Quand les pistes que proposait Christiane Taubira pour intégrer les immigrés étaient étrangement synonymes d’affaiblissement de l’État français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le programme politique de Christiane Taubira pendant la campagne de 2002 trouve écho dans les rapports sur l'intégration récemment remis à Jean-Marc Ayrault
Le programme politique de Christiane Taubira pendant la campagne de 2002 trouve écho dans les rapports sur l'intégration récemment remis à Jean-Marc Ayrault
©REUTERS/Stephane Mahe

Mémoire courte

Le programme politique de l'ex-candidate à l'élection présidentielle de 2002, désormais garde des Sceaux, n'a pas fini de nous surprendre tant il trouve écho dans les rapports sur l'intégration récemment remis à Jean-Marc Ayrault. Pour réussir cette dernière, madame Taubira prônait l'affaiblissement de l’État français.

Ali Devine

Ali Devine

Ali Devine est professeur d'Histoire dans un lycée de banlieue parisienne. Il anime un blog éponyme, incandescent et iconoclaste.

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Cet article a initialement été publié sur le blog d'Ali Devine

Alors que la réprobation quasi unanime née de la publication par Matignon de cinq rapports sur l’intégration s’éteint doucement avec l’esprit de Noël, il demeure instructif de se pencher sur ce qu’écrivait Christiane Taubira sur le même sujet il y a plus de 10 ans dans son programme présidentiel de 2002.

La première partie de ce document s’intitule « Peuples et terres de France » et notre candidate semble toute proche d’y avancer que la notion d’unicité du peuple français, pourtant soutenue par la Constitution et par une jurisprudence fort nette, est une fiction réactionnaire bonne à jeter aux oubliettes de l’histoire : « La France est plurielle. Dans sa composition sociale, dans ses territoires. Son unité (…) suppose qu’elle reconnaisse sa diversité, s’appuie sur cette richesse et tire parti de tous les dynamismes qu’elle recèle. » Dans ces conditions, on peut bien remercier l’immigration qui, au-delà de son éventuel apport économique ou démographique au pays d’accueil, aura surtout permis de conjurer définitivement le cauchemar d’une nation homogène : « La France a changé. A cause de son histoire, de sa présence ou de son passage aux Antilles, en Guyane, dans l’Océan indien et le Pacifique, en Afrique, au Maghreb, aux Indes, en Indochine, beaucoup d’hommes et de femmes sont venus de ces autres rives jusqu’au sol européen, se mêler à ceux qui s’y trouvent depuis plus longtemps, même si, bien souvent, leurs racines sont éparses. La France est devenue, comme d’autres grandes nations du monde, un pays mêlé, où se juxtaposent les couleurs, où se côtoient les cultures, les langues et les croyances. »

Madame Taubira est trop fine pour ne pas voir que cette juxtaposition, que cette mosaïque d’apports migratoires inassimilés signe la fin d’une unité nationalequi est le socle social du projet républicain, et que les cultures et les croyances désormais présentes sur les « terres de France » risquent fort de se constituer en concurrentes et ennemies plutôt qu’en partenaires d’un merveilleux carnaval multicolore. Mais justement, pour bien gérer cette diversité, neutraliser ses potentialités explosives et en tirer le meilleur parti, la candidate a un projet : celui d’une « grande politique de confiance sociale, capable d’assurer la cohésion nécessaire au progrès, à la sécurité et au bien-être commun. » Fort bien, est-on tenté de dire ; quelle plus belle utopie que celle d’une société dont les membres pourraient sans réserve se fier les uns aux autres ? C’est un peu mièvre, mais une candidature de témoignage a bien le droit d’instiller une belle dose d’idéalisme entre les lignes de son programme.

Hélas ! Le consentement du lecteur de bonne volonté au projet de Mme Taubira s’arrête dès les premières lignes de son développement. Il s’avère en effet très rapidement que, si la méfiance règne en France au début du XXIe siècle, c’est uniquement à cause des préjugés des stupides indigènes. Les migrants et leur famille doivent en effet « avoir confiance en eux[-mêmes] », surmonter une timidité mal fondée et se convaincre enfin que ce pays est pleinement le leur ; ils n’ont au fond d’autres torts que leurs complexes d’étrangers. En revanche les « enracinés de plus longue date sur le sol français », qui « demeurent parfois perplexes ou méfiants en face d’allures ou de parlers inattendus, lorsqu’il s’agit d’embaucher, ou d’accepter un locataire », sont simplement invités à se défaire de leurs ornières. De toute évidence c’est à cause d’eux que ça ne marche pas. Les responsabilités sont unilatérales, il y a les exclus d’un côté et les méfiants xénophobes de l’autre. Tout va bien. On peut passer aux solutions.

