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Cette question que la loi sur la sécurisation de l'emploi pose sur le rôle des juges
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Le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi est actuellement en plein débat parlementaire. Celui-ci accorde de nouveaux droits individuels et collectifs aux salariés, vise à faciliter l'accès à l'emploi et à lutter contre la précarité. Mais cette réforme de travail est loin de faire l'unanimité car, au-delà de la loi, elle invite à un débat sur le rôle du juge.

Jean Martinez

Jean Martinez

Jean Martinez est avocat au barreau de Paris. Il a pour activité le conseil et la défense d'entreprises en droit social. Dans le prolongement de son engagement professionnel, il s'efforce de contribuer au débat public sur les enjeux économiques, sociaux et sociétaux des lois sociales. Il publie régulièrement dans les revues juridiques et la presse généraliste et occupe une charge de cours à l'Université de Paris I - Panthéon Sorbonne.

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Le Parlement examine actuellement un projet de loi qui transpose un accord relatif à la sécurisation de l’emploi conclu entre le patronat et les syndicats (réforme qui subit une campagne hostile d’une partie de la majorité et de la magistrature). Les relations de travail ont ainsi cette particularité que leurs acteurs sont érigés en pré-législateurs. Depuis 2008, l’article L1 du Code du travail prévoit même que toute réforme relative au travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle doit être soumise aux partenaires sociaux avant de passer devant les assemblées.

Ce rôle éminent conduit logiquement à la question de la représentativité : si les partenaires sociaux préparent les lois du travail, c’est qu’on les croit capables de représenter le monde du travail. Or un premier chiffre vient camper le décor : 5%. Dans le secteur privé, telle est la proportion de salariés qui adhère à une organisation syndicale.

Une première explication tient au fait que l’adhésion ne conditionne pas le bénéfice des accords collectifs conclus par les syndicats. Ceux-ci s’appliquent à tous les salariés de l’entreprise (accord d’entreprise), de la branche (convention collective) ou du secteur privé (accord national interprofessionnel). Le chiffre de 5% fait ainsi bon ménage avec celui des 97% de salariés couverts par une convention collective.

Une autre explication tient à l’étrange mode de reconnaissance de la représentativité syndicale qui a prévalu de 1966 à 2008, consistant à présumer éternellement représentatifs les cinq grandes confédérations syndicales énumérées par un antique arrêté gaullien (CGT, FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC). Seuls les nouveaux entrants du marché syndical (l’UNSA, SUD, la CNT…) étaient tenus de prouver leur représentativité, les autres pouvaient se reposer sur l’arrêté.

C’est à ce deuxième facteur que le législateur s’est attaqué par la loi du 20 août 2008, en fondant désormais la représentativité sur une série de critères incluant les effectifs d’adhérents et l’audience électorale. Pour avoir le droit de négocier des accords, les syndicats doivent ainsi conquérir leur représentativité, notamment par le score électoral. Le score minimal requis a été décliné pour chaque étage de la négociation collective. Au niveau de l’entreprise, le score exigé est de 10% des suffrages exprimés aux élections du comité d’entreprise. Au niveau des branches et au niveau interprofessionnel, le score exigé est de 8% et résulte de la consolidation des résultats recueillis dans les entreprises pendant une période de cinq ans (2008-2013). Le Ministère du travail vient justement de publier le 29 mars 2013 les scores obtenus par les différents syndicats de salariés dans chaque branche et au niveau interprofessionnel.

Que nous disent ces résultats ? Qu’au niveau interprofessionnel, le club des cinq a rempilé pour un tour supplémentaire, à l’exclusion de tout impétrant. On prend les mêmes et on recommence. L’UNSA, SUD et la CNT sont en dessous de 8% et restent donc, au niveau national, en dehors du club des négociateurs. A l’intérieur du cercle des élus, La CGT affiche 30,62%, la CFDT la talonne à 29,74%, FO recule à 18,23%, la CFE-CGC, syndicat de cadres, se maintient à 10,78% et la CFTC, avec 10,63%, dément les augures qui la promettaient à une mort certaine par désaffection électorale.

Quelle est l’incidence de ces résultats dans le contexte actuel ? Revenons à notre projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi. Le score électoral ne sert pas seulement à qualifier les acteurs de la négociation collective, il permet aussi de déterminer l’entrée en vigueur des accords collectifs. Pour qu’un accord soit valablement conclu, il faut que le ou les syndicats signataires représentent un score électoral d’au moins 30% (sauf opposition d’un ou plusieurs syndicats pesant 50%).

Qu’en est-il pour L’ANI ? Il a été signé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. La CGT et FO l’ont rejeté en tant que « recul social majeur » et lui livrent une guerre féroce. Juridiquement, cet accord n’était pas encore soumis à une règle de majorité en nombre de voix à la date où il a été conclu, mais politiquement, les non-signataires n’ont pas manqué de contester la représentativité des signataires afin d’encourager l’aile gauche de la majorité à retoucher le texte. Cette tactique s’est heurtée à la vérité des chiffres : 29,74 + 10,78 + 10,63 = 51,15%, l’ANI est un accord majoritaire.

Quelle est la rançon de cette légitimité ? Elle est incertaine. Premièrement, le Parlement n’a pas entièrement respecté l’esprit de compromis résultant de l’ANI. Deuxièmement, il faut s’attendre à un 3eround de contestation, dont on entrevoit déjà qu’il aura lieu dans les tribunaux. Toute négociée et votée qu’elle soit, la loi sur la sécurisation de l’emploi pourra être démantibulée dans les tribunaux, comme en son temps le contrat nouvelles embauches et de nombreux autres dispositifs par lequel le législateur a tenté d’introduire de la sécurité ou de la flexibilité au profit des entreprises. Au-delà de la loi, la réforme du droit du travail invite à un débat sur le rôle du juge. Cette invitation mérite-t-elle sa place sur le mur des cons ?

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