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Aux origines du jihadisme français : les multiples visages d'une violente radicalisation
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Bonnes feuilles

L'islam fait régulièrement parler de lui, mais la deuxième religion de France reste une grande inconnue pour la majeure partie de ce pays. "L'islam en France pour les nuls" nous éclaire. Extrait (2/2).

Mohamed-Ali  Adraoui et Leyla Arslan

Mohamed-Ali Adraoui et Leyla Arslan

Mohamed-Ali Adraoui est chercheur et enseignant à Sciences Po et Fellow à l'Institut Universitaire Européen de Florence (Programme Max Weber). Il est l'auteur de l'ouvrage "Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé", Presses Universitaires de France, collection Proche-Orient.

Leyla Arslan, docteure en science politique, travaille sur les questions d'ethnicité, d'immigration et d'islam.

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À côté du salafisme quiétiste, qui insiste avant tout sur la prédication, l’éducation et la purification pacifique des moeurs musulmanes, il y a le salafisme jihadiste, dont les tenants croient en une démarche politisée et violente. L’objectif est d’imposer un renversement de régime à la tête des sociétés majoritairement musulmanes et de combattre les acteurs qui sont supposés venir en aide à des chefs d’État à leurs yeux apostats. Le tawhid chez ces salafi stes révolutionnaires (32) impose non seulement de vénérer Dieu de manière exclusive, mais également d’appliquer ses injonctions législatives (chari’a), ce qui les différencie des quiétistes, pour qui il existe un devoir d’obéissance au leader politique, aussi imparfait soit-il, la tyrannie étant préférable à l’anarchie. Or, pour les jihadistes, un système politique, s’il ne repose pas sur leur conception de la chari’a (corpus de textes sur lequel se fonde le juriste musulman, Coran, hadiths, Sunna…), perd toute légitimité et autorise de le changer par la force en interprétant le jihad comme un combat, si nécessaire armé, contre « les traîtres à l’islam ».

De nombreux mouvements, sunnites ou chiites, mettent en avant une telle vision du jihad dans le but, par exemple, de défendre leur pays. C’est le cas du Hamas (Mouvement de la résistance islamique) en Palestine ou du Hezbollah (Parti de Dieu) au Liban.

D’ailleurs, durant la décennie 1980, la France a connu plusieurs attentats commis par des proches du Hezbollah alors que le Liban était déchiré par la guerre. Le plus célèbre est celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986 (sept morts). Mais les salafistes jihadistes ne se situent pas dans une optique nationaliste et appellent les musulmans à défier, où qu’ils se trouvent, les ennemis de leur religion. Les États- Unis, venant en aide à l’Arabie Saoudite, ont par exemple été pris pour cible par l’organisation salafiste-jihadiste al-Qaïda (« La base »), dirigée jusqu’à sa mort en 2011 par Oussama Ben Laden (et depuis par Ayman al-Zawahiri), le 11 septembre 2001. L’Afghanistan depuis les années 1980, la Bosnie-Herzégovine dans les années 1990, puis l’Irak dans les années 2000, le Mali depuis 2013 ont vu arriver des groupes de volontaires internationaux jihadistes. Les quiétistes ne se reconnaissant pas dans une telle démarche restent influencés par l’establishment religieux saoudien, alors que les salafistes révolutionnaires jugent que la monarchie saoudienne a trahi en se rangeant du côté de l’Amérique après la crise du Golfe de 1990-1991 et en la laissant s’installer sur le territoire des lieux saints de l’islam. À partir de cette date, tous les pays définis par eux comme venant en aide aux régimes corrompus du monde musulman ont été, à des degrés divers, pris pour cibles légitimes.

La première génération jihadiste en France apparaît dans la décennie 1990. Les acteurs impliqués dans la guerre civile algérienne des années 1990 exportent leur combat contre une France apportant son soutien à l’État militaire qu’ils combattent en Algérie. Des jeunes Français d’origine algérienne rejoignent alors le Groupe islamique armé (GIA) de Djamel Zitouni, fondé en 1992 et dont l’objectif est l’instauration d’un État islamique en Algérie.

Le GIA va muer et une branche dissidente, à partir de 1998, va devenir le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), soupçonné d’avoir fomenté des attentats déjoués en France contre la cathédrale Notre-Dame et le marché de Noël de Strasbourg en décembre 2000. Progressivement, cette organisation va se rapprocher d’al- Qaïda pour prendre le nom, le 25 janvier 2007, d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). La recherche d’une insurrection dans cette partie de l’Afrique s’accompagne également de tentatives de s’en prendre à des intérêts français, comme on le voit aujourd’hui à la faveur de l’intervention française au Mali. De jeunes Français, convertis ou non, ont ainsi été interpellés avant, pendant ou après avoir effectué un séjour au Sahel.

