La création du Haut conseil des finances publiques viendra-t-elle mettre fin aux dérives budgétaires en tout genre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), créé pour prévenir tout dérapage des comptes publics, a été officiellement installé jeudi.
Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), créé pour prévenir tout dérapage des comptes publics, a été officiellement installé jeudi.
©Flickr / Images_of_Money

Outil salvateur

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), créé pour prévenir tout dérapage des comptes publics, a été officiellement installé jeudi sous la présidence de Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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En date du 21 Mars, une nouvelle entité administrative indépendante a vu le jour : il s'agit du Haut Conseil des finances publiques que préside le premier président de la Cour des comptes, Monsieur Didier Migaud.

Trois questions sont à examiner suite à cette irruption dans le paysage administratif français : tout d'abord, quel est son rôle ? Puis, quelles seront les modalités de son action future ? Enfin, que faut-il retenir de sa composition et de son influence sur les objectifs poursuivis ?

Vers une meilleure maîtrise des évolutions des finances publiques

Le Haut Conseil des finances publiques ( HCFP ) est issu du fameux TSCG : le Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qui avait essentiellement été négocié par le binôme Angela Merkel / Nicolas Sarkozy avant d'être adopté – sans changement – par la nouvelle majorité parlementaire. Juridiquement, le HCFP est issu de la loi organique ( N°2012-1403 ) du 17 décembre 2012 relative à " la programmation et à la gouvernance des finances publiques " et du décret ( N° 2013-144 ) du 18 février 2013.

Sa première fonction consiste à statuer sur la "cohérence" des textes émis par le Gouvernement ( projets de lois de finances, de financement de la sécurité sociale et surtout de programmation des finances publiques ) au regard de la pierre angulaire qui justifie son existence : la notion de trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques.

Concrètement cela veut dire que le HCFP aura vocation à se prononcer sur le caractère réaliste (ou non) de la prévision de croissance du Produit intérieur brut (PIB) qui sous-tend une large part de l'édifice de planification budgétaire. Chacun garde en mémoire l'attachement du Gouvernement à la prévision de 0,8% de croissance du PIB en 2013, qui était pourtant démentie par le consensus de place depuis octobre dernier. Autrement dit, par un avis motivé, le HCFP a un rôle très significatif au regard de la sincérité des prévisions qui accompagnent tout travail budgétaire gouvernemental. A côté de la prévision de croissance, le HCFP est compétent pour examiner les perspectives de dépenses ( notion de solde structurel ) ainsi que celles concernant les recettes.

Dans l'hypothèse d'une divergence d'analyse entre les textes gouvernementaux et le fruit des réflexions du HCFP, celui-ci pourra recourir à un "mécanisme de correction automatique" qui devra conduire le Gouvernement à effectuer les corrections requises.

Au plan institutionnel, le Haut Conseil des finances publiques peut se révéler être un outil puissant et crédible et aider ainsi notre pays à cheminer positivement vers une meilleure maîtrise des évolutions des finances publiques.

Les modalités de l'action future du HCFP

Tout d'abord, elles sont placées sous le signe de l'urgence. Ainsi, il a été officiellement confirmé que le Haut Conseil émettra son premier avis dès le 15 avril afin d'éclairer la révision du "programme de stabilité" que le Gouvernement va présenter devant le Parlement et qui concerne la période 2013-2017. Moins d'un mois après son installation, nous saurons si le Haut Conseil est de nature accommodante telle une énième paillette technocratique ou s'il inscrit son action dans une rectitude intellectuelle qui ne manquera pas de compliquer de facto la tâche du nouveau ministre du Budget, Monsieur Bernard Cazeneuve.

Rappelons que ce "programme de stabilité" doit ensuite être transmis à la Commission européenne pour un test de crédibilité voire pour une sorte de verdict au regard de nos engagements : règle de 3% des déficits publics.

Que la situation impose l'urgence relève du bon sens au regard de la conjoncture et de la croissance atone. Ce qui est moins pertinent – et même clairement regrettable – c'est la rédaction de l'article 15 (alinéa 3) de la loi organique du 17 décembre dernier qui énonce que le HCFP "ne peut délibérer ni publier d'avis dans d'autres cas ou sur d'autres sujets que ceux prévus par la présente loi organique". En science administrative, cela s'appelle une définition stricte de compétences. En langage quotidien, cela s'appelle brider une institution voire lui apposer une muselière non virtuelle.

En effet, pour tout connaisseur des finances publiques  comme le fût l'éminent professeur Pierre Lalumière – il apparaît que la matière est évolutive et que le HCFP n'aura que peu de marge de manœuvre à titre anticipatrice et qu'il aura davantage une mission de mise en perspective et une quête de cohérence alors qu'il n'aurait pas été dénué de sens de lui confier une tâche d'émetteur de données. Conformément à l'article 12 de la loi organique précitée, le Haut Conseil rendra ses avis en intégrant des prévisions de différents organismes dont il établira et publiera la liste. Soit. Mais selon quel panachage intrinsèque ? Selon quel type de paramètres ? Ce ne sont pas deux questions, ce sont ici deux interpellations voire deux suppliques car la sagacité des membres nommés au HCFP pourrait se trouver, là, prise en défaut.

Dans une audition parlementaire, un membre du HCFP a indiqué qu'il ne s'agissait pas de "rebâtir toute la trajectoire du PIB potentiel" mais "davantage de mettre l'accent sur les hypothèses et les analyses". Cette formulation est porteuse d'inquiétudes car il y a longtemps que la DGFIP (Direction générale des finances publiques) sait réaliser cette tâche et n'a pas toujours été entendue par les pouvoirs exécutifs successifs...

