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Emmanuel Macron lors de son discours sur l'Europe à la Sorbonne, le 25 avril 2024.
Emmanuel Macron lors de son discours sur l'Europe à la Sorbonne, le 25 avril 2024.
©Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Les écologistes, véritables coupables

Le président français persiste à croire fermement en la décarbonation de l’économie européenne. Mais étrangement, les candidats aux élections européennes ne semblent pas trop intéressés à traiter le désastre de la politique européenne de décarbonation obligée par le Pacte vert. Est-ce pour cacher l’échec destructeur de notre compétitivité ?

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Le 24 avril, Emmanuel Macron a prononcé un discours à la Sorbonne en tant que candidat à la présidence de l’UE, non pas comme Charles Michel est président du Conseil européen, mais en tant que véritable président d’une future union fédérale. Dans un discours de près de deux heures, il a annoncé, sans le dire, qu’il fallait fusionner les États en une seule entité dont le président — lui ? — dirigera toute l’Union. Ce sera démocratique, bien sûr, mais les décisions s’appliqueront à tous, même si elles ne correspondent pas à la culture, aux fondements des nations fusionnées. Car il veut fusionner les nations comme il a fusionné des entreprises. Il a parlé de souveraineté, mais jamais de souveraineté nationale ; elle sera uniquement européenne. Vous imaginez qu’un Maltais va penser et agir comme un Letton, un Bulgare comme un Irlandais ?

En ce qui concerne l’énergie et le climat, il a déclaré : « Nous voulons le climat, avec l’énergie décarbonée, je le disais, mais nous sommes le seul espace géographique qui a pris les règles pour y arriver. Les autres ne vont pas au même rythme. » Entendez « tous les autres se trompent, c’est nous qui avons raison ». et d’annoncer que « donc, oui, l’énergie décarbonée produite en Europe, c’est la clef de la réconciliation climat, souveraineté et création d’emplois. Et donc, il nous faut une stratégie combinée : efficacité énergétique, déploiement du renouvelable et déploiement du nucléaire. C’est ce qui fera de l’Europe une véritable puissance électrique. Et c’est ça la clef. »  En fait, depuis plus de 40 années, c’est exactement ce qu’on continue de dire en matière de politique énergétique (à l’exception du nucléaire pour quelques États membres).

La croissance et non pas la décarbonation

Le président se vante de la stratégie du passé alors que nos concurrents utilisent ce que le président pense être une force pour nous affaiblir. Le 9 avril, Narendra Modi, le Premier ministre de l’Inde, a posté un tweet sur X qui a dû mettre en colère les défenseurs du climat. «Un exploit remarquable! Le franchissement d’un milliard de tonnes dans la production de charbon et de lignite marque une étape historique pour l’Inde, reflétant notre engagement à assurer un secteur charbonnier dynamique. Cela permet également à l’Inde de progresser vers l’Aatmanirbharta dans un secteur vital». Que l’Inde se vante d’utiliser plus de charbon n’est pas une surprise, mais ce mot étrange l’était pour moi : Aatmanirbharta!

C’est un mot indien qui évoque la résilience, l’autonomie. Le projet Atmanirbhar Bharat Abhiyaan soutient la vision du Premier ministre pour l’autosuffisance de l’Inde. Il l’a lancé le 12 mai 2020, avec un budget équivalent à 10 % du PIB. L’objectif initial était de lutter contre la pandémie Covid, mais le projet est ensuite devenu l’objectif de rendre le pays et ses citoyens indépendants et autonomes dans tous les sens du terme. Aatmanirbharta est devenu synonyme d’Inde autonome. Ce projet entend permettre à l’Inde de jouer un rôle important dans l’économie mondiale en étant plus efficace et plus résiliente.

Cet objectif ne peut être atteint qu’en utilisant beaucoup plus d’énergie; le pays va donc privilégier une énergie abondante et bon marché, et dans leur cas, il s’agit du charbon. En 2022, l’Inde a émis 2,6 milliards de tonnes de CO₂ (GtCO2/an) et l’UE 2,7 Gt, mais pour une population trois fois moins importante. Comme je le montre dans mon dernier livre, «Énergie, mensonges d’état» (L’Artilleur), si l’Inde continue de croître au même rythme moyen que ces dernières années, elle atteindra 5,2 Gt CO2/an en 2050, mais si elle atteint les niveaux actuels d’émissions par habitant de l’UE et que, ce qui est peu probable, la population indienne reste stable à 1,3 milliard d’habitants, elle émettra 7,5 Gt CO2. Qu’il s’agisse de 5 ou 7 GtCO2/an le message clé est que l’Inde à elle seule annulera plusieurs fois tous les efforts coûteux et douloureux que le président français prétend imposer à tous les Européens.

