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Don’t be evil : Google est-il capable d’orienter des élections ?
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Tu l’as dit bouffi

Si les algorithmes des moteurs de recherche étaient modifiés de telle sorte que certaines informations soient privilégiées plutôt que d'autres, l'opinion publique pourrait en être changée, affirme une étude américaine publiée dans The Nation. Une simple affaire de hiérarchisation des pages web pourrait faire basculer une élection...

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Selon une étude publiée dans le magazine The Nation, il est possible à un moteur de recherches d'influencer l'opinion d'un groupe de personnes en favorisant certaines informations plutôt que d'autres à chaque fois qu'une recherche est effectuée. Il suffirait pour cela de modifier les algorithmes du système. Que ce soit le fait de l'entreprise ou de pirates informatiques, cela est-il techniquement faisable ? Quelles dimensions le procédé pourrait-il prendre ?

François-Bernard Huyghe : Un algorithme Google existe déjà, il commande le fameux "Google ranking", qui place plus ou moins bien les pages web en fonction des mots clés, de critères de pertinence et du nombre de liens qui renvoient vers les sites. L'enjeu – se classer dans les premières pages ou pas –f est déjà immense, car les internautes vont très rarement au-delà de la troisième page de Google. La capacité de déplacer l'attention de millions de gens sur un site en particulier en dépend. Remarquez que Google ne fournit pas les mêmes réponses à chacun, en fonction des recherches antérieures de l'internaute et de ce que le moteur sait de lui. Les propositions commerciales diffèrent selon les personnes, les pays, et ce que Google estime qu'elles cherchent. Le moteur "social" que Google va mettre en place est programmé pour deviner encore plus finement ce que nous recherchons, de telle sorte que vous et moi n'aurons pas les mêmes réponses pour une même demande.

Quant à savoir si un pirate informatique de génie pourrait parvenir à pénétrer l'algorithme et à le modifier en fonction de ses convictions politiques, cela semble peu probable à ce stade. Google protège cet algorithme, sur lequel il a basé sa fortune, car la prospérité de la société repose sur le fait que nous lui donnons des données et qu'elle les revend. Plus les moteurs sociaux se développeront, plus cela favorisa la tendance au conformisme, puisque la réponse qui nous sera proposée dépendra de ce que nous pensons ou aimons déjà.

L'art du référencement que développent les internautes est aussi à prendre en compte. En fonction des algorithmes de Google, les malins peuvent, par exemple, créer des sites artificiels qui pointent vers un même site pour le faire monter dans le référencement. Il y a compétition entre d'une part les grandes compagnies qui nous font de plus en plus de propositions commerciales individualisées d'après les données que nous leur confions, et d'autre part les acteurs qui luttent pour attirer l'attention. Il est aussi possible de créer de faux internautes (amis sur Google, followers sur Twitter, etc.) pour faire augmenter sa visibilité sociale comme le font des hommes politiques ou des sociétés. Un régime politique peut se créer ainsi des "partisans" (la Syrian Electronic Army, par exemple, crée de faux comptes pour soutenir Bachar al-Assad). Dans tous les cas, les enjeux de cette compétition pour attirer l'attention ou submerger l'opinion adverse sont considérables.

Google  tend à devenir le moteur social qui accumule des données ultra-détaillées sur les gens pour leur faire des propositions commerciales. Il semble difficile de le truquer pour favoriser, par exemple, les Démocrates ou les Républicains en attirant les gens vers des sites partisans. Mais qui sait pour l'avenir ? Nous faisons confiance aux réseaux sociaux pour nous recommander des sources d'information au risque de nous isoler dans des bulles politiques, culturelles ou sociales, formées de gens qui pensent globalement les mêmes choses.

On sait qu'il n'est pas forcément facile pour une entreprise d'échapper à la politisation, et que des magnats de l’information comme Rupert Murdoch ont effectivement pesé sur des résultats électoraux. Que dire donc de l’hypothèse selon laquelle les moteurs de recherche pourraient chercher à orienter les choix politiques des internautes ? Ont-ils la capacité de rester totalement neutres ?

