"Offshore leaks" : à défaut de pouvoir empêcher l'évasion fiscale, comment faire passer l'envie d'y recourir<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment faire passer l'envie de recourir à l'évasion fiscale?
Comment faire passer l'envie de recourir à l'évasion fiscale?
©REUTERS/Stefan Wermuth

Le supplice de Sisyphe

L'affaire du "Offshore Leaks" est une nouvelle démonstration de l'inefficacité, volontaire ou pas, de la lutte des Etats contre les différentes formes d'évasions fiscales. Peut-être serait-il intéressant de se demander comment donner envie de garder ses capitaux en France plutôt que de traquer les évasions.

Pierre  Lascoumes et Philippe Dominati

Pierre Lascoumes et Philippe Dominati

Pierre Lascoumes est juriste et sociologue. Il est directeur de recherche au CNRS. Il a notamment contribué aux études le capitalisme clandestin et les sentinelles de l'argent sale.

Philippe Dominati est sénateur UMP de Paris. Il est également président de la Commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

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Atlantico :Le « Offshore leaks », qui suit de très près l’affaire Cahuzac, nous montre qu'après des années de lutte contre l’évasion fiscale celle-ci est toujours aussi présente. Est-il structurellement chimérique de lutter contre certains types de fraudes et lesquelles ?

Pierre Lascoumes : Ce qu’il faut avant tout comprendre est que tout ce qui a été mis en place ces dernières années dans la lutte contre la fraude fiscale est essentiellement des mesures de façade, que ce soit dans l’OCDE ou ensuite dans chaque pays. On s’est en fait très peu préoccupé de savoir ce qu’il se passait réellement dans les banques et les autres intermédiaires financiers. Ces derniers, qui permettent aux particuliers de défiscaliser ou aux entreprises de retenir des sommes à l’étranger, n’ont jamais été réellement régulés. Ainsi, même monsieur tout le monde, qui voudrait, en se renseignant un peu via des services de patrimoine au Luxembourg ou en Suisse,  faire disparaître du circuit financier de l’or familial pourrait le faire sans le moindre problème.

Ce que l’on constate dans tout cela n’est que le résultat de la mondialisation de l’économie et des grandes firmes qui ne sont pas territorialisées. Elles ont donc toute la liberté de répartir les capitaux comme elles le veulent. Même aux Etats-Unis où le contrôle est assez strict, en tous cas à un niveau bien précis, il n’a jamais été possible de tout empêcher. L’organisation des firmes fait qu’il ne s’agit même pas de fraude mais d’évasion. Au niveau des particuliers, l’une des techniques les plus courantes consiste à ce qu’une banque accorde un prêt sur une somme exilée qui donnera donc accès à une somme ici en France dont l’origine est frauduleuse. Derrière cela, existe aussi une technique inventée par les Luxembourgeois qui prend la forme de sociétés qui, comme des fondations, gèrent les fonds à votre place. Il suffit pour cela de placer ses lingots en Autriche ou ailleurs. Avec cet argent, est créé une société dans laquelle personne n’apparaît et qui est gérée par des financiers ou équivalents qui évidemment agissent sur ordres sans que cela ne puisse être tracé. Ainsi, dans la lutte contre le blanchiment et la fraude, on a toujours voulu interdire ce genre d’établissement mais personne ne l’a jamais fait. Il n’y a jamais eu de vraie volonté politique pour les mettre au pas. Cela pose en effet certains problèmes techniques comme l’impossibilité de supprimer des fonds dont on ne connait pas le donneur d’ordres. Au-delà de la fiscalité, il y a des places qui permettent à certaines sociétés de réaliser des opérations risquées comme on engagerait des assassins pour exécuter les basses de la police sans impliquer l’Etat.  

Philippe Dominati : Le principe de la fraude est toujours le même, d’une part l’Etat et le législateur essaie de récupérer des recettes et le fraudeur trouve des moyens de s’y soustraire. Je veux dire par là que c’est la métaphore de la balle et de l’armure, l’une se développe toujours en fonction de l’autre et la fraude fiscale existe toujours en partie. Ce qui est vrai malgré tout, c’est que depuis le début de la croise, il y a eu une prise de conscience à ce propos des Etats Unis et de l’Europe, qui se développent des moyens de lutte sur le plan international et dont on commence à ressentir les effets.

La fraude fiscale concerne le plus souvent et l’entreprise et dans notre pays la plus connue des pratiques est celle autour de la TVA. Cela prend donc pied dans le commerce international à travers des techniques de plus en plus sophistiquées dans un nombre de paradis fiscaux de plus en plus limités. Il convient donc de se focaliser sur paradis fiscal et de prendre un certain nombre de mesures de rétorsion économique pour que le pays en question annonce un retour à la normalité. Chypre nous a montré comment l’opinion publique réagit émotionnellement sur la saisie des comptes en banques mais personne ne s’est ému du fait que Chypre ait eu des actifs huit fois supérieurs à son PIB. L’Union Européenne a donc voulu agir afin que Chypre essaie de retrouver l’économie réelle et arrête de faire de la fraude fiscale. Ce que notre commission a cependant constaté est qu’il faut bien distinguer la fraude fiscale et l’optimisation fiscale qui n’est autre que de la concurrence fiscale, le fait qu’un pays puisse assurer ses fonctions régaliennes avec des prélèvements obligatoires plus faibles que son voisin. Il ne faut donc pas confondre ces deux choses qui amènent parfois les gens ou les entreprises à être taxées d’évasion fiscales alors qu’elles ne font que faire correspondre une augmentation de la pression fiscale à une possibilité légale de déplacer des capitaux.

