Le FMI renverse les théories économiques ayant fondé les politiques de l’austérité <!-- --> | Atlantico.fr
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Christine Lagarde.
Christine Lagarde.
©REUTERS/Jonathan Ernst

Insister, toujours insister

L'idée selon laquelle une dette très élevée serait la cause d'une croissance faible est tenace, bien que les conclusions des économistes Rogoff & Reinhart aient été remises en cause depuis quelques temps déjà. Une récente étude du FMI vient rappeler que dans les faits, c'est tout l'inverse, montrant une fois de plus le caractère contreproductif des politiques d'austérité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Une récente étude du FMI (voir ici) semble remettre en cause l’idée selon laquelle la croissance d’un pays serait limitée à partir d’un certain seuil de dette. Cette étude est-elle pertinente ? Remet-elle en cause l’étude des économistes Rogoff & Reinhart qui démontrait que le seuil de 90 % de dette sur PIB était décisif pour la croissance ?

Nicolas Goetzmann : L’étude réalisée par les économistes Pescatori, Sandri et Simon tend à démontrer la faiblesse du lien entre dette et croissance et à remettre en cause l’idée pourtant très tenace qu’une dette élevée serait la cause de la faible croissance. Les économistes reviennent dès lors sur la théorie de Rogoff & Reinhart. Ces derniers prétendaient en effet qu’une dette de 90 % sur PIB était un seuil néfaste pour le développement économique. Selon eux, au-delà de ce seuil, la croissance ralentit très fortement. Déjà en 2013, la thèse de Rogoff & Reinhart avait subi un certain discrédit car les calculs réalisés s’étaient révélés faux.

››› Lire à ce sujet : Magnitude 9 : l'étude choc qui fait trembler sur ses bases la théorie économique qui justifiait l'austérité

Dans cette récente analyse du FMI, les trois économistes soutiennent qu’au-delà même du niveau de dette, ce qui est en fait essentiel c’est la trajectoire de celle-ci. Si un État s’endette toujours plus, ils considèrent que la croissance va en souffrir. A l’inverse si un État réduit sa dette, l’économie pourra croître aussi bien que dans un pays faiblement endetté. C’est donc l’idée de niveau qui est réfutée et qui est remplacée par l’idée de trajectoire.

Le point le plus important de cette étude est la prise en compte de la "reverse causality"; d’une causalité inversée. Ce n’est pas l’endettement qui affaiblit la croissance, c’est la faible croissance qui provoque l’endettement. Bien que cela puisse paraître évident, il n’en est rien, et Rogoff & Reinhart prétendaient même l'inverse.

Quelle est la portée de cette démonstration sur les politiques d’austérité ?

La politique de l’austérité revient à considérer que la pluie se met à tomber lorsqu’on ouvre son parapluie, ce qui pose un problème de cause et de conséquence. Cela paraît absurde, mais pas plus que la notion de politique d’austérité telle qu’elle appliquée aujourd’hui. Ce qui est assez incroyable, c’est que cette théorie n’a plus aucun sens, qu’elle est décriée partout, mais qu’elle est toujours la base de la politique européenne. Et tout cela avec le sourire, la conscience du travail bien fait et une certaine moralité retrouvée.

La cause de notre endettement massif est le ralentissement structurel de notre croissance. Car les États ne parviennent pas à s’adapter suffisamment rapidement au ralentissement économique, doivent faire face à des dépenses de protection sociales qui s’alourdissent en raison même de la hausse du chômage, etc. En luttant en priorité  contre l’endettement nous luttons contre le symptôme sans agir sur la cause.  Et la conséquence de tout cela est que nous ratons la cible depuis 7 ans. C’est une véritable épreuve de constater que cette absurdité fait encore débat et qu’elle est même encore dominante en Europe.

Baisser les déficits, tenir le budget de l’état, réduire le niveau de dettes sont des priorités qui n’ont aucune chance d’être traitées correctement si nous n’agissons pas sur la cause du manque de croissance. Et cette cause est simple ; la Banque centrale européenne agit comme un puissant frein à tout développement. Le fait est que  les taux de la BCE sont proches de 0, et ceci est considéré par de nombreux dirigeants, économistes, ou commentateurs, comme le signe d’une politique monétaire ultra accommodante. En réalité des taux bas sont le signe d’une répression monétaire de grande envergure. Milton Friedman déclarait à ce titre en 1998 : « Je pensais que cette vieille ineptie qui consiste à identifier des taux bas à une politique accommodante avait disparue. Apparemment, les vieilles inepties ne meurent jamais » car « des taux bas sont le signe d’une politique monétaire stricte ». Malheureusement pour Friedman et les européens, l’idée n’est toujours pas morte et elle est dévastatrice. Il revient dès lors aux dirigeants européens de donner mandat à la BCE de procéder à un plan de relance monétaire de très grande envergure. Pour se faire une idée des montants nécessaires, il suffit de regarder ce qu’on fait les Etats-Unis, le Japon, ou le Royaume-uni, qui ont tous mis en place des plans correspondant à plus de 20 % du PIB. 

Peut-on considérer cette étude comme une caution pour les Etats qui veulent relancer leurs économies par la dette ? N’y a-t-il aucune limite à l’endettement ?

Bien sûr que non. La dette n’apporte rien, et il faut bien se rendre compte que toute relance économique par la dette est vouée à l’échec. Les déficits doivent être tenus, et ce pour une raison simple : la baisse des déficits permet la réduction des taux d’imposition qui eux-mêmes permettent de développer le potentiel de croissance de l’économie. Il s’agit de mettre en place ce cercle vertueux.

Concernant le niveau d’endettement, la limite c’est la confiance du marché. Ce que le marché va juger c’est la capacité d’un État à honorer son dû, c’est-à-dire sa capacité de générer une croissance plus importante que son déficit, et ce de façon structurelle. A partir du moment où la croissance est supérieure au déficit, le niveau de dette sur PIB se réduit mécaniquement et progressivement. C’est l’objectif que nous devons atteindre. Mais nous n’arriverons à rien aussi longtemps que les dirigeants européens ne voudront pas comprendre que la priorité c’est la croissance et qu’elle est la base nécessaire qui permettra de réduire les déficits et la dette.

Lorsque les marchés ont sanctionné l’Espagne, l’Italie, La Grèce, etc., ils ont sanctionné deux choses : une dette importante, mais aussi l’incapacité de ces État à agir sur la politique de la BCE et donc sur leur croissance. C’est le rapport entre croissance et dette qui est important, le déficit seul ne veut rien dire. Si la BCE avait ne serait-ce que levé le petit doigt pour soutenir l’économie, la crise de la dette n’aurait simplement pas eu lieu. Car ce que les dirigeants européens semblent oublier, c’est que le pouvoir  monétaire est seul maître en termes de demande intérieure en Europe. Et lorsque les carnets de commande sont vides, cela s’appelle un problème de demande.

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