Comment redonner aux riches le goût de participer à l'effort national (plutôt que de les punir quand ils fuient)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du gouvernement ont été critiqués parce qu’ils étaient millionnaires.
Des membres du gouvernement ont été critiqués parce qu’ils étaient millionnaires.
©Reuters

Fighting spirit

Ministres critiqués en raison de leur patrimoine, imposition toujours plus forte et loi Tépa progressivement démontée : comment faire pour que les riches aient de nouveau envie de prendre part à l'effort national ?

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Deslol est avocat fiscaliste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscale, IREF, essayiste dont le dernier ouvrage est Civilisation et libre arbitre paru en 2022 cher Desclée de Brouwer.

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Atlantico : Suite à la déclaration obligée de leur patrimoine, certains membres du gouvernement ont fait l’objet de critiques parce qu’ils étaient millionnaires. Comment expliquer ce mépris traditionnel à l'égard des riches ?

Jean-Philippe Delsol : Pourquoi les Français, de manière ancienne et permanente, n’aiment pas les riches ? Pourquoi ont-il élu un Président qui avait déclaré « Je n’aime pas les riches » ? Pourquoi cette coupure en France alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays ? L’Etat y est pour quelque chose, car environ la moitié de la population vit de ses subsides. Il dépense 56% du revenu national, il est donc logique que la moitié de la population vive plus ou moins de l’argent qui passe par lui. Ces gens considèrent en fait que la norme n’est pas de s’enrichir soi-même, d’être maître de son destin, de s’appauvrir ou de s’enrichir, mais d’attendre, de tendre la main.

Étant majoritaires, ils dénigrent les autres. 22% des employés sont fonctionnaires, contre 15% seulement en Allemagne. Il y a également une grande partie des salariés des associations (1,5 millions) qui vivent plus ou moins de subsides de l’Etat ou de collectivités publiques. Il y a aussi une partie des agriculteurs – de moins en moins d’ailleurs, car les choses s’améliorent – qui pour beaucoup considèrent qu’il est normal d’être payé pour entretenir les champs, et non pour nourrir. Il y a aussi les chômeurs, dont on dit qu’ils sont 3 millions, alors qu’en réalité 5 millions vivent partiellement ou totalement d’allocations chômage. Il s’agit d’argent qui n’est plus privé.

On en arrive à se focaliser sur le problème de la richesse alors que c’est la circulation de cette dernière qui est importante. On est en train de la figer. Une taxe à 75%, avec des impôts de succession élevés, empêche les gens de s’enrichir. Alors que l’important est que les gens puissent s’enrichir, et s’appauvrir s’ils ne réussissent pas. Tout le contraire des Etats-Unis, où l’on constate un renouvellement des riches et une circulation de la richesse beaucoup plus grands qu’en France.

La loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (loi Tépa, 2007) a progressivement été démontée. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

La loi Tépa était un grand pas dans le bon sens – imparfaite, mais qu’est-ce qui est parfait ? – que Nicolas Sarkozy lui-même a malheureusement commencé à détruire, et que François Hollande est en train d’achever. Le but était de faciliter la transmission entre les générations pour justement permettre aux jeunes générations d’avoir de quoi entreprendre (ce qui a fonctionné), et de réduire les charges sociales sur ceux qui travaillaient plus (ce qui a aussi marché). Deux ans plus tard, au prétexte de la crise, on a décidé de reprendre d’une main ce qu’on avait donné de l’autre, et même d'en reprendre un peu plus en accroissant les prélèvements.

On a fait exactement l’inverse de qu’il aurait fallu faire. Aujourd’hui on nous dit que l’austérité va pénaliser la croissance. L’austérité à la française, c’est-à-dire par les impôts, par l’accroissement des charges qui pèsent sur ceux qui entreprennent, va évidemment atteindre la croissance. On en a la preuve : la croissance a été en panne en 2012 et en 2013. Cela continuera tant qu’on n’aura pas compris qu’il faut inverser la machine, c’est-à-dire qu’il faut en réalité non pas pratiquer l’austérité par l’augmentation des impôts, mais l’austérité par la baisse des dépenses publiques, et par une baisse un peu moindre des prélèvements, de telle façon qu’on arrive à rembourser la dette. Non seulement on ne la rembourse pas, mais on l’accroît chaque année. On dit toujours que « demain on rase gratis » : ce serait en 2015 que nous atteindrons les 3%. Chaque année, une année de plus ! On n’y parviendra jamais de cette façon-là.

