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La France dans le gouffre de l'impuissance publique : pourquoi les États-Unis ont poussé l'Occident à détruire ses industries nationales au profit de la mondialisation heureuse et des pays émergents
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Mise à l'épreuve

Troisième partie de notre série consacrée aux raisons de la crise et aux réformes nécessaires au pays, mais aussi à l’Europe, pour y faire face.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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A (re)lire également : 

Première partie : La France dans le gouffre de l'impuissance publique : il est urgent que nos gouvernants arrêtent de privilégier leur intérêt électoral à l'intérêt général

Seconde partie : La France dans le gouffre de l'impuissance publique :l'effroyable risque systémique soigneusement caché dans le bilan des banques

Pour comprendre l’économie de l’endettement, il faut comprendre les raisons profondes de cette dernière. Une des raisons est, évidemment, que plus on s’endette plus la finance prend des parts de marché ou du pouvoir sur la société ; sa logique est donc de pousser à l’endettement des États, des ménages et des sociétés... même au-delà du niveau possible de remboursement, car les États devront intervenir in fine pour sauver la monnaie et le système financier qui sont des biens communs indispensables à la société. Même si certains soulignent - à juste titre - que ce sont les délocalisations qui ont construit cette économie de l’endettement, il faut comprendre en amont les processus qui ont conduit à cette mondialisation dérégulée et donc à ces délocalisations pour atteindre enfin les causes de l’économie de l’endettement.

Le Général de Gaulle s’opposait à la domination du dollar, monnaie nationale mais aussi monnaie internationale, ayant quasiment le monopole de monnaie unique des échanges internationaux. En effet, ce statut est un privilège qui permet d’acheter sans payer, autrement dit de payer ce qu’on importe au prix de l’impression des billets, car votre monnaie nationale ne se dévalue pas par la création monétaire, mais continue au contraire à valoir par la demande de dollars au niveau international. Normalement, quand une monnaie n’est pas une monnaie de réserve ou d’échanges internationaux, la création monétaire aboutit à faire dévaluer la monnaie car il y a plus de monnaie nationale pour la même richesse nationale produite, donc la monnaie vaut moins. Par contre, si votre monnaie est aussi une monnaie internationale, la demande de monnaie peut s’accroître en raison de la croissance du commerce international libellé en dollar ou du prix croissant du pétrole également libellé en dollar ou du prix des matières premières, etc.

Vous pouvez alors imprimer des billets et maintenir la valeur de votre monnaie en suivant cette demande croissante de votre monnaie par la demande internationale ; vous devez même imprimer des billets et vous êtes obligés d’avoir des déficits pour que l’économie mondiale puisse croître et avoir une monnaie pour ses échanges internationaux. Cette monnaie que vous créez à partir de rien vous permet par contre d’acheter concrètement votre pétrole, vos matières premières ou vos biens importés de Chine ou d’ailleurs. Et ceci pour rien, donc en ayant le pouvoir financier de par le monde grâce à votre monnaie.

Au temps du Général de Gaulle, le dollar était encore convertible au niveau des États en or (l’or physique détenu par les États-Unis), il y avait donc une limite à ce processus de création monétaire. Encore fallait-il qu’il y ait des États qui eussent l’audace de demander de l’or contre des dollars américains ! La France avait ce culot et elle osait ramener l’or des États-Unis en France contre des dollars ; ce qui évidemment enrageait les dirigeants de ce pays. Mais à partir de 1971, et la fin de la convertibilité du dollar en or, le système étendait sa logique idéelle : la valeur du dollar serait uniquement fixée par l’offre et la demande de dollar sans limite physique liée à la détention d’or des États-Unis, et ce système allait être imposé au reste du monde. Il n’y aurait plus de parité fixe des monnaies, mais elles fluctueraient selon l’offre et la demande - sauf pour les pays émergents… Les vannes de la création monétaire mondiale étaient ouvertes.

Une telle approche se comprenait : on ne pouvait limiter le commerce international à la détention physique d’or des Etats-Unis ou bien il fallait passer à une monnaie internationale de type bancor (Keynes), mais qu’adviendrait-il alors du dollar et de sa domination bienveillante au profit des États-Unis ? Les États-Unis y perdraient un instrument de soft power, de leur finance sur le reste du monde, mais surtout ils y perdraient les moyens financiers, les moyens d’entretenir leur doux pouvoir impérial pour la paix et la démocratie. Une telle situation était donc  inacceptable et les États-Unis  allaient veiller, par tous les moyens, à ce qu’il n’y ait aucune monnaie qui puisse concurrencer le dollar ; un euro oui, mais à la solde du dollar et ne pouvant pas faire d’ombre au dollar, surtout en période de crise et donc de fragilisation du dollar.