La première consisterait à créer un « ministère des Droits des personnes et de la Cohésion sociale » chargé de lutter POUR l’égalité et CONTRE les discriminations, mais aussi de « compenser les handicaps et favoriser les rattrapages sociaux » - formule dont le vague paraît avoir été soigneusement poli pour introduire l’idée de discrimination positive généralisée sans avoir à employer de termes trop précis et un peu dégoûtants. Sur d’autres points, en revanche, Madame Taubira a su se montrer nettement plus précise. J’en retiendrai trois.

En matière d’éducation, d’abord, elle demande une « affectation prioritaire de moyens (…) aux établissements situés dans les zones à besoins sociaux spécifiques ». C’est bien le moins que puisse faire une candidate classée à gauche. Mais ce qui paraît assez neuf, c’est qu’elle mentionne comme constitutif d’un « besoin social spécifique » une « forte densité de population d’origine immigrée » (recensée de quelle façon, voilà qui demanderait d’intéressantes précisions ; c’est en tout cas une première forme d’affirmative action).

Par ailleurs, les élèves mieux encadrés grâce au surcroît de moyens accordé à leurs écoles bénéficieraient aussi de ce que la candidate appelle « une certaine personnalisation de la formation ». Cela signifierait concrètement que les programmes pourraient être partiellement adaptés en fonction de la demande des parents et, dans le secondaire, des élèves eux-mêmes. A ce stade, l’enseignant que je suis se dit que la plupart des familles (en particulier les plus modestes) demanderaient sans doute des cours de français ou de mathématiques supplémentaires afin que leurs enfants réussissent bien dans ces matières fondamentales et avancent plus facilement dans leur scolarité ultérieure. Mais ce n’est pas du tout à cela que pense Mme Taubira, qui souhaite plutôt favoriser l’enseignement scolaire de la diversité : « Ainsi pourront être enseignées, à côté d’un tronc commun de disciplines fondamentales, les langues régionales ou parentales, les histoires et cultures particulières, de même que des langues étrangères, ou telle discipline artistique ou de toute autre nature [on admirera au passage l’insertion de cet alibi cultureux], et ce, quel que soit le lieu de scolarisation de chacun : l’apprentissage de l’arabe, du corse, du breton ou du créole est aussi utile et légitime à Paris qu’à Alger, Bastia, Rennes ou Pointe-à-Pitre. » Ce projet est énoncé à trois reprises dans le programme présidentiel de Mme Taubira ; c’est dire s’il lui tient à cœur.

Les enseignants qui, par sentiment républicain, seraient tentés d’opposer une résistance passive à cette dénationalisation partielle du système éducatif français, auront intérêt à s’équiper d’une bonne dose de cran. Ils seront en effet pris en étau entre, d’un côté, des chefs d’établissement au pouvoir renforcé, vis-à-vis de qui ils seront liés par un engagement de type contractuel ; et de l’autre côté des « communautés éducatives de responsabilité (…) associant élus locaux, parents d’élèves, enseignants [et] élèves », qui auraient pour mission d’adapter les programmes au contexte local. Madame Taubira est actuellement et de fort loin l’un des ministres les plus populaires dans les salles des profs des établissements scolaires français ; espérons pour elle que ses propositions éducatives de 2002 ne remontent jamais à la surface…

Deuxième point sur lequel les propositions de Mme Taubira retiennent l’attention : ce qu’elle appelle la « démocratie pour tous ». La candidate radicale est une authentique girondine, elle souhaite que l’Etat délègue beaucoup à des collectivités territoriales « fortes de leurs identités et libre de leur développement économique », et dotées du « pouvoir d’édicter des règles générales » (en clair, de faire leur propre loi) dans de multiples domaines. Son modèle assumé, ce sont les « grandes républiques fédérales », car –dit-elle- « il faut se garder de confondre égalité et uniformité ». Comme par ailleurs elle appelle de ses vœux une Europe fédérale et une « organisation politique universelle » compétente dans les domaines économique et scientifique, on peut dire qu’elle ne laisse vraiment pas grand-chose à l’État-nation. Certes la candidate demande à ce que ce dernier soit « renforcé dans ses missions essentielles », mais ces missions consistent essentiellement selon elle dans la mise en pratique de « principes républicains » à géométrie variable ; pour le reste elle n’a pas de mots assez durs pour « l’étroit carcan de l’État-nation » ou « le repli sur lui-même d’un vieil État persuadé qu’il peut encore, à lui seul, infléchir la marche du monde. » C’est donc dans la pleine continuité de son ancien engagement de militante autonomiste guyanaise que Mme Taubira encourage toutes les forces centrifuges, régionalistes ou européennes.

