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Scandale Dexia : l'histoire d'une banque boulimique devenue obèse
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Bonnes feuilles

L’auteur Alain Piffaretti enquête sur la plus grosse faillite bancaire européenne. Extrait du livre "Le scandale Dexia". (1/2)

Une réalité est difficilement contestable : d’accord ou pas, Miller a validé officiellement une stratégie globale de croissance du bilan. En septembre 2006, l’administrateur délégué de Dexia présente officiellement le plan stratégique 2006- 2009. Ce plan triennal déroule des objectifs ambitieux : 15%de rendements sur fonds propres et 10 % de croissance par an des dividendes attendus entre 2005 et 2009 ; renforcement de la présence de Dexia en Europe et aux États-Unis et développement de nouveaux marchés dans des pays au potentiel de croissance élevé (Japon, Mexique, Canada, Turquie) ; croissance équilibrée entre banque du secteur public et banque de dépôt…; enfin rappel du critère-clé pour assurer toutes ces ambitions : continuer à être noté AAA par les agences.

Les lignes de développement détaillées dans ce plan sont un copié-collé d’un rapport commandé par Axel Miller au cabinet de consultants McKinsey. L’ordre de mission des conseillers était d’établir une radiographie du groupe et des préconisations de développement. Miller précise bien volontiers les motivations qui l’ont poussé à recourir à McKinsey : « Avec Luc Onclin, lorsque j’étais à Dexia Banque Belgique, nous nous demandions quel était le secret du « premier métier » (financement des collectivités locales) chez Dexia Crédit local. On a un rendement sur fonds propres de 20%… et cette recette n’est imitée par personne ! En 2006, j’ai décidé d’aller voir sous le capot et de demander un audit à McKinsey. C’est à cette occasion que l’on a découvert notamment un incroyable déficit d’instrument de gestion. »

L’intention n’est pas mauvaise. Le nouveau patron de Dexia, conscient de la balkanisation du groupe, ressent l’urgence de passer toutes les différentes composantes au laser. Le rapport McKinsey va d’ailleurs parfaitement identifier les faiblesses génétiques du groupe: refinancement de plus en plus important sur les marchés, fossé (gap) croissant entre la durée des actifs et celle des passifs et… rentabilité très forte du « pre-mier métier » grâce à une politique délibérée de « touillage » de l’encours de la dette… Le rapport dresse même une conclusion inquiétante : en raison de la pression sur les marges, pour maintenir la rentabilité du modèle adopté, il va falloir augmenter fortement les volumes. Ce qui signifie accroître considérablement d’ici dix ans les refinancements extérieurs (d’environ 50 %); et tout particulièrement ceux à court terme. Selon McKinsey, le besoin de liquidités devrait représenter 45 % du bilan total en 2015.

Mais, pourquoi, alors qu’il a touché du doigt la fragilité du groupe, le rapport conseille finalement de poursuivre sur une voie proche, en prenant autant, voire plus, de risques ? Page après page, le cabinet dégage quatre formules censées être gagnantes : recours accru à l’ingénierie financière et aux produits structurés; augmentation de la taille du portefeuille obligataire ; croissance à l’international dans les pays émergents : à la fois dans le financement du secteur public et dans la banque de détail ; développement de FSA.

Ainsi, de façon assez paradoxale, le rapport commandé pour mettre de l’ordre dans la maison va, alors même qu’il a identifié les principaux problèmes, essentiellement contribuer à apporter de l’eau au moulin de ceux qui veulent renforcer la politique d’expansion débridée. Un proche de Miller à Dexia tente une explication: « Axel a effectivement eu des propos virils expliquant qu’il fallait prendre plus de risques. Il était enthousiasmé par un grand exercice stratégique et par la volonté de grossir. Mais cela n’enlève rien au fait que les entités, tout particulièrement le “premier métier » (financement du secteur public), aux mains de Deletré, était un Étatdans l’État. Et il faut se remettre à l’époque. Tous les groupes bancaires devenaient complètement “fous” en visant des rendements sur fonds propres de 16-17 %. »

Les années 2000 ont effectivement représenté, pour l’ensemble du monde bancaire, une période de concentration et de croissance rapide des bilans. Dans ce sens, Dexia n’est pas un modèle à part. Mais, le groupe bancaire va aller plus loin, et de façon beaucoup plus risquée, incarnant ainsi tous les excès de cette époque. Cette fuite en avant, entamée dès le début des années 2000, s’accentuera durant toute la période 2005-2008.

L’ensemble du bilan du groupe, déjà considérable, va continuer d’exploser, passant de 508 milliards d’euros à 651 milliards (il était passé de 388 milliards à 508 entre 2002 et 2005). Parallèlement les besoins en financements à court terme grimpent jusqu’à peser 265 milliards d’euros, soit 40 % du bilan.

La boulimie du début des années 2000 ne faiblit donc pas ; seules les méthodes évoluent. Avant 2005, l’expansion s’est faite essentiellement en mettant (chèrement) la main sur des établissements, européens et américains ; et en gonflant le volume des prêts au secteur public. L’encours de ces crédits aux collectivités locales est passé, entre 2001 et 2005, de 150 milliards d’euros à 241 milliards. Cette position de leader mondial du financement public local qui s’est construite par le biais des grandes opérations de fusion-acquisition emblématiques ou de l’installation de différentes succursales a déjà permis au groupe d’être présent en 2005 dans une trentaine de pays, notamment aux États-Unis, Grande-Bretagne, Autriche, Irlande, Italie, Portugal, Espagne, Slovaquie,Roumanie, Pologne, Pays-Bas, Allemagne, Scandinavie, Israël, Canada, Australie… Et déjà quelques portefeuilles de prêts sont achetés, via des brokers, sans activité commerciale.

 Extrait de "Le scandale Dexia" (Nouveau Monde édition), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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