Pourquoi l’État fait un mauvais calcul financier comme social en faisant basculer 1,6 million de Français dans la catégorie de ceux qui paient des impôts<!-- --> | Atlantico.fr
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A cause du gel du barème, 1,6 million de Français ont payé des impôts pour la première fois en 2012.
A cause du gel du barème, 1,6 million de Français ont payé des impôts pour la première fois en 2012.
©DR

Le compte n'est pas bon

Du fait du gel du barème ou encore de la taxe d'habitation, plus d'un million de Français ont payés des impôts pour la première fois en 2012. Mais s'il est de coutume de dire que "trop d'impôts tue l'impôt", il n'est pas certain que l’État bénéficie vraiment de cette augmentation en nombre des imposés.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : A cause du gel du barème, 1,6 million de Français ont payé des impôts pour la première fois en 2012. Ils sont également près du double à être désormais soumis à la taxe d'habitation. Cette mesure de désindexation qui a des effets en cascade sur les contribuables permet à priori de faire entrer des recettes supplémentaires dans les caisses de l’État. Mais à long terme s'agit-il vraiment d'un bon calcul ? Cette mesure peut-elle avoir un effet néfaste sur l'économie, notamment en pénalisant la consommation ?

Gérard Thoris : Le gouvernement est en train de faire le constat que, lorsqu’un système fiscal est devenu illisible, il ne peut plus faire l’objet d’amendements, ou plus exactement, il devient impossible de mesurer ex ante les conséquences précises de ces amendements.

Ainsi, le simple blocage des tranches d’imposition a pour conséquence d’augmenter le nombre de personnes qui paient effectivement l’impôt sur le revenu. Mais le fait de disposer d’un certificat de non-imposition ou d’être faiblement imposable a des conséquences en cascade qui ne peuvent être mesurées d’avance car leur obtention relève des caractéristiques du ménage. On citera évidemment l’exonération des impôts locaux, l’exonération de la redevance télévision, l’accès à un nombre significatif de prestations familiales : bourse d’études, aide au transport, aide à la cuve, etc. A l’inverse, il devient plus facile de bénéficier des réductions d’impôts qui n’ouvrent pas droit au crédit d’impôt. C’est tellement simple que l’on observe régulièrement que des ayants-droits ne les font pas valoir !D’autres au contraire ont sans doute déjà fait leurs calculs et commencent à ajuster leurs comportements. C’est cette différence d’anticipation qui va décider des répercussions éventuelles sur la consommation. Mais elles sont bien difficiles à prévoir.

Par contre, la portée véritable du fait d’être imposable aura un effet multiplicateur au moment où ces prestations diverses et variées seront recalculées. A ce moment, il y aura des réajustements significatifs de revenu disponible et des conséquences brutales sur la consommation et le niveau de vie des personnes concernées. En effet, elles n’ont sans doute pas un matelas d’épargne suffisant pour amortir le choc immédiat de la baisse de revenus.

A priori, on devrait se réjouir que davantage de personnes paient l’impôt sur le revenu car il s’agit d’un geste citoyen. Mais à ce geste citoyen répond le geste politique de diminuer constamment le taux d’impôt des revenus du bas de l’échelle. C’est cela qui explique que, en France, l’impôt soit un des plus concentrés du monde : 10% des contribuables paient 65% de l’impôt sur le revenu ! Dans sa volonté de réformer la France, Michel Rocard avait inventé la Contribution sociale généralisée. Le mot contribution est un mot hybride, ni impôt, ni cotisation. Derrière ce flou, on peut voir la volonté de faire évoluer le système fiscal français vers un système à taux plat : le même taux d’imposition dès le premier euro sur tous les revenus quelle qu’en soit l’origine. Évidemment, ce principe de grande simplicité a été complexifié par la machine législative mais, jusqu’à présent, le principe est resté sauf.

Tout laisse à penser néanmoins que ce n’est plus pour longtemps. Le programme du candidat Hollande prévoyait la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Le but est évident : rendre l’ensemble progressif. Jusqu’à présent, le président a renoncé à solliciter la réflexion d’une commission sur le sujet. Mais le fait que le nombre de contribuables s’accroisse d’une part, qu’il s’agisse de l’effet en 2012 d’une mesure votée à l’initiative du gouvernement de François Fillon d’autre part, explique sans doute que l’on reparle d’une « grande réforme fiscale » à la gauche du PS. Son contenu est dessiné d’avance : c’est bien sûr l’intégration de la progressivité dans l’ensemble constitué par la fusion IR-CSG. Son emballage est connu d’avance : ce sera au nom de la « justice sociale ». Ses auteurs y ajoutent même que cela va permettre de « redistribuer du pouvoir d’achat aux Français » (Pouria Amirshahi, cité par lemonde.fr du 3 juillet ). Sous réserve d’une citation extraite de son contexte, faut-il en conclure que ceux qui paieront davantage ne sont pas Français ?

Qui va payer les conséquences de ces mesures ? Existe-t-il un risque d'accentuer la paupérisation des classes moyennes ?