Je pense au contraire, tout comme la loi Tépa l’envisageait, qu'il faut libérer l’initiative, alléger le sort de ceux qui entreprennent. Prenons l’exemple de ce qui est en train de se passer pour les auto-entrepreneurs. C’était une très belle réforme, même si ce n’était pas grand-chose, et même si beaucoup n’ont pas vraiment entrepris. Mais parmi les plus d’un million d’auto-entrepreneurs qui se sont déclarés, une partie d’entre eux a pu mettre le pied à l’étrier. Ils ont utilisé cette modalité pour s’engager dans la vie active de manière indépendante, prendre un risque. On ne peut pas le faire aussi facilement lorsqu’il faut suivre les arcanes habituels de la constitution d’une société ou de la déclaration d’une entreprise artisanale ou commerciale. Au surplus, on avait finalement instauré une sorte de taxe globale sociale et fiscale pour ceux qui étaient dans ce régime, avec des taux de 20 à 30%.

On vient tout simplement de tripler les cotisations sociales des auto-entrepreneurs, pour les mettre soi-disant au niveau des artisans. En réalité on va détruire le système. Qui est coupable ? Pas seulement l’Etat socialiste, mais aussi les artisans eux-mêmes, qui depuis l’institution du statut de l’auto-entreprise n’avaient de cesse de dénoncer le fait que les auto-entrepreneurs payaient moins qu’eux. Au lieu de demander à payer autant que les auto-entrepreneurs, ils ont demandé la suppression de ces derniers.

Il y a dans la haine des riches cette jalousie congénitale du Français à l’égard des autres. A l’inverse des Etats-Unis, où l’on se réjouit et s’inspire de la réussite des autres.

La relance économique doit-elle se faire hors de l’Etat ?

Il ne faut pas supprimer l’Etat. Il faut simplement que celui-ci retrouve tous ses pouvoirs dans les domaines régaliens, qu’il s’assure que personne ne soit totalement laissé sur le bord de la route. Mais on a pris en France l’habitude de trop donner à trop de gens, de telle façon qu’on les a entretenus dans l’attitude de la main tendue. Pour faire cela on a été obligé de prendre de plus en plus à de moins en moins de gens. On est dans un cercle vicieux : plus on prend aux riches, moins le produit de l’impôt est élevé.

Ne serait-ce que la taxe Tobin à la française, instaurée il y a à peu près un an, dont on espérait qu’elle rapporterait entre 1,2 et 1,5 milliard : on a sans doute gagné en 2012 entre 300 et 600 millions, donc a minima 2 à 3 fois moins. Il en va de même pour beaucoup d’autres taxes. On a par exemple augmenté les charges sociales sur les employés de maison. D’ores et déjà, on constate une baisse du volume des sommes payées à ces employés, et donc une baisse relative du produit de la taxe. A trop augmenter les taxes, on baisse le produit de celles-ci.

L’Etat doit se désinvestir en partie car un euro investi par le privé est plus productif en croissance que l’euro qu’a prélevé l’Etat. Ce dernier en dépensera une bonne partie de façon improductive dans des circuits bureaucratiques.

Quelles-sont les mesures à prendre concrètement pour que les riches prennent de nouveau part à l’effort national ?

Il faut un impôt sur le revenu qui soit le même pour tous en proportion, et qui soit donc beaucoup plus rentable et beaucoup plus juste, et la suppression de l’ISF, qui en réalité coûte probablement plus qu’il ne rapporte.

Il faut doubler cela de mesures extrêmement fortes en termes d’engagement de l’Etat pour que la fiscalité se stabilise. Si beaucoup d’entrepreneurs mettent leurs revenus au Luxembourg, ce n’est pas tant pour le taux de l’impôt (qui était quasiment identique à celui de la France il n’y a pas si longtemps) que pour sa stabilité. Les taux d’imposition des holdings françaises changent tous les ans, parfois plusieurs fois, tandis que le régime d’imposition des holdings luxembourgeoises est inchangé depuis 1990.  

Propos recueillis par Gilles Boutin

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