L’accumulation d’échecs du quinquennat Hollande est-elle en train de réussir à vaincre l’allergie des Français au libéralisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les échecs de François Hollande nourrissent la grogne de l'opinion publique
Les échecs de François Hollande nourrissent la grogne de l'opinion publique
©Reuters

Un mal pour un bien

Courbe du chômage, choc de simplification, déficit public : les échecs de François Hollande nourrissent la grogne de l'opinion publique. Une colère généralisée qui n'est pas sans effet, puisque c'est sous la pression populaire que François Hollande a adapté son discours économique.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Atlantico : Dans un sondage Ifop pour Le Figaro publié en décembre 2013, 65 % des personnes interrogées estimaient que la France n'a pas fait assez d'efforts sur les salaires, le droit du travail et les aides sociales pour rester compétitive dans la mondialisation. Une forte majorité (61%) estimait qu'il était temps de fermer certains services publics, une mesure à laquelle adhéraient 47 % des salariés du public. Les Français croient-ils encore à l’Etat-providence ? La phrase de Lionel Jospin, "L’Etat ne peut pas tout" trouve-t-elle aujourd’hui un écho dans l’opinion publique ?

Dominique Reynié : Un changement de cadre et un basculement historique sont en train de débuter, avec plusieurs facteurs qui expliquent la modification du regard des Français sur l’Etat-providence, notamment l’intégration de la culture française dans la culture globale et l’accès à une information de qualité sur la réalité contemporaine de la France et du reste du monde. Ce regard global vient influencer l’opinion que se font les Français de l’Etat, ce qui n’était pas le cas 10 ou 15 ans auparavant. Internet, en particulier, permet  d’échanger des données objectives sur les performances moyennes, voire faibles, de l’Etat français dans certains secteurs. On a eu réelle conscience aujourd’hui de la valeur relative de la puissance publique.

Deuxièmement les Français n’ont pas l’impression que la situation s’est améliorée pour eux ces dernières années. L’idée selon laquelle les services publics fonctionnent moins bien qu’avant est généralement admise, que ce soit dans la santé l’éducation ou en matière de sécurité. Ils savent aussi qu’il n’y a jamais eu autant de population active employée dans la fonction publique qu’en janvier 2014. Ils ne constatent aucune corrélation entre l’accroissement de l’appareil d’Etat et la qualité du service.

Troisièmement, la pression fiscale n’a cessé d’augmenter, pour atteindre objectivement des niveaux records, jugés excessivement élevés, dans un contexte de faible croissance voire de récession, qui pour les Français se solde par un pouvoir d’achat qui stagne, ou recule. A la Fondation pour l’innovation politique, nous avions mesuré avec l’Ifop que pour les Français la hausse de la pression fiscale correspond à une perte de pouvoir d’achat, et que par conséquent ils considèrent qu’ils n’en ont pas pour leur argent. Au fond, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir reprendre ce qui leur est prélevé.

Quatrièmement, le thème de la tolérance aux mécanismes de la redistribution fait débat, et plus précisément la question de leur légitimité. Plus la situation se dégrade dans un contexte de prélèvements à la hausse, plus les Français estiment que la redistribution est soupçonnable de graves injustices. L’argent prélevé est mal utilisé, selon eux, car la façon dont il est redistribué n’obéit pas nécessairement à des critères de justice : les bénéficiaires de la redistribution ne seraient pas tous des « méritants ». Cette impression est très présente dans la fraction inférieure de la classe moyenne : ses membres ont le sentiment qu’on prélève de l’argent sur leurs revenus pour le redistribuer  à leur détriment au profit de groupes sociaux encore inférieurs. L’écart social et économique entre les classes populaires et les classes moyennes est ainsi réduit, et rétrograde ces dernières.

Les déconvenues rencontrées par la politique de François Hollande ont-elles contribué à ce changement ? Quels échecs du gouvernement ont pu inciter davantage de Français à faire confiance à un modèle économique et politique plus libéral ?

Les Français entendent dire depuis des années que la dépense publique augmente, expression d’une certaine incompétence publique. Chaque Français est comptable de son économie personnelle, et sait que cette gestion suppose d’équilibrer les recettes et les dépenses : ce n’est même pas un savoir théorique, c’est un savoir pratique. A partir de cette compétence ordinaire, les Français jugent avec sévérité les données publiques mises à leur disposition. Si le déficit augmente, de même que les prélèvements, cela signe bien l’incompétence publique. La légitimité des gouvernants est mise à mal, et la figure même de l’Etat est atteinte.

L’incapacité du gouvernement à inverser la courbe du chômage incite sans aucun doute les Français à pencher pour un modèle plus libéral. Le président Hollande s’est engagé sur cet objectif, et le fait de ne pas y parvenir est une autre façon de montrer l’impuissance publique. Que ce soit pour le déficit ou le chômage, l’Etat ne peut pas témoigner de cette faiblesse sans que les citoyens en tirent des conclusions. Il est alors temps que la société elle-même se charge d’une partie beaucoup plus importante de l’activité publique.