En fait, Emmanuel Macron se satisfait de la politique énergétique qui a fait grimper le prix de l’électricité et miné la compétitivité des entreprises, et il entend continuer à gaspiller nos impôts en promouvant des projets d’énergies renouvelables non rentables, mais qui profitent à la caste des profiteurs. Il a parlé de l’hydrogène, bien sûr ; je reviens de la conférence Flame 2024 à Amsterdam sur le GNL, et à quelques-uns nous avons ri des simplets qui rêvent de l’hydrogène-énergie (voir mon livre L’utopie hydrogène).

Après sa conversion tardive à l’énergie nucléaire, on se demande si le président a persuadé les Autrichiens de modifier leur constitution, qui interdit l’énergie nucléaire. Est-il assez insolent pour envisager de modifier la constitution d’un pays fusionné ? Est-il possible qu’il ne voie pas que sa stratégie énergétique est un échec ? La conférence Flame 2024 a confirmé l’extraordinaire développement de la production, du commerce et de l’utilisation du gaz naturel liquide, un combustible fossile que l’UE refuse de produire, mais qu’elle achète avec enthousiasme aux États-Unis. Le gaz américain a remplacé le gaz russe ; Macron se vante de ne plus acheter de gaz russe, sans mentionner que nous sommes dépendants du gaz américain, beaucoup plus cher et dont la France est le premier importateur.

Il est difficile de continuer à rêver

Ailleurs, cependant, les mensonges de l’État sont de plus en plus visibles. Alors que M. Macron s’exprimait, la ministre britannique de l’Énergie, Claire Coutinho, écrivait sur X que « les pays du monde entier sont en train de se rendre compte qu’il n’est pas possible d’imposer des coûts aux familles en difficulté pour atteindre les objectifs climatiques ». Tout au long de cette campagne européenne, ce message devrait être répété sans cesse : les objectifs écologiques ne seront pas atteints parce que nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à appauvrir les gens.

Le gouvernement de coalition écossais vient de s’effondrer, les Verts ne pouvant accepter que le gouvernement de Humza Yousaf admette qu’il ne parviendra pas à réduire les émissions de carbone de 75 % d’ici à 2030 et de 100 % d’ici à 2045. Comment est-il possible d’annoncer des objectifs aussi extravagants ?

Notez que l’objectif de 50 % de l’UE est tout aussi extravagant, sans parler de l’objectif de 90 % pour 2040 qu’Ursula von der Leyen prévoit d’imposer si elle est réélue. Pour mesurer le déni de réalisme, la Commission européenne a annoncé ce plan insensé alors que les agriculteurs manifestaient avec leurs tracteurs dans le quartier européen de Bruxelles.

Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, qui ont voulu rendre la voiture électrique obligatoire à partir de 2035, n’auront même pas honte de cet autre échec : les ports européens sont remplis de véhicules électriques chinois qui ne trouvent pas acheteur, car il est évident qu’ils n’en veulent pas, malgré des prix à la fois subventionnés par les Chinois pour s’emparer du marché européen et bradés par les concessionnaires. Cette semaine, Carlos Tavares, PDG de Stellantis, s’en est pris une nouvelle fois aux objectifs d’émissions arbitraires des véhicules électriques. Il a eu le mérite de dénoncer l’erreur — le mensonge — dès le départ, contrairement aux constructeurs allemands qui s’en mordent les doigts.

Le mensonge du ministre écologiste allemand

Dans un article publié dans le magazine allemand Cicero, le journaliste David Gräber révèle que des membres du parti des Verts, dont le ministre Robert Habeck, ont trompé le public allemand en affirmant que les centrales nucléaires sont trop chères et trop dangereuses, alors que l’analyse interne du gouvernement allemand montrait qu’elles produisent de l’électricité bon marché et que leur exploitation est sans danger. L’affaire est grave, car le mensonge, la manipulation, ont pris place en pleine crise énergétique à la suite de l’explosion du gazoduc Nord Stream.

J’avais intitulé mon dernier livre « Insécurité énergétique », mais à la lecture du manuscrit, l’éditeur m’a judicieusement suggéré de l’appeler « Énergie, mensonges d’état », parce qu’il y en a tellement dans le domaine de l’énergie. Il ne s’agit pas seulement de mensonges, il s’agit de notre avenir en tant qu’Europe, en tant que nations, en tant qu’industries et en tant que citoyens. La situation est si préoccupante qu’il est facile de comprendre pourquoi les politiques n’osent pas regarder la réalité qu’ils ont contribué à créer avec leur Pacte vert ; ils se convainquent eux-mêmes que le monde finira par nous suivre, alors même qu’ils ont résolument abandonné la décarbonation, comme l’a montré la conclusion de la COP28. La politique énergétique d’Emmanuel Macron aura pour conséquence d’accélérer la destruction organisée de la compétitivité de l’UE qui est déjà en cours. Nous devons y mettre un terme le 9 juin. 

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