Si tel devait être le cas, il faudrait espérer que ces pratiques soient vite révélées de l'intérieur, comme  Snowden l'a fait à propos des pratiques de la NSA espionnant des millions de gens. Rupert Murdoch et ses semblables s'achetaient de grands médias pour favorise la diffusion de leurs opinions, comme Orson Welles dans Citizen Kane. Aujourd'hui nous avons les Google news et les systèmes  qui effectuent une sélection entre un nombre énorme de sources. 

Google a des positions politiques bien connues : la société a son propre think-tank, "Google Ideas". Elle a encouragé le Printemps arabe (en particulier en Egypte), elle a pris des positions politiques par rapport à la Corée du Nord, elle est proche de l'administration Obama... De là à imaginer qu'elle sélectionne positivement les résultats...

Une censure des recherches peut s'exercer à l'égard de discours extrémistes, dits de haine. Sans défendre de tels propos, il faut s'interroger sur les demandes de censure déposées par des pays démocratiques. Les pays autoritaires pratiquant, eux, le filtrage depuis déjà longtemps. Si on confie en amont la tâche de filtrer les propos interdits (présumés racistes ou homophobes par exemple) à des logiciels utilisant les mots clefs, on ouvre la porte à toutes les censures. Et on donne des arguments aux pays qui veulent interdire le blasphème ou la critique de l'opposition.

Google l'a déjà fait dans les années 2000 en Chine dans l'espoir de gagner ce marché juteux : à la suite d'un accord entre Google et Pékin, le moteur de recherche de Chine continentale et de Hong-Kong ne donnaient pas les mêmes résultats pour les mêmes demandes en chinois ; selon le cas, en tapant par exemple, "place Tian'anmen", on voyait apparaître ou pas les images de la révolte. Après un conflit en 2010 où la société a tenté de revenir sur ces accords, au final, la Chine l'a emporté sur Google.

Si les moteurs de recherche se livraient réellement à telles manipulations, de quoi faudrait-il qualifier ces dernières ? Le fait de rétrograder volontairement des informations sans pour autant les supprimer constitue-t-il un cas de censure, de propagande... ?

Il s'agirait alors de "métapropagande" : non pas émettre un message partisan, mais agir sur les données afin que l'on trouve en premier lieu celles qui favorables à une cause en particulier :politique, sociétale... Dans un journal, un directeur de la publication fait des choix de hiérarchie des sujets, ce qui est déjà une façon d'orienter plus ou moins délibérément. Si on introduit ce principe dans les moteurs de recherche, on entre dans un système pervers, car l'internaute a l'impression d'avoir accès à toute l'information disponible de la façon la plus pluraliste.

Cette étude soulève la question du libre accès à l'information et de la possibilité donnée à chacun de se former sa propre opinion sur les choses. A l'ère du "presque-tout-numérique", où en sommes-nous ? Sommes-nous plus orientés qu'avant, ou est-ce l'inverse ?

Nous avons théoriquement le pouvoir de nous construire une information totalement à notre guise. Si nous le désirons, nous pouvons consulter des sites aussi bien pro qu'anti gouvernementaux, pro ou anti iraniens, etc. Cette possibilité n’existait guère auparavant, car personne n'allait chez le marchand de journaux acheter les publications de bords opposés ou de différents pays. La rançon de ces possibilités immenses tient au fait que nous sommes humains, à savoir paresseux et grégaires. Nous avons tendance à calquer notre pensée sur celle de nos contacts sur les réseaux sociaux, ou tout simplement de notre groupe social. Nous nous isolons dans la répétition de mêmes opinions. Si par exemple vous pensiez il a 50 ans que des extraterrestres étaient parmi nous, vous aviez du mal à rencontrer des personnes partageant semblable conviction. Aujourd'hui il vous sera aisé de trouver des forums, des sites et des ouvrages pour renforcer votre croyance initiale. C'est ce qu'on appelle le biais de confirmation. Les réseaux peuvent aussi pousser à se tourner vers les opinions les plus radicales (ce sont souvent les plus fanatiques qui sont les plus présents sur les réseaux et formatent le débat), à croire à toutes les rumeurs et à se couper des opinions divergentes.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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