C’est le cas d’Ibrahim Aziz Ouattara, âgé de 24 ans, originaire d’Aubervilliers et issu d’une famille malienne, expulsé du Mali début mars 2013 et suspecté d’avoir voulu rejoindre des groupes jihadistes établis dans cette région. D’autres personnes y ont été appréhendées, comme Cédric Lobo à Niamey au Niger, qui souhaitait gagner le Nord-Mali pour intégrer des groupes radicaux. Mais l’ouverture d’autres fronts comme la Syrie depuis le début de la révolution en 2011 a constitué une opportunité pour des combattants français d’aller défier des régimes et des États définis comme des tawaghit (pluriel de taghout qui signifie « tyran »).

Parallèlement, des réseaux établis en France ont été démantelés ces dernières années, comme à Cannes, Strasbourg et à Torcy en septembre 2012, ou à Marignane en mars 2013, alors qu’ils s’en étaient pris à des cibles juives (épicerie casher de Sarcelles) ou envisageaient de commettre un attentat à la bombe dans les Bouchedu- Rhône pour le groupe Marignane. Si le passage par la prison ou la petite délinquance est un élément qui revient régulièrement dans la trajectoire de ces combattants, la principale motivation mise en avant pour expliquer de tels actes est la défense de coreligionnaires opprimés. Le cheminement de l’un des membres du groupe de Torcy, un converti antillais Jérémy Félix Louis-Sindey âge de 33 ans et tué alors qu’il résistait à la police à Strasbourg, met en lumière un endoctrinement important, plaçant les juifs comme les ennemis principaux de l’islam aujourd’hui.

Les courants jihadistes ont recruté également d’autres Français par le passé, mais qui ne sont pas passés par la filière algérienne ou sahélienne. S’inscrivant dans un combat avant tout transnational, l’ennemi devient l’Occident, et al-Qaïda, le principal vecteur de cette lutte. La situation des musulmans en Palestine, en Tchétchénie, au Cachemire (près de la frontière indo-pakistanaise disputée par les deux pays) ou en Irak, a mobilisé contre Israël tantôt les Russes et Tchétchènes pro-russes, l’Inde ou les États-Unis, « coupables d’une guerre contre l’islam ».

De cette façon, Zacarias Moussaoui, originaire de Saint-Jean-de-Luz, de mère marocaine ayant élevé seule ses enfants, diplômé d’un master de management de la South Bank University à Londres, s’est rapproché d’al-Qaïda pour participer aux attentats du 11 septembre 2001. Il sera arrêté quelques jours avant et purge actuellement une peine de prison à perpétuité. Son parcours est celui d’un musulman radicalisé au contact de prêcheurs installés à Londres et qui, après plusieurs séjours au Proche-Orient et en Afghanistan, va faire la connaissance de recruteurs d’al-Qaïda. Le caractère mondialisé de sa démarche et son identification aux causes politiques impliquant des musulmans de par le monde ont suscité un désir de se venger contre des États censément responsables de ces situations.

Les mutations du radicalisme islamique

De nouveaux acteurs radicaux sont apparus depuis quelques années. Ils peuvent s’inscrire dans une stratégie d’entrisme dans l’espace public ou mener des actions terroristes sur un mode nouveau, éloigné en partie des organisations jihadistes connues comme al-Qaïda.

Forsane Alizza

Parmi les premiers, on trouve le groupuscule Forsane Alizza (« Les Cavaliers de la fierté »), né en 2010 à Nantes en réaction au débat sur le voile intégral et qui se fait connaître pour l’organisation de plusieurs manifestations publiques, et plus récemment pour ses projets terroristes. Manifestant dans un restaurant McDonald’s de Limoges contre une société « sioniste » finançant « la guerre contre les Palestiniens », brûlant le Code pénal en septembre 2010 pour protester contre les vidéos d’un Ernesto Rojas, urinant sur le Coran, le groupuscule regroupe une dizaine de personnes autour d’un jeune prédicateur, Muhammad Achamlane. Au moment de l’entrée en vigueur de l’interdiction du port du voile intégral, le groupuscule, se présentant alors comme le « Collectif autour de l’unicité tawhid », organise une nouvelle manifestation place de la Nation à Paris, le 9 avril 2011, pour appeler à l’adoption de la chari’a et à la fin des lois anti-islam. Soixante et une personnes sont alors interpellées. Le 29 février 2012, Claude Guéant annonce la dissolution de Forsane Alizza, après notamment que le leader eut déclaré se tenir prêt au combat pour défendre les musulmanes obligées de retirer le voile intégral.

