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A mi-chemin entre fantasmes et cauchemars, les robots ont toujours fasciné les humains.
A mi-chemin entre fantasmes et cauchemars, les robots ont toujours fasciné les humains.
©DR

Sarah Connor ?

A mi-chemin entre fantasmes et cauchemars, les robots ont toujours fasciné les humains. Alors qu'ils envahissent l'industrie et la Bourse, les avis divergent entre ceux qui les considèrent comme les sauveurs de l'économie et ceux qui les voient comme les meurtriers de l'emploi.

Robin Rivaton,Jean-Paul Laumond et Jean-Gabriel Ganascia

Robin Rivaton,Jean-Paul Laumond et Jean-Gabriel Ganascia

Robin Rivaton est consultant en stratégie dans un cabinet américain. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.

Jean-Paul Laumond est titulaire de la chaire d'innovation technologique au collège de France. Il est spécialiste de robotique humanoïde au LAAS-CNRS et directeur de recherche au CNRS.

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du  LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .

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Atlantico : Alors que vient de se conclure la conférence Automate 2013 à Chicago, la question de la robotisation de la société, et particulièrement de l’industrie, est chaque jour plus brûlante. Entre paranoïa technophobe et prophétisation d’une révolution, les robots sont de plus en plus présents dans notre société. Comment différencie-t-on fondamentalement un robot d’une simple machine ?

Robin Rivaton : Le robot industriel a une définition précise qui obéit à la norme ISO 8373. Le robot est un manipulateur contrôlé automatiquement, reprogrammable à usages multiples, programmable sur trois axes au minimum, qui peut être fixé sur place ou mobile en vue d’activités de production industrielle.

Le robot se différencie donc de la machine-outil par la possibilité qu'il a de réaliser différents types de tâches.Il apporte ainsi une plus grande flexibilité à l'outil de production permettant de produire des séries de taille plus restreinte, exigence première dans un monde où la production de masse semble s'éloigner de plus en plus et où le cycle de vie des produits se réduit.

Mais, aujourd’hui, les robots industriels ne trouvent leur place qu’au sein du champ plus large de l’automatisation industrielle. D’ailleurs la robotique ne représente que ~5% d’un marché de l’automatisation en pleine évolution, avec par exemple la commercialisation d’imprimantes 3D de plus en plus performantes.

Jean-Paul Laumond : Ce que l’on appelle une "simple machine" est une machine directement commandée par un opérateur : un aspirateur par exemple est une machine que l'on doit guider. Un robot possède une capacité d'adaptation qui lui permet de se passer d'une commande directe par un opérateur : il existe aujourd'hui des aspirateurs automatisés qui vont explorer tous les recoins de votre appartement. Ils possèdent des capteurs qui leur permettent de se situer dans l'espace et ils ont des stratégies d'exploration de l'espace ; ils savent s'adapter à différents environnements : ce sont des robots. Il reste qu'un robot n'est rien d'autre qu'une machine commandée par un ordinateur.

Jean-Gabriel Ganascia : L’idée de robot est définie par l’autonomie, c’est une machine capable de se mouvoir d’elle-même. Cependant, l’autonomie peut prendre deux sens dans le débat sur la robotisation et l’automatisation,celle de l’autonomie mécanique et celle de l’autonomie morale et nous sommes pour l’instant essentiellement limité à la première. Une machine a malgré tout à sa disposition un nombre d’actions considérable et peut décider de ses actions dans une certaine mesure, en fonction de son environnement et de sa finalité. A l’aube de la création d’automates, les inventeurs parlaient de machines téléologiques, qui pourrait se traduire par machine agissant dans une finalité. Le robot se définit donc comme une machine particulière capable d’analyser, au moins en partie, son environnement et d’agir en fonction.

Les avis divergent sur le ratio création/destruction d’emploi qu’engendrerait à terme la robotisation de l’industrie. Qu’en est-il vraiment ?

Robin Rivaton : La clé d'une révolution technologique de cette ampleur est son acceptabilité sociale, j'ai donc particulièrement étudié l'impact sur l'emploi. Et je vous assure qu'il sera positif.