Et c’est en pleine cohérence avec cette logique décentralisatrice qu’elle avance un projet assez stupéfiant de fédéralisation des grandes villes. Selon elle, les problèmes de sécurité endémiques dans certaines banlieues sont dus avant toute autre chose au fait que leurs habitants ne se sentent pas acteurs de leur destin, qu’ils sont exclus de la gestion des affaires publiques par ceux qui logent dans des quartiers plus favorisés. Il faut donc confier à ces pauvres gens les clés de leurs quartiers et tout ira mieux. « La loi devra en conséquence prévoir, pour les agglomérations urbaines, la création pour chaque ensemble résidentiel cohérent d’au moins mille logements d’une nouvelle collectivité publique, dite mairie de quartier, administrée par un conseil élu par les habitants qui y résident, le droit de vote étant reconnu à toute personne, ainsi qu’aux membres de son foyer en âge de voter [la majorité légale ayant été abaissée à 17 ans], y résidant depuis au moins un an et acquittant une contribution directe locale. » Et les prérogatives de cette nouvelle institution ne seraient pas minces, puisqu’elle aurait notamment pour mission de créer et gérer des « maisons de services publics » aux fonctions multiples (aide sociale, crèches, assistance juridique, formation aux nouvelles technologies, pépinière d’entreprises et d’associations, etc).

Avec quel argent financer ce beau projet ? Mme Taubira ne le dit pas, mais il est évident que ce ne serait pas avec les maigres ressources des résidents, et qu’il faudrait donc s’attendre, une fois de plus, à des transferts massifs de capitaux en direction des quôrtchés populaires.

Les Beaudottes à Sevran, les 4.000 à Aubervilliers, ou les quartiers Nord de Marseille s’auto-administrant au frais des bolosses des classes moyennes, sans qu’il soit à aucun moment question d’une quelconque contrepartie (quid par exemple si les caillassages de pompiers survivent à l’ouverture des maisons de services publics, ou si ces dernières partent en flammes dans les six mois qui suivent leur ouverture ?) : on voit ce qu’implique aux yeux de notre candidate le rétablissement de la « confiance sociale ».

Mais ce n’est encore rien au regard du troisième point que j’aimerais aborder à présent. Madame Taubira, on l’aura compris à la lecture de ce qui précède, est favorable à la préservation et à l’épanouissement des identités et des cultures particulières. Enfin ! Pas toutes. L’identité et la culture nationales françaises ne sauraient en effet être considérées que comme un infernal creuset uniformisateur. Je cite cette phrase comme magnifique exemple de contradiction interne : « Les aspirations identitaires sont trop fortes et trop légitimes, à l’heure d’une mondialisation écrasante, pour qu’elles puissent être ignorées ou absorbées dans une culture nationale unique et uniforme, qui serait tout aussi réductrice que l’est celle des multinationales alimentaires ou des ‘majors américaines’. »

Refrain : Riche de sa diversité / larirette, larire-e-ette / La France a beaucoup changé / larirette ukulélé.

Couplet suivant : l’un des aspects les plus contestables du corpus culturel national, c’est la laïcité telle qu’on la pratique ordinairement en France. Pourquoi faire obstacle à la pleine reconnaissance des identités religieuses ? La République doit selon Mme Taubira « permettre l’égal exercice de tous les cultes » ; or les catholiques sont injustement avantagés par leur antériorité et l’existence d’un héritage matériel ; donc « Partout où la demande sociale en apparaît, des mosquées, comme tous autres lieux de culte, doivent être édifiées, grâce à la collectivité publique plutôt que par d’incertains concours extérieurs. » Imparable.