Les mutations du jihadisme armé

Mohammed Merah incarne, quant à lui, une nouvelle génération de radicalisation violente. Il est l’auteur de deux séries de meurtres à Montauban et à Toulouse en mars 2012 ayant coûté la vie à des soldats français et à des enfants et adultes juifs de l’école israélite Ozar Hatorah. Issu d’une famille à problèmes installée à Toulouse, il est également connu pour des séjours en prison et dans des pays où des conflits impliquent des groupes jihadistes (Pakistan…). Il a privilégié l’action individuelle, comme y invitent des documents émis par al-Qaïda sur le Web et traduits en anglais (langue à laquelle il n’a probablement accès), notamment la revue Inspire qui insiste sur l’intérêt pour des combattants isolés d’entreprendre des actions violentes de leur propre fait. Mohammed Merah, tué le 22 mars 2012 lors d’une intervention du RAID, incarne la mutation du jihadisme armé. À l’instar de Forsane Alizza, il ne s’agit pas d’un salafiste tel qu’ils sont majoritairement observables en France. N’arborant pas de signes visibles d’une religiosité puritaine, ses cibles témoignent aussi bien d’une haine anti-juive réelle que d’une hostilité à l’encontre de l’armée, institution qu’il a cherché à intégrer quelques années plus tôt. Il illustre le profil du homegrown terrorist, qui, sans réel désir de publiciser son idéologie, est susceptible de passer à l’acte sous l’effet d’une radicalisation passant en grande partie par Internet et échappant à des méthodes établies et connues à l’avance par les services de sécurité.

D’autres acteurs ont mêlé radicalisme et banditisme, après avoir souvent passé un séjour en prison. Le gang de Roubaix centré autour du converti Lionel Dumont, illustre cette tendance.

Cette organisation, réputée proche d’al-Qaïda, a préparé un attentat sur le territoire français (le commissariat central de Lille en 1996) après avoir commis une série de braquages dans le Nord de la France pour financer des causes musulmanes de par le monde (attaques contre des fourgons blindés, de magasins…). Plusieurs de ses membres ont combattu en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995 au cours de la guerre des Balkans, constituant un bon exemple de la porosité entre banditisme et insertion dans des réseaux transnationaux de lutte cherchant à opérer dans plusieurs régions du monde. Le groupe de Torcy, composé également de convertis venus au radicalisme constitue un autre exemple.

Et l’antisémitisme ? Les agressions et crimes commis contre des juifs par des individus se revendiquant de l’islam comme Mohammed Merah, ou présentant un profi l « jeune délinquant de banlieue » comme Youssouf Fofana, ont conduit à s’interroger sur l’émergence d’un antisémitisme produit spécifi quement par des « musulmans », sociologiques ou confessionnels.

L’augmentation des actes ciblant des victimes juives est réelle depuis 2000. Elle est le fait de nombreux groupes aux motivations idéologiques diverses. Du côté de certains jeunes descendants d’immigrés, l’hostilité aux juifs semble conjoncturelle si on la met en rapport avec la baisse tendancielle des préjugés et des actes antisémites depuis plusieurs décennies en France. Cette partie de la hausse est liée à certains événements extranationaux, au premier rang desquels le confl it israélo-palestinien, qui peut engendrer des phénomènes d’identifi cation de certains jeunes « musulmans » vis-à-vis des Palestiniens comme le souligne Nonna Mayer1. Cependant, il y a également une part d’antisémitisme traditionnel chez certains qui, sans prendre de forme forcément violente, se manifeste par une plus grande propension par rapport au reste de la population à considérer par exemple que « les juifs ont trop de pouvoir » (Voir l’enquête Français comme les autres ?).

(32) Samir Amghar, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Michalon, 2011.

(1) Nonna Mayer, « Les opinions antisémites en France après la seconde Intifada », Revue internationale et stratégique, 2e trim. 2005, no 58.

Extrait de "L'Islam en France pour les Nuls", Leyla Arslan et Mohamed-Ali Adraoui, (First éditions), 2013, 7,55 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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