acrobatiques, manière, pensai-je de traduire son embarras. Je me trompais.

« Etes-vous sûr de votre choix ? Comparé à Bataille (*ndlr), Castoriadis, c’est petit bras, lâcha-t-il avec un sourire ironique.

-Mais qui vaut Bataille sinon Foucault ( * ndlr)

-Pas sot !

-En ce moment je lis un Américain qui devrait vous plaire. Il s’appelle Bukowski et, depuis que je l’ai découvert, je passe mes nuits à traduire un de ses recueils de poèmes : « L’amour est un chien de l’enfer ».

-Pensez à me le faire parvenir. Un armagnac ?

-Pourquoi pas ?

5.

Sollers lut ce recueil, puis les « Contes de la folie ordinaire » et à l’occasion de la parution de « Pulp », le dernier roman de Bukowski, il fit paraître dans Le Monde un éloge enthousiaste de l’homme et de ses livres. De même, dans les années d’après, il salua à plusieurs reprises, et sans se faire prier, le grand talent d’Hemingway.

6. aux courses, je commis l’erreur de l’interroger sur Hemingway qu’il paraissait ne pas détester, contrairement à ses têtes de Turc habituelles -Henry Miller, Norman Mailer et William Burroughs (dates). L’instant d’avant, il m’avait remercié de lui avoir déniché dans la cinquième ( les yeux fermés, j’avais tout simplement pointé, avec son crayon, un nom sur la liste des chevaux engagés).

-Vous aimez bien Hemingway ? Je ne me trompe pas ?

-Erreur, tonna-t- il. Celui-là, il trichait sur tout. Quant il partait en ballade sur le front, il y restait juste le temps de prendre la pose  pour le photographe. Puis, fissa, il rentrait se calfeutrer dans son palace. Où qu’il se rendît, une caisse de bouteilles de champagne le suivait. Peut-être avait-il flingué des animaux en Afrique, mais en Espagne ou dans les Ardennes, il n’a dû appuyer sur la détente que par erreur… ça vous défrise, hein, le Frenchie ? Mais les écrivains sont des lâches. Réfléchissez, il faut survivre pour pouvoir taper sur le clavier de sa machine. Et si l’on veut survivre, il faut se planquer. »

7. ça me déplut.

Bukowski pouvait avoir raison sur certains points, mais un lâche,  en admettant qu’Hemingway l’eût été, qui se risquait à prendre la pose là où rôdait la mort, ça avait plus de gueule que de confondre un champ de courses avec un champs de bataille.

Bref, j’avais sorti le fusil à emmerdes. Et j’allais devoir le payer. Primo parce que Bukowski me dépassait d’une tête, secundo, parce qu’il avait la réputation d’être un bagarreur hors pair, et tertio, parce que c’était lui qui avait les clefs de la voiture.

Je ne pouvais pourtant que persister.

« Si je comprends bien votre raisonnement,fis-je, le meilleur des romans sur la guerre ne peut avoir été écrit que par un dégonflé. Ce n’est pas impossible. Surtout si l’on étend ce principe aux fictions mettant en scène la violence, comme dans ces nouvelles où les piliers de bar dérouillent la terre entière… Soyez sincère, vous êtes- vous aussi souvent battu que vous l’avez écrit ? Et contre qui

 d’abord ?Contre des avortons, des infirmes ? Contre un plus saoul que vous  ?Je ne dis pas ça parce que vous paraissez avoir toutes vos dents et vos deux yeux »…

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