Positif parce que l'industrie française perd déjà plusieurs dizaines de milliers d'emplois chaque année sous l'effet d'un manque de compétitivité face à la concurrence internationale. Les robots, en améliorant la compétitivité coût et hors coût de l'appareil industriel français, permettraient de sauvegarder des sites en France. Mieux encore, face à la montée des coûts salariaux en Asie, le robot offre des perspectives de relocalisation élevées.

Vaut-il mieux une usine en France avec des robots - et les employés pour les entretenir - qu'une usine délocalisée à l'étranger ? Dans un cas, elle paie impôts et cotisations sur le sol national, fait travailler des fournisseurs locaux, dans l'autre rien de tout cela.

De quelle manière cela changerait-il la structure de l’emploi en France ? Quels sont les métiers menacés, ceux qui se développeraient et ceux qui pourraient apparaître ?

Robin Rivaton : La robotisation que j'appelle de mes vœux conduira effectivement à modifier la structure de l'emploi. La filière robotique s'insère dans un environnement économique qui mobilise un grand nombre de ressources humaines à forte valeur ajoutée. De la conception à l’installation, la fabrication de robots industriels requiert l’intervention de plusieurs entreprises, notamment des intégrateurs chargés de penser l'installation du robot au sein de la ligne de production. Plusieurs dizaines de milliers de postes seraient nécessaires dont une majorité de professionnels de haut niveau, ingénieurs et techniciens spécialisés.

En outre, les robots ne fonctionnant pas seuls, il faut des employés pour en assurer la maintenance et la surveillance, environ une personne par cellule robotique. Ces nouveaux postes sont des reconversions logiques pour les employés œuvrant auparavant sur la chaîne de production, en les débarrassant de tâches usantes ou pénibles.

Les robots sont-ils potentiellement capables d’initiatives réelles telle la reprogrammation ou la prise de décision face à une situation inconnue, ou sont-ils structurellement condamnés à une dépendance humaine ? Quels en sont les dangers potentiels ?

Jean-Paul Laumond : Le robot aspirateur que j'évoquais n'est pas dépendant de vous dans la tâche pour laquelle il est destiné. Il sait prendre des initiatives, telles qu'aller recharger tout seul ses batteries. En revanche il est évident qu'il ne prendra pas l'initiative de faire la vaisselle pour la simple raison qu'il n'a pas été conçu pour cela. Il n'y a pas d'initiatives possibles qui n'aient été conçues par l'humain. Il peut y avoir des pannes de la machine ; mais on ne peut pas considérer la panne de votre machine à laver comme une prise d'initiative de sa part !

Toute évolution technologique porte en elle des dangers potentiels auxquels la société s'adapte. L'utilisation de l'automobile se fait au prix de plusieurs milliers de morts par an. Le passage à l'aéronautique s'est fait dans des conditions drastiques de sécurité qui font aujourd'hui de l'avion un système de transport plus sûr que la voiture, mais qui n'empêchent pourtant pas l'accident. La robotique n'a pas de spécificité particulière par rapport à cet état de fait. Les normes de sécurité auxquelles les robots industriels sont soumis sont drastiques : il y a beaucoup moins d'accidents humains que lorsque des opérateurs pilotaient de "simples machines". Il en est de même pour les robots qui aident un chirurgien dans l'opération d'une tumeur. Aucun accident notoire n'a été révélé dans l'utilisation des robots-aspirateurs. 

Jean-Gabriel Ganascia : Bien souvent, les machines sont capables de prendre des décisions qui surprennent leurs concepteurs. Les recherches actuelles sur l’intelligence artificielle sont très actives sur le sujet afin de prévenir d’éventuels problèmes comme la mise en danger des êtres humains dont l’action pourrait contrevenir à l’objectif programmé des robots. Les soldats-robots sont bien évidement au cœur du débat éthique sur l’intelligence artificielle. Certains pensent que la solution passerait par l’inclusion dans les programmes des règles éthiques de la guerre définies par les accords internationaux comme le fait de ne pas tuer de civils. Malheureusement, la réalité des guerres modernes et leur imprécation avec les structures civiles rend cela très complexe. Il y a également le débat de l’opposition de machine à machine mais cela relève d’une toute autre problématique. Il y a déjà plusieurs exemples réels dans lesquels le débat éthique à mener à la régulation de l’automatisation. Les drones par exemple ne sont pas encore autorisés à tuer dans déclenchement humain alors qu’ils peuvent se déplacer de manière autonome. De la même manière, sont placés sur la frontière entre les deux Corées, des automates qui tirent sur ce qui traverse. Le concept a tellement choqué les Coréens qu’ils ont établi un code éthique robotique pour éviter les dérives.