L'action future du HCFP sera mesurée à l'aune du contenu des avis publics et chacun aura rapidement une idée du rang de légitimité que le Haut Conseil se fixe à lui-même. Lui seul sera d'ailleurs à même d'en juger puisqu'il est précisé que ces délibérations ne seront pas rendues publiques ne serait-ce que sous une forme simplifiée et "convenable". Décidément, le législateur a eu une rédaction précise où la muselière n'est jamais loin. Hélas, trois fois hélas en comparaison avec les travaux préparatoires du Sénat américain.

Outil crédible voire salvateur ?

La non-publication finement relue (au préalable) des délibérations, l'absence de rôle d'institution ayant un pleine dimension préventive (voir comité d'alerte de l'Ondam, Objectif national des dépenses d'assurance maladie ), le champ strictement délimité des compétences sont des récifs qui se dressent face à la bonne volonté des membres du HCFP.

L'outil qui pourrait être crédible parviendra-t-il à franchir ces obstacles : la question est posée.

Pour terminer cet éclairage sur la naissance de cette entité, il faut s'interroger sur sa composition car comme l'a écrit, maintes fois, le Doyen constitutionnaliste Georges Vedel : "les institutions sont ce que les hommes en font".

Dix personnes de fort calibre composent le Haut Conseil : quatre sont des magistrats en activité à la Cour des comptes (auxquels s'ajoute le Président Migaud), trois sont des professeurs d'économie (Messieurs Pisani-Ferry, Aglietta, Dessertine) et deux sont des économistes de banque techniquement reconnues et médiatiquement visualisables (Mesdames Mathilde Lemoine et Marguerite Bérard-Andrieu).

Les magistrats sont nommés directement par le Premier président Migaud, hors de toute décision collégiale. Les autres membres sont nommés par les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental. Le dixième membre siège de droit : il s'agit du Directeur général de l'Insee.

Dans la mesure où ses membres ne percevront pas de rémunérations spécifiques et qu'ils conserveront leurs positions professionnelles, plusieurs questions surgissent de cette curiosité textuelle. Tout d'abord le risque de conflit d'intérêts pour ceux des membres qui ont une subordination salariale. Puis le risque d'autocensure complexe à gérer. Les archives de la chaîne Public Sénat contiennent un vif échange en 2008 entre Philippe Dessertine et Marc Ladreit de Lacharrière (actionnaire de référence de l'agence de notation Fitch). Le premier reprochait à son interlocuteur – avec la fougue maîtrisée qu'on lui connait – de sous-estimer l'ampleur de la crise. Ce qui fût vrai lors de cet échange musclé au cours de la Bibliothèque Médicis sera-t-il désormais possible au Professeur Dessertine lorsqu'il développe ses analyses, par exemple, chez Yves Calvi (C dans l'air) ? Autrement dit, quelle est la portée sérieuse du secret des délibérations si la moitié des membres peuvent, par ailleurs, faire connaître publiquement leurs positions ? De manière explicite ou subtilement implicite !

Nous avons – et le confirmons ici – un respect de principe quant aux parcours professionnels et quant aux personnes devenues membres du HCFP. Toutefois, ce respect ne saurait priver de la lucidité d'un triple constat.

Premier point, il n'y a aucun représentant d'un organisme respectable et apporteur d'idées : l'Enfip (Ecole nationale des finances publiques).

Deuxième point, il nous aurait paru pertinent que le Haut Conseil compte parmi son collège un membre fin connaisseur des techniques budgétaires et reconnu pour ses capacités de lucidité de gestion publique. Nous songeons à l'efficace Gérard Mestrallet, président de Suez, redresseur de la Société Générale de Belgique et ancien du cabinet de Jacques Delors.

Troisième point encore plus vital : il n'y a aucun représentant de l'Administration territoriale. Autrement dit aucun membre ne maîtrisant la double dimension opérationnelle et territoriale des collectivités et de l'Etat et de la matérialité de ses dépenses. Selon notre analyse sérieusement revendiquée, il n'aurait pas été dénué de pertinence et d'opportunité technique de nommer un Préfet à compétence financière ou un Trésorier-Payeur-Général.

Dans notre esprit, le Haut Conseil aurait eu un côté moins endogamique si quelqu'un comme feu Claudius Brosse ou comme le respecté Jean-Claude Aurousseau (l'un et l'autre respectivement Préfet de région puis TPG) avait rejoint la jeune institution.

Des fonctionnaires de ce rang savent là où se nichent les gaspillages. Or la Fondation iFRAP, dans une note récente, "attend du HCFP.../... qu'il interagisse avec la Cour des comptes pour alerter l'opinion en cas de dérive des comptes publics". Des fonctionnaires de ce niveau savent ce qu'est le contenu, in vivo, du dossier Dexia pour les finances publiques et son coût mensuel actuel....

Ce manque d'ouverture sur les hommes et les femmes qui sont dans les 50 premiers maillons territoriaux de notre Etat est un manque qui va altérer la créativité – voire une certaine lucidité du Haut Conseil – et risque de le plonger dans un bain intellectuel digne de la pensée du philosophe Johann Fichte : celui-ci prétendait déduire de la seule idée du moi l'ensemble de la réalité.

Compte-tenu de la violence de la conjoncture, nous saurons sous un semestre, quel cap a décidé de retenir la nouvelle institution. Puisse-t-il être fécond voire positivement percutant.

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