On voit les effets possibles et probables de la combinaison des trois mesures que l’on vient de détailler : dans des quartiers rendus semi-autonomes par la création des « mairies de quartier », les habitants, fortement encouragés par les pouvoirs publics à entretenir leurs cultures originaires, décideraient l’enseignement de ces dernières dans les écoles de leur secteur grâce aux « communautés éducatives de responsabilité », avant de se retrouver le vendredi à la mosquée bâtie pour eux aux frais de la princesse. Il est assez tentant de penser qu’une politique de cette nature constituerait assez rapidement le territoire français en un collage de bantoustans. C’est pourtant ainsi que naguère Mme Taubira décrivait un pays réconcilié avec lui-même et assumant enfin son multiculturalisme.

Il faut enfin noter que le financement de cette politique, et d’autres mesures de même farine égrenée dans le programme présidentiel de 2002, ne pose pas le moindre problème. C’est en effet un aspect méconnu de notre existence collective, mais sachez-le, on paie trop peu d’impôts en France : « l’Etat français n’a pas les moyens de ses missions essentielles. (…) [Il] dispose d’un pourcentage de la richesse nationale comparable à celui constaté dans beaucoup de pays dits en développement ! » La candidate laisse entendre assez clairement que l’on doit s’attendre, si elle est élue, à un relèvement du niveau de l’imposition d’environ 25 %. Il est vrai qu’on sortait en 2002 d’une période de vaches grasses, l’une des rares de notre histoire où le gouvernement ait pu se permettre de supprimer certains impôts. Mais tout de même, vouloir les relever aussi fortement pour relancer le marché de l’immobilier religieux…

Pour en revenir à notre point de départ, celui qui a, en 2013, la curiosité un peu perverse de se plonger dans l’ancien programme présidentiel de Christiane Taubira ne peut s’empêcher d’être frappé par la similitude entre les idées proposées alors et certaines des pistes ouvertes par les rapports remis au premier ministre au sujet de la politique d’intégration. Le premier demandait la création d’un « Ministère des droits des personnes et de la cohésion sociale » ; les seconds proposent une « Cour des comptes de l’égalité ». Le premier voulait construire des mosquées sur fonds publics ; les seconds demandent que la laïcité soit assouplie pour permettre le port du voile à l’école et que des « journées portes ouvertes » soient organisées dans tous les lieux de culte. Le premier faisait entrer la diversité culturelle et linguistique à l’école ; les seconds renforcent la place des migrations et de la colonisation dans les programmes, et favorisent l’enseignement de l’arabe et du créole. Le premier ne voulait considérer la diversité désormais incontestable de la population française que comme une beauté, une richesse, une ressource ; les seconds sont bien d’accord. On ne peut que s’incliner devant le sens de l’anticipation qui a permis à Mme Taubira d’aboutir avec dix ans d’avance aux mêmes conclusions que Mmes Lamarre, Mafessoli et leurs collègues.

Du reste certains détails confirment cette impression de connivence intellectuelle. Le plus important des cinq rapport remis à Jean-Marc Ayrault cite en effet, dans un premier chapitre paradoxalement intitulé « Faire France », l’essayiste Pierre Tevanian, exégète inlassable du « racisme républicain » et compagnon de route du Mouvement des Indigènes de la République (MIR) ;  et aussi le sociologue Saïd Bouamama, coauteur de l’impérissable Nique la France et membre fondateur de ce même MIR dont il est sur le plan intellectuel l’un des principaux inspirateurs. On s’étonne de trouver dans un texte destiné au Premier ministre et consacré à notre politique d’intégration une référence élogieuse à deux polémistes qui récusent totalement cette notion comme survivance postcoloniale. Or, il y a dans l’entourage de Mme Taubira une autre sympathisante du MIR : il s’agit de Sihem Souid, chargée de mission au Ministère de la Justice depuis le mois de mai. Dans une chronique au ton violent publiée par le magazine Le Point, Mme Souid a elle aussi rejeté « l’odieuse injonction ‘intégrez-vous !’ » et assimilé le rejet du rapport précité à un « déferlement de haine », avant d’enfoncer le clou en taxant de racisme l’ensemble de ceux qui « prétendent parler [au nom de la France] ». Compte tenu de ce qui a été exposé dans les lignes qui précèdent, on est amené à se demander si Mme Souid parle en son nom propre ou comme porte-parole officieuse de Mme Taubira. Personnellement j’aimerais bien que la garde des Sceaux soit interrogée sur ce point, qu’on lui demande où en est sa réflexion sur la question de l’intégration, cette injonction « odieuse » et raciste hélas soutenue par 94 % des Français.

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