Dans quelle mesure la nécessité de paradis fiscaux pour certaines entreprises limite-t-elle la volonté politique à lutter contre ?

Pierre Lascoumes : C’est effectivement souvent le besoin des entreprises nationales qui poussent les Etats à ne pas se débarrasser des paradis fiscaux avec plus de vigueur. Cela dit, comme nous l’avions montré dans « Le capitalisme clandestin », il arrive que les Etats eux-mêmes se servent de ce genre d’opérations. L’un des exemples les plus récents de l’utilisation de ce processus est la gestion des dettes du crédit lyonnais dont on s’est débarrassé par le biais de structures plus douces et plus souples. Les Américains ont également très souvent utilisé cette méthode.

Philippe Dominati : C’est à cause de ce manque de volonté que l’on se retrouve face à des décisions un peu brutales comme celles autour de Chypre.

Au-delà de la question des entreprises, qu’est-ce qui peut pousser des « bons citoyens » à franchir la ligne rouge de la fraude fiscale ? Existe-t-il une limite claire de tolérance à la pression fiscale ?

Pierre Lascoumes : La France, contrairement à ce que l’on pense souvent, fait partie des pays dans lesquels la tolérance à la fraude fiscale est la plus élevée. Nous sommes au niveau de l’Autriche voire de la Grèce ou de l’Italie sur certaines questions. Toutes les enquêtes qui ont été faites confirment cela. Les Français ont un rapport ambivalent à l’impôt. Comme le met en avant Nicolas Delalande, il y a toujours eu une dimension controversée de l’impôt qui vient de la méfiance quant à ce que paie le voisin. Ainsi, les Français ont toujours l’impression, par ce qu’ils observent, qu’ils paient plus que les autres. Il s’agit donc plutôt d’une question de perception que de pression fiscale. Il est bien évident malgré tout que dans un contexte économique favorable, l’import même à un niveau élevé est acceptable. A ‘inverse, la moindre augmentation en temps de crise est perçue comme une violence.

Philippe Dominati : La seule véritable réponse est la pression fiscale. Prenons l’exemple des emplois à domicile que le gouvernement précédent avait fiscalisé de manière particulière. C’est un secteur dans lequel, il est très facile de créer du travail au noir et dans lequel une fiscalité limitée permet de faire rentrer dans le rang de nombreuses personnes qui n’en sont sorties qu’à cause de la pression fiscale insoutenable. Quand le sentiment d’iniquité se fait sentir, les citoyens sont naturellement poussés vers la fraude. Tout citoyen, pour des raisons différentes, possède un seuil de ras-le-bol au-delà duquel on chercher des solutions qui ne sont pas celles de la fiscalité usuelle. Notre pays doit d’urgence s’adapter à la fiscalité de nos voisins car tant que ce n’est pas le cas, il y aura d’autant moins de pouvoir d’achat pour nos concitoyens et d’autant moins de compétitivité pour nos entreprises. Des quatre grands pays qui nous entourent, RU, Allemagne, Espagne et Italie, nous sommes ceux qui subissent la plus lourde fiscalité et cela se ressent sur le reste de l’économie. Et c’est là qu’intervient la fraude. Lorsque le premier ministre britannique propose un impôt sur les sociétés à 20%, il n’est pas possible de lutter contre la tentation pour une entreprise qui fait de l’importation d’avoir une filiale en Angleterre.

Plutôt que de s'épuiser à lutter contre les fraudes quand elles se produisent, ne pourrions-nous pas agir sur les facteurs, éducationnels et juridiques, qui les encouragent ?

Pierre Lascoumes : Il est effectivement très important sur le plan pédagogique de bien expliquer ce à quoi servent les impôts, il faut les matérialiser. Il faut également prendre des mesures contre les Français qui exploitent le système en vivant dans des pays qui possède une fiscalité moins lourde et qui reviennent se faire soigner en France. C’est cette logique-là qui construit la base du sentiment de frustration des Français quant à leurs impôts et ce pour quoi ils les paient. L’un des grands échecs des socialistes pour l’instant est le fait de ne pas encore avoir réussi à mettre à plat le code des impôts qui permet aux fiscalistes, aux personnes les plus aisées et aux entreprises de passer entre les mailles du filet fiscal. Pour rendre l’impôt acceptable, il faut le rendre homogène.

Philippe Dominati : Il est évident qu’il ne peut y avoir un Etat fort sans recette mais les Français ont l’impression que l’argent public est très mal dépensé. Et ils n’ont pas besoin d’avoir fait de grandes études pour s’en apercevoir puisqu’il suffit de regarder l’organisation de notre pays pour le comprendre. Le premier des exemples est la structures des diverses collectivités territoriales qui s’entassent les unes sur les autres. Si l’on prend l’exemple de Paris, il y a d’abord l’arrondissement, les syndicats intercommunaux spécialisés, la région, l’Etat, puis l’Europe. Le président Sarkozy a essayé de simplifier tout cela mais tout a été abrogé. Il n’y a d’ailleurs pas un film français qui soit subventionné par au moins collectivités territoriales – sans parler du CNC. L’Etat montre qu’il dépense plus que ce qu’il engrange et surtout le fait de manière peu judicieuse. Je crois donc que le défi de l’opposition sera de démontrer que si elle revient au pouvoir elle changera de conception en réduisant le périmètre de l’Etat. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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