La mort programmée des politiques familiales<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault a inauguré jeudi le Haut Conseil de la famille.
Jean-Marc Ayrault a inauguré jeudi le Haut Conseil de la famille.
©DR

Asphixie

Jeudi, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a inauguré le Haut Conseil de la famille. Il en a profité pour vanter les mérites de la politique familiale française, enviée, selon lui, par le reste de l'Europe. Vraiment ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans le grand craquement architectonique qui secoue la sécurité sociale, et la protection sociale au sens large, tout porte à croire que la quatrième branche de l’édifice de 1945 tant adulé par Stéphane Hessel, la branche "familles", vient d’entrer en phase terminale et devrait bientôt recevoir ses premiers soins palliatifs.

Pour mémoire, cette branche mal connue de la sécurité sociale, qui perçoit 60 milliards d’euros annuels de recettes (comparables aux recettes de l’impôt sur le revenu, en somme), dont une grosse moitié en cotisations sur les salaires, cumule tous les handicaps du système français de sécurité sociale.

Premier handicap: les nombreux lièvres qu’elle court en même temps. Inventée pour aider les salariés à élever leurs enfants, la branche familles sert effectivement à payer des allocations familiales. Mais elle remplit une série d’autres missions dont la cohérence défie la logique: conciliation entre vie professionnelle et vie familiale par le versement de prestations de gardes d’enfant, mais aussi aide au logement et lutte contre l’exclusion, avec le versement de l’AAH et du RSA. À poursuivre autant d’objectifs hétéroclites, on se demande quelle peut être la légitimité sociale d’un organisme de sécurité sociale aussi éloigné de sa raison d’être initiale.

Deuxième handicap: la branche familles est, depuis sa création, une sorte de chasse gardée d’un syndicat ultra-minoritaire, la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens). Dans le grand découpage des présidences de sécurité sociale entre les syndicats représentatifs de salariés, cette branche a donc récolté, assez naturellement d’ailleurs, le titre de domaine réservé du syndicat le plus attaché à la famille. Le problème est que ce syndicat, quoiqu’en dise ses aimables dirigeants, demeure l’un des moins représentatifs... Et devrait d’ailleurs perdre sa capacité à négocier des accords nationaux, tant il ne représente plus rien. En attendant, cette branche apparaît comme l’une des moins légitimes et des moins représentatives dans le paysage paritaire français.

Troisième handicap: la branche familles n’est pas financée par les salariés, mais par les employeurs et par les contribuables. Les cotisations familiales sont en effet uniquement payées par les patrons. Elles représentent une grosse moitié des ressources de la branche. L’autre moitié est apportée par le budget de l’Etat. Difficile donc de justifier la légitimité de demander l’avis des salariés sur la gestion d’un système qu’ils ne financent pas. Et forcément, l’idée de remplacer tout cela par une TVA sociale ne peut qu’occuper les esprits.

Dans ce bouquet, en soi suffisant, de bonnes raisons qu’il y aurait à supprimer la branche familles pour en faire un service de l’Etat, d’autres malheurs s’ajoutent, propres à la crise que le pays traverse depuis plusieurs années.

Au premier chef, la branche familles est exposée à la montée de la précarité en France. Vouée à servir des prestations de lutte contre l’exclusion, la branche est de toutes les innovations qui agitent la vie politique. Dernière création en date: le Revenu de Solidarité Active, qui a bouleversé le fonctionnement de la maison dans un temps très court. Toute cette agitation constitue un puissant facteur de trouble, qui perturbe considérablement la vie normale des services.

Elle s’accompagne d’une augmentation continue de l’activité qu’on aurait bien tort de sous-estimer. Au total, un français sur deux est un assuré de la caisse nationale d’allocations familiales, structure qui ne compte que 33.000 salariés, et plus de 1.600 lieux d’accueil. Une fraction simple montre que chaque salarié de la branche gère un portefeuille théorique de 1.000 salariés, ce qui est considérable. Toutes choses égales par ailleurs, ce ratio employés/clients est le même que celui de Bouygues Telecom.

Pourtant, la branche familles est sommée de réduire son nombre de salariés pour dégager de la productivité. Cette politique encadrée par des contrats d’objectifs signés avec l’Etat a produit de véritables ravages dans les services. Ainsi, si la mise en place du RSA a justifié la création de 1.257 postes, mais une politique concurrente de suppression de 1.177 emplois a réduit les créations nettes à néant ou presque.

Selon les chiffres officiels de la CNAF produits dans le bilan de la dernière convention d’objectifs, la productivité des collaborateurs de la caisse a augmenté de 14% en 10 ans. Cette progression peut paraître modeste. Elle explique néanmoins une forte pagaille opérationnelle, et des situations proches de la rupture.

Ainsi, la CAF de l’Hérault a-t-elle annoncé une fermeture de ses services pendant une dizaine de jours au mois de février, afin de rattraper son retard et de pouvoir payer les prestations de mars en temps et en heure. La conjonction d’une montée en charge des demandes dans certains départements, et d’une réduction d’effectifs, jointe à un retard dans l’évolution managériale, mettent donc en péril le fonctionnement même de la branche. À terme, les Français pourraient avoir la surprise de découvrir que certaines prestations de sécurité sociale ne sont plus payées dans les temps, faute d’une organisation capable de délivrer le service dans de bonnes conditions.

D’autres signaux inquiétants montrent que la branche familles se trouve aujourd’hui dans une situation de rupture qui ne pourra durer longtemps. L’an dernier, par exemple, la Cour des Comptes a refusé de certifier les comptes de la branche. Les raisons invoquées étaient simples à comprendre: la CNAF verserait environ 1,6 milliard d’euros de prestations en trop, à cause d’erreurs de calcul. La Cour avait pointé du doigt, à cette occasion, les insuffisances du pilotage de la branche, qui témoigne de l’obsolescence profonde de notre sécurité sociale dans ce domaine.

Mais la Cour avait rendu d’autres conclusions plus assassines. Elle avait notamment remarqué de graves erreurs d’imputations comptables (à hauteur de plus de 500 millions d’euros), qui conduisaient à minorer le déficit de la branche. Elle avait aussi signalé des erreurs comptables, des imprécisions et des omissions, qui nourrissent le sentiment de déshérence propre à notre régime de politique familiale.

Selon toute vraisemblance, la Cour des Comptes ne certifiera pas plus les comptes de la branche familles cette année, ce qui tombe assez mal. Comment justifier en effet la pérennité d’une branche dont le financement pèse sur le coût du travail, dont les missions sont aussi désordonnées, et dont l’efficacité est aussi contestée ?

L’intérêt d’une transformation des cotisations patronales qui financent le régime en impôt indirect était bien celui-là: supprimer la gestion paritaire de la branche, et produire un big bang capable de remettre à plat l’organisation de la branche elle-même. Car tant que la caisse est financée par des cotisations sociales, les syndicats sont légitimes à en assurer la gouvernance, même si celle-ci est partagée avec l’Etat. Dès que les recettes de la branche sont assurées par l’impôt, la gestion paritaire perd toute légitimité.

Or, comment réformer une structure de sécurité sociale, comment la rendre efficace, quand ceux qui la gouvernent ont la tâche ingrate de représenter, dans le même temps, les salariés qui seront les premiers concernés par une réorganisation?

De ce point de vue, l’agonie de la branche familles à laquelle nous assistons est une étape à la fois précurseuse et expérimentale d’un processus beaucoup plus général: la mort par asphyxie de la vieille sécurité sociale paritaire de 1945.

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