Quant à la simplification vantée par François Hollande, il ne s’agit que de mots. Aucun acte significatif n’a permis pour le moment aux Français d’observer une simplification dans leurs relations à l’administration. En réalité ça ne s’est que compliqué, car les dispositifs inventés enchevêtrent les systèmes. Quand on élève les niveaux des prélèvements pour les entrepreneurs et qu’on crée un crédit impôt-recherche pour compenser par une baisse un niveau d’impôt qui a été augmenté, énormément de papiers doivent être remplis. Si les entrepreneurs ne le font pas, la pression fiscale augmente, et s’ils le font, ils la maintiennent, mais perdent énormément de temps. La société est littéralement envahie par l’administration. Les mots prononcés sur le choc de simplification n’ont aucune chance de produire des effets positifs, sinon négatifs, car la promesse n’est pas tenue, et les Français en font l’expérience au quotidien. Aujourd’hui les politiques devraient commencer par apporter une preuve par un acte, et non pas par faire de belles annonces dans des discours.

Les mouvements de contestation des "pigeons", des "poussins" puis des "bonnets rouges" ont-ils, par leur impact médiatique, progressivement préparé les esprits à l’idée selon laquelle une fiscalité lourde était contre-productive, et l’accumulation de règles, étouffante pour l’entreprise ? L’esprit d’entreprise revient-il en force ?

L’esprit d’entreprise gagne du terrain. On a même l’impression que le chef de l’Etat, socialiste, s’est trouvé contraint de saluer l’esprit d’entreprise, de l’encourager et d’en reconnaître la nécessité, non pas convaincu par l’argumentation des entrepreneurs, mais parce qu’il a senti que s’imposait dans l’opinion publique l’évidence selon laquelle la prospérité nationale dépendra non pas de l’accroissement de l’administration, mais d’un déploiement de l’appareil de production et de l’activité d’entreprise. Cela signifie que François Hollande admet que c’est par la société que la prospérité viendra, et en creux, que l’Etat a échoué.

Les Bonnets rouges, les Tondus et autres, sont des mouvements spontanés qui s’opposent à des organisations existantes – les syndicats, les partis politiques - qui sont restées muettes et qui ont réagi trop lentement et trop tardivement, car elles-mêmes sont beaucoup plus prises dans une culture de l’administration, dans l’appareil d’Etat, qu’en lien avec la société civile. A côté de ces formes nécrosées que sont les organisations collectives existantes sont apparues des manifestations spontanées, chaotiques et à durée de vie limitée certes, mais qui sont devenues pendant un temps les véritables syndicats de la société civile française. Ils ont représenté au sens politique et exprimé au sens communicationnel ce que la société française pense de l’Etat et de ses propres capacités. Leur résonnante dans la société est immédiate, considérable, et pas simplement sur les réseaux sociaux.

Au vu de la conjoncture politique et économique, diriez-vous qu’une majorité de Français semblent en finir avec leur allergie au libéralisme par pure adhésion, ou par résignation ? L’impression désagréable qu’il n’y pas d’autre alternative prévaut-elle ?

Nous n’assistons ni à une conversion philosophique au libéralisme de la part des Français, ni à de la résignation. Plus probablement, il s’agit d’un ralliement rationnel. Car aujourd’hui les Français, pour beaucoup d’entre eux, sont touchés dans leurs intérêts personnels. C’est toute la question de la pression fiscale, qui est punitive voire stigmatisante pour les uns, non incitative pour les autres, et profondément inégale si l’on rappelle qu’un ménage sur deux ne paie pas d’impôt sur le revenu. C’est un système qui n’a plus de légitimé morale et politique, par conséquent les Français l’abandonnent, à un moment où leurs intérêts sont touchés, ce qui rend la chose non négociable. C’est comme si les Français, collectivement, faisaient jouer un droit de retrait.

Les Français exigent ce retrait, non pas en arborant dans la rue le drapeau du libéralisme, mais en demandant que l’Etat réduise son périmètre, que la pression fiscale soit réduite de sorte qu’on leur rende le pouvoir d’achat qui leur appartient et qu’ils puissent organiser leur vie comme ils l’entendent. Ils savent que leur organisation à eux sera plus performante que celle proposée par l’Etat. C’est un divorce par constat de l’incompétence publique d’une part, et par la perception très claire des intérêts propres des individus. Un mouvement plus rationnel, donc, que philosophique.

François Hollande a tenu un discours qualifié de social-libéral lors de sa conférence, et l’UMP a présenté ce samedi un programme alternatif qui obéit à une logique libérale (suppression des 35 heures, retraite à 65 ans, importantes économies dans le budget…). Ces orientations s’adaptent-elles à l’état d’esprit général des Français, ou au contraire, sont-ce elles qui influencent l’opinion publique ? Et peuvent-elles encore plus accélérer cette adhésion libérale ?

La France n’a pas d’élite libérale. Elle n’en a pas en politique, et très peu dans le monde économique. Nos élites se convertissent au libéralisme sous la pression de l’opinion, car elles ressentent dans leurs circonscriptions les protestations des citoyens,  qui confinent à la colère. Le fait qu’on leur demande des comptes est dument enregistré par eux. Il est positif de voir que les partis politiques, et en l’espèce l’UMP, se plient à ce mouvement de fond dans l’opinion. C’est seulement dans ce sens que les politiques se convertissent au libéralisme ; ce n’est pas pour une autre raison que même un président socialiste peut prononcer un discours qualifié par la suite de social-libéral...

Propos recueillis par Gilles Boutin

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