Il faut bien peser les mots : appauvrissement en termes de revenus n’est pas paupérisation. De plus, par définition, les classes moyennes ne représentent une définition que par défaut, entre « riches » et « pauvres ». Et, derrière ces termes, on ne sait jamais si l’on considère les flux et les stocks : les revenus et le patrimoine. Quant au revenu, il faut savoir si l’on parle de salaire ou de revenu disponible ; quant au patrimoine, on a l’habitude de considérer le fait d’être propriétaire mais il n’est pas sans intérêt d’intégrer les services rendus par les biens durables. Enfin, il faut encore considérer l’accès aux biens publics : ce n’est pas rien que les classes préparatoires deviennent payantes.

Avec ces distinctions, on voit assez clairement qu’il y a partout des effets de seuil en termes d’accroissement des prélèvements, diminution des prestations, diminution ou suppression de la gratuité d’accès à des services publics. Mais on ne dispose d’aucun élément pour en mesurer les effets "type de famille" par "type de famille". Pour ce faire, il faudrait inventer quelque chose comme « la déclaration citoyenne » qui verrait tous les Français faire une déclaration parallèle à leur déclaration d’impôts dans laquelle toutes les prestations sociales en argent et en nature seraient récapitulées.

En tout cas, comme il n’existe pas de statistique, il ne peut exister que des rumeurs. Les rumeurs vont et viennent ; on ne sait pas pourquoi elles s’amplifient ici, se résorbent là. La sociologie dispose généralement de très bonnes explications ex post et elles ne sont très bonnes que parce qu’on n’a pas tenté d’estimer leurs vertus prédictives !

Malgré la hausse des impôts et la réduction des dépenses, le déficit public ne cesse de déraper. Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez, évoque même un trou de 20 milliards d'euros. Assiste-t-on actuellement a une parfaite illustration du principe de Laffer ?

La courbe de Laffer était fondée sur le principe que, lorsque le taux de l’impôt s’accroît de manière excessive, les recettes fiscales diminuent. Sous cette forme, nous assistons bien à une manifestation de l’effet Laffer. Simplement, l’effet Laffer est une tautologie : si je taxe à 100%, la base fiscale tend vers zéro. Cela ne donne normalement pas lieu à débat. Par contre, ce qui pose problème c’est le niveau à partir duquel la base fiscale diminue d’une part et les mécanismes en jeu d’autre part. On se contentera de faire quelques hypothèses sur ce deuxième point :


Dans la courbe de Laffer, c’est normalement la baisse de l’offre de travail qui explique la baisse des recettes fiscales. Il est douteux que celle-ci se manifeste, en moyenne, dans une société soumise au chômage, éventuellement à une baisse des salaires, certainement à une baisse des revenus disponibles. Ici, on peut s’attendre à ce que l’effet de substitution en faveur du maintien du niveau de vie se manifeste, au moins au niveau d’un ménage.


Par contre, la base fiscale peut diminuer parce que, inquiets pour le futur proche ou lointain, les ménages reportent leur consommation. On n’a pas assez médité sur ce paradoxe de la société de consommation : nombre d’achats relèvent du coup de cœur (typiquement les vêtements) ou concernent des biens durables (typiquement l’automobile). Eh bien, il est extrêmement facile de reporter ces achats, de porter les vêtements de l’année n-2 au lieu de les vendre à la braderie annuelle et de demander de bons et loyaux services pour quelques années supplémentaires à une voiture qui n’a que trois ans. Évidemment, cette attitude a des répercussions en cascade, d’abord sur la TVA, ensuite sur le prix moyen de vente des producteurs, donc sur leurs profits et sur l’impôt sur les sociétés, ensuite encore sur la masse salariale, et donc les cotisations sociales.


Enfin, même si les chiffres avancés sont sujets à caution, il est évident que, chaque fois que cela est possible, les agents économiques vont retourner à l’économie souterraine. On n’imagine quand même pas que l’augmentation récente du taux de TVA de 7 à 19,6% sur les services à domicile va permettre aux personnes qui les utilisent de continuer à en acheter la même quantité. Et pour qu’on voit que la fiscalité n’est décidément jamais neutre, il n’est pas sans intérêt de rappeler quels services sont touchés : travaux de jardinage, gardiennage, cours à domicile hors soutien scolaire (piano, gym…), assistance informatique et prestations d’intermédiation. Vu le ciblage des utilisateurs vraisemblables de ces services, on comprend que le gouvernement n’ait pas cherché à infléchir la décision de la Commission européenne ! 

Décidément, la formule bien connue qui définit le communisme : « de chacun selon ses capacités, à chacun ses besoins » est bien difficile à mettre en œuvre de façon équitable. Du coup, on procède à une simplification : il y a ceux qui ont des capacités et ceux qui ont des besoins et les premiers sont redevables de leurs biens aux seconds. Mais jusqu’où cela est-il tolérable ? Voilà un exercice empirique bien délicat pour lequel on souhaite bonne chance au gouvernement !

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