Le vin face à la loi Evin : la France cessera-t-elle enfin de dénigrer son patrimoine national ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le vin de France représente aujourd'hui la seconde rentrée de devises, juste derrière l'aéronautique et devant l'ensemble du secteur agroalimentaire."
"Le vin de France représente aujourd'hui la seconde rentrée de devises, juste derrière l'aéronautique et devant l'ensemble du secteur agroalimentaire."
©Reuters

Bonnes feuilles

La France a deux grandes spécialités : son vin et sa capacité à dénigrer le patrimoine national. La loi Evin réunit les deux. Extrait de "Invignez-vous !" (1/2).

Jacques  Dupont

Jacques Dupont

Journaliste au Point, Jacques Dupont est l'auteur de "Choses bues" et "Le guide des vins de Bordeaux", aux éditions Grasset.

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La plus ahurissante des spécialités françaises pourrait s’intituler la balle dans le pied, l’autoflagellation, le bâton dans les roues, la chaîne et le boulet… Au choix. Il s’agit de cette intense capacité à flinguer sans sommation tout ce qui serait susceptible de figurer un semblant de fierté hexagonale, un zéphyr d’optimisme, une esquisse de réussite. Ici, un jeune qui veut être boucher, c’est un idiot qui ne fiche rien à l’école ou un tueur sanguinaire en devenir. Un type qui crée son entreprise finira ruiné, sous les ponts, et ses pauvres parents devront vendre la maison qui les a vus naître. Un paysan n’est rien d’autre qu’un pollueur de nappes phréatiques, les politiques ne pensent qu’à s’en mettre plein les poches (pour 82 % des Français, sondage IPSOS janvier 2013), les profs des feignants, les TGV toujours en retard, les chanteurs drogués et sans voix, la bouffe congelée, les sportifs trop fêtards, le cinéma gnangnan, nos voitures tellement moins solides que les allemandes…

Cette capacité très française à vilipender, voire détruire tout ce qui ne fonctionne pas trop mal dans notre pays, s’étend à de nombreux secteurs, du textile à la sidérurgie. Mais, c’est au rayon vert – agriculture, élevage, agroalimentaire, gastronomie – qu’on domine le sujet avec le plus d’efficacité. Où trouve-t-on les pires détracteurs du foie gras ? Au pays qui l’a inventé. Où doctent les plus ardents promoteurs de la cuisine dite moléculaire, celle qui se propose de remplacer les vrais œufs de ferme par l’agar-agar, la lécithine ou la gomme xanthane ? Mais en France bien sûr, où pourtant les grands chefs ne cessent de nous expliquer que ce qui compte, in fine, c’est la qualité des produits dont notre terroir abonde !

Où laisse-t-on les géants de la biotechnologie imposer la pasteurisation dans l’élaboration des fromages d’AOC ? Chez de Gaulle et successeurs. Le pire du pire fut atteint avec la loi Evin, adoptée en 1991 et toujours en vigueur, qui fait du vin une sorte de drogue licite. En 1934, le président de la République Paul Deschanel, à l’invitation du négociant et propriétaire Désiré Cordier, se rend à Saint-Julien au centre du Médoc viticole et de ses crus classés pour fêter autour d’un banquet « le village de France qui compte le plus de centenaires ». En 2013, le président se cache pour en boire ; le vin n’a plus sa place dans la Cité et nous sommes entrés dans une phase prohibitionniste à peine voilée.

Les Américains s’ébahissent de notre longévité, de ces centenaires qui ne crachent pas sur le canon, du faible taux de maladies cardiovasculaires dans les régions où le confit de canard se décline au madiran. Chez eux, l’admiration pour le mode d’alimentation méditerranéen se traduit par une hausse sans discontinuer depuis dix ans de l’achat et de la consommation de vin rouge. Il s’agit d’ailleurs d’une tendance mondiale. La Chine s’éveille, depuis quelques années déjà, au son du bouchon. Elle est devenue le premier client de Bordeaux quand elle ne se sert pas sur place en rachetant des châteaux. Son propre vignoble dépasse désormais en volume celui des Etats-Unis. Même au pays de la vodka, le vin gagne du terrain. Le président Medvedev, quand il assurait l’intérim Poutine, en août 2011 s’était déclaré chaud partisan du pied de vigne : « C’est un secteur important qui va contribuer à éradiquer l’alcoolisme. Les pays où la viticulture est développée n’ont pas ces problèmes. » Le Brésil, malgré ses taxes ahurissantes, est un des pays les plus ciblés par nos exportations de champagnes mais aussi de vins dits tranquilles, sans bulles. Depuis dix ans, on y dénombre 40 millions de nouveaux consommateurs et la France y dispose d’une image haut de gamme. En deux ans, de 2009 à 2011, nos exportations de vins de qualité ont progressé de 51% en valeur et 46 % en volume et ce mouvement s’est perpétué en 2012.

Grâce à cela, le vin de France représente aujourd’hui la seconde rentrée de devises, juste derrière l’aéronautique et devant l’ensemble du secteur agroalimentaire. Le bilan pour l’année 2012 des vins et spiritueux (surtout le Cognac) s’établit à plus de 11 milliards d’euros, 10% de plus qu’en 2011. Cela représenterait l’équivalent d’une bonne centaine de Rafale, si toutefois nous parvenions à vendre cet avion ailleurs qu’en France ! Et nous, pauvres de nous, que faisons-nous ? On maudit, on condamne, on montre du doigt, on interdit. Le vin de France, un domaine qui faisait l’unanimité, dont personne ne contestait la supériorité sur tous les autres dans tous les pays, fait figure de proscrit chez lui. Je ne force pas le trait.

Aujourd’hui, ce n’est pas de la fiction, nul, sous peine d’amende lourde payée par le diffuseur, ne peut évoquer le vin à la télévision autrement que sous un aspect général, patrimonial, collectif, désincarné, anonyme, inutile. Cela rappellera aux plus anciens ces magnifiques publicités en noir et blanc qui fleurissaient à l’époque de la RTF (Radio Télévision Française) sur les produits laitiers ou les légumineuses : « On a toujours besoin de petits pois chez soi ! »

Extrait de "Invignez-vous !", Jacques Dupont, (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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