Comment Apple, Google et cie font de l’idéologie l’air de rien<!-- --> | Atlantico.fr
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Les deux géants du Net censurent certaines expressions et recherches.
Les deux géants du Net censurent certaines expressions et recherches.
©Reuters

Censeurs 2.0

Écrivez "avortement" ou "marijuana" en anglais avec une faute d'orthographe sur votre iPhone, celui-ci ne vous proposera pas de correction, relève le site d'information américain Daily Beast. Une mini censure qui n'est pas pratiquée sur les iPhones français, mais qui en dit long sur la culture conservatrice de la firme, que l'on retrouve également chez les autres géants du web.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Apple, dont le slogan fut pendant des années "pensez différemment" est-il en train de devenir l'incarnation du politiquement correct ? À défaut de nous interdire d'écrire certaines choses, la marque à la pomme semble se refuser à les évoquer. Si vous utilisez un Iphone et si vous avez coché la fonction "ad hoc", quand vous tapez un texte, le correcteur orthographique peut vous faire certaines suggestions. Ainsi, si vous écrivez "jouranlisme", le mot suspect est souligné et l'alternative correcte "journalisme" vous est suggérée. Idem avec le clavier QWJERY en anglais.  Tout ceci semble fort innocent. Sauf que...

Le mot, la chose, la peur

Sauf  que le site étasunien  "The Daily Beast" s'est livré à une expérience. Lui-même aidé d'un puissant logiciel, il a "essayé" des milliers d'orthographes légèrement déviantes. Le logiciel suggère une forme correcte et tombe généralement juste (sauf pour des mots très techniques ou très rares). Mais lorsque les expérimentateurs essaient des termes, disons à forte connotation affective, comme "abortion", "rape", "bullet", "ammo", "aryan", "virginity", "marijuana", pas de suggestion, même quand la réponse semble évidente à une lettre près. 
En somme, Apple ne vous interdit pas de parler d'avortement, de viol, de balle, de munitions, d'aryens, de virginité... mais il ne vous y aide pas. Le cas se confirmant pour plusieurs milliers de mots "sensibles", et pas pour les autres, il est difficile de parler de hasard. D'autant plus que les logiciels non anglophones ou les vieilles versions de iOS n'ont pas de semblables répugnances. Malheur donc au dyslexique qui se piquerait de sexologie, d'histoire de l'armement ou d'analyse de l'idéologie national-socialiste.
Dans "1984" d'Orwell, Big Brother a élagué le dictionnaire de telle façon que les concepts subversifs comme liberté ou révolte ne puissent se formuler, faute de mot correspondant en "novlangue". Nous n'en sommes certainement pas là et Apple (qui refuse de s'exprimer sur le sujet), plutôt que de nous interdire de dire, semble refuser de s'associer à ce qui pourrait échauffer des passions malsaines ou provoquer des controverses. Imaginez qu'une jeune internaute se fasse avorter, fume un joint et abatte des innocents à l'arme automatique, par la faute de son IPhone... 
Apple semble s'inscrire dans un courant bien contemporain d'évitement systématique, ce qui pourrait provoquer une réaction d'une communauté quelconque ou d'un annonceur. C'est au nom de la sensibilité des minorités ou du risque objectif (d'incitation à la haine ou à la violence) que l'on interdit, et non par référence aux mœurs bourgeoises, mais le résultat ne diffère guère.

Puritainement correct, commercialement rassurant

Google, dont la devise est "don’t be evil" (ne faites pas le mal) n'agit pas autrement lorsqu'il filtre ses algorithmes afin que la vidéo d'un adulte abusant d'un enfant ou d'une décapitation (pourtant parmi les plus demandées) ne risquent pas d'apparaître automatiquement en réponse à une demande innocente. Idem pour Facebook qui, au gré des plaintes (et parfois pour rassurer ses annonceurs) censurera des images "sexistes" pour incitation à la violence, des Femen aux seins nus pour pornographie comme le tableau de Courbet L'origine du monde, ou la photo d'une mère allaitant .. Tandis que Twitter, s'il suit les suggestions de Najat Vallaud-Belkacem supprimera des contenus antisémites, homophobes...
Les algorithmes sont éthiquement neutres, et les grands du Net, de même qu'ils collaborent volontiers avec l'administration Obama pour mener des interceptions, désirent rassurer : rien de controversé ou de choquant ne risque d'apparaître par hasard et de décourager l'internaute de continuer à naviguer, à acheter et à fournir ses données personnelles.
D'où quelque absurdités. Que conclure dans le cas d'Apple ? Soit les nouveaux dirigeants de Cupertino prêtent un pouvoir magique à la langue (lire le mot aryen vous rend nazi, lire prostitution vous incite à vendre vos charmes) et cela les rattache à la traditions puritaine où l'on ne parlait pas des jambes des pianos pour ne pas exciter à la lubricité, soit ils pensent que ne pas évoquer une chose la fait disparaître du monde réel. 
Grâce au ciel, ce n'est pas en France que l'on verrait des choses pareilles. Poussons à l'absurde : imaginez qu'Obama veuille supprimer le mot "guerre" de la constitution américaine, par exemple... Inimaginable, non ?

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