De plus, l’application de règles éthiques strictes n’est pas forcément la meilleure solution pour éviter les accidents car l’idéal serait plutôt d’intégrer dans les programmes des logiques supérieures. Les robots seraient ainsi à même de régler les dilemmes plutôt que d’appliquer brutalement une règle sans analyse. Les débats qui sont au cœur de la robotique sont en fait de vieilles problématiques philosophiques remises en avant comme l’opposition de Benjamin Constant et Emmanuel Kant autour de la vérité, mais encore l’âme dont Descartes considérait les animaux dépourvus en les considérant comme des automates.

Une automatisation totale de la société pourrait-elle remettre en cause le rôle de l’homme dans la société en le débarrassant/le privant du travail ?

Robin Rivaton : Effectivement, à long terme, nous pourrions imaginer une réflexion d’ampleur sur le rapport de l’homme au travail et à la répartition de la production. Cependant nous sommes encore très loin d’apercevoir les simples prémices d’une telle évolution. Les robots industriels ne sont pas capables d’évoluer de manière autonome et dans le champ des services, malgré des progrès très rapides, la robotique reste cantonnée à des applications expérimentales, encore éloignée d’une diffusion massive au sein de la société.

Jean-Paul Laumond : Ici encore la question n'est pas propre à la robotique. L'homme est déjà "privé" (pour reprendre votre terme) des travaux pénibles dans les mines d'extraction de charbon. Convenez qu'on pourrait dire qu'il en est libéré ! L'introduction du métier Jacquard au dix-neuvième siècle a considérablement transformé l'industrie textile et a conduit à la révolte des Canuts. L'industrie automobile a été la première à remplacer l'homme par des robots. La robotique est vue aujourd'hui dans ce secteur comme une solution alternative aux délocalisations. Les voitures de demain seront des robots qui vont permettre de réduire considérablement le nombre de morts sur les routes. Il est difficile aujourd'hui de prédire tous les effets de l'automatisation. La technologie détruit des savoir-faire et modifie les savoir-vivre ; ce n'est pas nouveau, et les sociétés démontrent une grande plasticité à cet égard. La robotique participe de cette dynamique, il ne faut pas projeter plus : le robot reste et restera une machine.

Jean-Gabriel Ganascia : Les robots sont déjà extrêmement présents dans l’industrie mais ils ne privent pas pour autant les humains du travail, ils changent simplement les taches auxquelles nous nous consacrons. De nombreux scientifiques et économistes pensent même qu’en améliorant la compétitivité des entreprises, l’automatisation va créer de la valeur et de l’emploi à condition que nous apprenions à changer de métier et que les formations adaptées soient mises en place, que les compétences nécessaires soient acquises. Le robot ne se substitue pas à l’Homme, il l’assiste. Ce n’est pas une intelligence autonome mais une intelligence ajoutée. De plus, nous vivons déjà dans un monde d’automates qui pour l’essentiel ne sont pas physiques, ils sont informatiques, ils régissent une grande partie d’Internet et de places financières. Ce sont même eux qui vont sur Mars. Pour revenir à la question industrielle, la France est en train de prendre du retard en n’agissant pas et en regardant les Allemands, les Italiens, les Japonais et les autres augmenter tous les jours leurs parcs robotiques. Il faut arrêter de voir le travail comme une quantité finie, nous avons simplement changé de logique. L’Homme échange de moins en moins d’énergie avec son environnement mais il échange de plus en plus d’information. C’est ça l’avenir du travail.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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