Quel impact pour le Liban s'il y a une intervention militaire en Syrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un réfugié syrien et ses enfants dans les rues de Beyrouth en juiller dernier.
Un réfugié syrien et ses enfants dans les rues de Beyrouth en juiller dernier.
©Reuters

Dommages collatéraux

Le Liban, profondément divisé sur le conflit syrien qui a exacerbé les tensions confessionnelles, risque de payer le prix fort d'une intervention occidentale contre le régime de Bachar al-Assad.

Vincent Geisser

Vincent Geisser

Vincent Geissert est un sociologue et politologue français. Il occupe le poste de chercheur au CNRS, pour l’Institut du français du Proche-Orient de Damas.

Il a longtemps vécu en Tunisie, où il travaillait à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, de 1995 à 1999.

Il est l'auteur de Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes, entretien avecMoncef Marzouki. (Editions de l'Atelier, 2011)

Et de Renaissances arabes. (Editions de l'Atelier, octobre 2011)

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Atlantico : Le scénario d'une intervention en Syrie se précise alors que John Kerry a formellement accusé Bachar al-Assad de l'utilisation d'armes chimiques. Le Liban, considéré par certains comme "le vassal" de Damas, pourrait-il échapper aux conséquences d'un éventuel affrontement entre les forces du régime et la coalition occidentale ?

Vincent Geisser : On observe un double langage des acteurs libanais. D’une part, il y a un consensus pour une politique de dissociation, qui est une sorte de neutralité : "nous ne nous engageons pas dans le conflit syrien". Mais d’un autre côté, la quasi-totalité des acteurs qui tiennent ce langage neutre sont profondément engagés dans ce conflit en apportant son soutien à un côté ou un autre. La crise syrienne affaiblie le Liban mais permet en même temps à ses leaders politiques et religieux d’exister. C’est tout le paradoxe de la situation actuelle.

Ensuite, l’intervention pourrait créer des dommages collatéraux. Dans un premier temps, l’accroissement des réfugiés syriens et palestiniens au Liban. Puis une légitimation des personnes prônant la théorie complotiste, qui va entraîner une augmentation de la violence politique : attentats, assassinats des personnalités politiques etc.

Il y a moins d'une semaine, un double attentat à Tripoli a fait 42 morts. Ces attentats font échos aux tensions entre les sunnites (qui soutiennent la révolution syrienne) et les alaouites (favorables au régime de Bachar al-Assad). Le conflit syrien s'est-il propagé au Liban ? Cela peut-il créer les mêmes tensions ?

A(re)lire sur ce sujet : Pourquoi après des frappes punitives sur la Syrie, ce qui attend l'Occident c'est aussi le conflit explosif entre chiites et sunnites dans tout le Moyen-Orient

La question syrienne divise la population libanaise, que ça soit la classe politique, la population, les intellectuels… Certains soutiennent le régime de Bachar al-Assad, certains soutiennent les rebelles, et certains sont contre une intervention étrangère sans pour autant être pour le régime syrien.

Le Liban n’est pas seulement une victime ou un otage de la crise syrienne, il en est aussi un acteur. Certains Libanais sont directement engagés dans la crise : le Hezbollah a des combattants engagés aux côtés de l’armée syrienne ; un certain nombre de politiques sont aussi engagés indirectement et soutiennent la révolution anti-Bachar. Un scénario de crise civile libanaise comme en 1975-1990 est peu probable. En revanche, on se dirige vers un scénario de multiplication des assassinats politiques et des attentats qui toucheront les civils, qu’ils soient pro ou anti-Bachar.

N'oublions pas les conséquences humanitaires. La Liban est le pays qui accueille le plus de réfugiés syriens : on en est à près d’un million de réfugiés syriens et palestiniens, soit presque un quart de la population totale. Cela va entraîner des troubles sociaux, politiques et économiques. Une partie de la population commence à développer un sentiment anti-syrien qui est renforcé par cet afflux massif.

A quel camp pourrait profiter la propagation du conflit syrien au Liban ? 

Cela va profiter aux complotistes qui vont être confortés dans leur théorie de manipulation occidentale. Ils vont jouer sur la comparaison - fausse - entre l’Irak et la Syrie. L’intervention va légitimer le discours selon lequel l’Occident tire les ficelles du jeu. Une partie de ceux qui sont contre Bachar al-Assad sont aussi opposés à une intervention, car ils pensent que cela va renforcer le dirigeant syrien. C'est sans doute vrai à court et à moyen terme. Il ne faut pas oublier que dans cette partie du monde les thématiques populistes et nationalistes sont très fortes, ce qui rend l’idée d’une intervention complexe.

Quels sont les autres pays qui risquent d'être touchés par une propagation de la crise syrienne ? Dans quelles proportions ?

Tous les pays qui soutiendront une coalition internationale contre Bachar al-Assad seront exposés à un risque d'attaque terroriste très fort. La présence des Français et des Américains au Liban est connue. Ces populations risquent - en cas d'interventions de leur pays - d'être la cible privilégie d'attentats.

Dans l’immédiat, les pays qui risquent de payer le prix fort de cette intervention sont : le Liban - qui le paye déjà -, la Jordanie et la Turquie. Cette dernière a jusque-là été épargnée car c’est un Etat fort, mais on pourrait voir se développer des actions terroristes qui seront des réponses du régime de Bachar al-Assad au soutien de la Turquie à une coalition étrangère.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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