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Syrie et ex-Yougoslavie, même combat : les affrontements idéologiques droite-gauche se répètent
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Eternel recommencement

Le débat actuel sur la Syrie, tel qu’on l’a vu se dérouler à l’Assemblée nationale française, n’est pas sans rappeler les affrontements idéologiques du passé autour des guerres dans l’ex-Yougoslavie en 1992 ou en Irak en 2003. Un bien consternant piège temporel.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Des Etats-Unis à la France, les interventionnistes se recrutent dans la partie la plus « centriste » du spectre politique de chaque Etat. Au nom d’une conception libérale des relations internationales, dans laquelle l’individu doit être protégé des violences de l’Etat, ils souhaitent une intervention de la communauté internationale (c’est-à-dire, en pratique, des Occidentaux, les autres Etats étant faibles ou, le plus souvent, indifférents au sort d’autrui) pour faire cesser les abus des tyrans, des bachi-bouzouks ottomans dans la Bulgarie de 1876 aux milices serbes dans le Kosovo de 1999. Ce que l’on appelait l’intervention d’humanité au XIXème siècle est devenu le droit d’ingérence ou, dans le vocabulaire onusien, la responsabilité de protéger. Fidèle au Kant du Projet de paix perpétuelle (1795), ces interventionnistes s’appuient sur la vision d’une morale universelle que les Etats libres viendraient défendre.

Dans le camp opposé à l’intervention, on retrouve deux catégories politiques. Les critiques de gauche fustigent, comme à l’habitude, les « guerres impérialistes », telles que les décrit Lénine dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916). Qu’elles viennent des franges du parti démocrate américain ou du Front de gauche français, ces critiques voient dans les interventions humanitaires de l’Occident une entreprise néocoloniale dirigée contre le nationalisme arabe, un paravent qui masque la cupidité des intérêts capitalistes, un complot de « marchands de canons ». Si l’Irak ou la Libye pouvaient prêter le flanc à ces accusations de « guerres du pétrole », la maigreur des ressources syriennes les relativise. Mais, utilisant l’analyse marxiste du primat de l’économie sur la politique, les critiques de gauche pointent du doigt l’intérêt de la riche Arabie saoudite ou de l’opulent Qatar à écraser la Syrie, laïque et socialisante.

Les critiques de droite, celles des républicains américains de tendance isolationniste, de certaines franges de l’UMP ou du Front National, utilisent davantage le registre culturel remis à la mode par Samuel Huntington dans le Choc des civilisations (1993). Ils redoutent que, dans un contexte de guerre civile entre grosso modo sunnites et alaouites (proche des chiites), l’intervention se traduise par l’arrivée au pouvoir à Damas de groupes djihadistes hostiles à l’Occident. La démocratie étant impossible dans le monde arabe, mieux vaut une dictature laïque, dût-elle gazer ses opposants. On retrouve ici une vision conservatrice dans laquelle l’universalisme des droits de l’homme s’efface devant les spécificités de chaque communauté humaine. Bien avant Samuel Huntington, Joseph de Maistre expliquait qu’il n’y a « point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu » ! 

Dans l’état actuel des opinions publiques occidentales, l’accumulation des déficits donne de la force aux critiques de gauche de nouvelles et coûteuses expéditions militaires. La peur de l’islam, ravivée par le 11 septembre 2001 et confondue avec les diverses variantes de l’islamisme, rend très populaires les conceptions culturalistes de la droite conservatrice. Jugée abstraite et idéaliste, la position interventionniste est donc difficile à tenir. Elle peut bien sûr faire valoir l’intérêt de faire émerger dans le monde musulman des démocraties stables et apaisées. Mais il sera difficile de convaincre des Français jadis réticents à « mourir pour Dantzig » (si exotique en 1939, aujourd’hui  dans l’UE) qu’il faut peut-être le faire pour Damas…

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