Ce système entretenait le processus de création monétaire mondiale, car les pays qui avaient des excédents commerciaux allaient être obligés de créer de la monnaie nationale pour diluer une surévaluation de leur monnaie qui limiterait leur compétitivité et leurs avantages à l’export. Ils allaient aussi être obligés de stériliser leurs réserves en dollars en achetant de la dette américaine par risque d’inflation. La maîtrise américaine sur le monde pouvait ainsi se faire pour des décennies par les déficits des États-Unis dans ce jeu croisé d’intérêts. Reste les entreprises américaines qui n’y trouveraient pas forcément leur compte, du fait notamment de la désindustrialisation en raison du poids excessif des déficits commerciaux et donc des importations étrangères.

Avec une telle prérogative d’acheter sans payer, mais surtout avec la domination que vous donne le statut de votre monnaie nationale également monnaie internationale, vous êtes évidemment favorable à l’ouverture généralisée et dérégulée des frontières, pour bénéficier de l’argent et des biens du reste du monde, car ce système fonctionne à votre profit ou tout au moins au profit de votre élite financière dirigeante. Vous veillerez donc à  l’organisation économique du monde selon vos intérêts. L’Europe devra abandonner l’idée de Communauté (Zollverein) protégeant son marché par rapport au reste du monde pour devenir, au contraire, un grand marché ouvert au reste du monde. Il s’agira aussi d’abandonner toute idée d’Europe puissance, d’Europe des États souverains pour faire de la Commission et des institutions européennes des alliés obéissant aux États-Unis et aux règles de la modernité du marché autorégulateur.

Les États devront être mis sous tutelle de cette organisation. Il s’agira donc de neutraliser la France et sa volonté d’indépendance, de lui ôter tout leadership dans sa manière de  construire l’Europe en s’appuyant sur des pays entièrement sous contrôle : l’Allemagne, en priorité, dont l’élite politique, économique et financière d’après-guerre doit tout à la bienveillance des États-Unis. Il faudra choisir son camp, pour ou contre les États-Unis si on veut ’’arriver’’ en politique en Europe et en France. Il s’agira aussi de s’appuyer sur les pays de l’Est, après la Chute du Mur, pour définitivement mettre les États européens sous contrôle et in fine, obtenir des présidents sous contrôle, sbires de l’Empire, la main sur le cœur. Ainsi se constitue tout Empire... c’est normal et logique même ! Il ne faut pas en vouloir aux États-Unis, mais à ceux qui acceptèrent de se vendre et de vendre leur pays, pour réussir.

Par ailleurs, il faudra évidemment promouvoir une doxa économique conforme à vos intérêts américains. Vous soutiendrez des économistes et des universitaires qui estiment justes vos fondations ‘’indépendantes’’ et leur accorderont des prix. Des think-tank et de clubs les promouvront, des journalistes et des média montreront que l’ouverture dérégulée des frontières est le sésame qui ouvre à la prospérité. Vous veillerez que le Gatt (ancêtre de l’OMC) ne promeuve que les valeurs de libre échange absolu sans réciprocité dans la dimension sociale et environnementale comme à l’OIT (l’organisation internationale du travail de l’ONU). Vous refuserez donc de ratifier la Charte de la Havane en 1948 qui limitait les échanges économiques au profit du bien réciproque des peuples, à leur indépendance et à leur souveraineté. Car vous ne gérez pas l’économie et le développement durable des échanges mondiaux, vous gérez vos intérêts de Puissance et d’Empire, qui se confondent avec les intérêts de l’oligarchie qui gouverne votre pays.

A côté de l’intérêt des États-Unis et de l’oligarchie financière, il y a aussi les intérêts des multinationales pour une ouverture généralisée des frontières. A quoi rêvent les financiers (et non les véritables entrepreneurs) qui sont à la tête de multinationales et veulent augmenter leur bonus : ‘’produire au plus bas pour vendre au plus cher’’. Et ainsi faire un maximum de profits ! L’ouverture généralisée des frontières est dès lors une formidable opportunité pour les multinationales qui abandonnent le concept fordien de bien payer leurs ouvriers pour qu’ils puissent acheter la production des usines nationales pour s’engouffrer dans l’opportunité du libre-échange dérégulé des intérêts de la finance américaine. Il s’agira de produire au coût chinois - le plus bas possible - pour vendre aux pays riches le plus cher possible, juste sous le coût des productions nationales, elles qui doivent supporter des salaires et charges sociales élevés. Il s’agira donc de détruire les industries nationales au profit de la mondialisation heureuse pour le bien des pays émergents : quelle générosité !

Cette économie n’est pas durable et n’est pas humaine. Elle travaille pour la finance, elle détruit la production locale de richesses sur lesquels s’appuie les échanges équilibrés et durables, elle désindustrialise les pays occidentaux et appauvrit les salariés en les mettant en concurrence avec les salariés des pays émergents, elle les fait rentrer dans le cycle infernal de la dette pour maintenir momentanément une illusion de richesses : des chômeurs soutenu par l’État social déficitaire s’approvisionnant dans les supermarchés de productions des pays émergents…

Le trait est à peine forcé, car la réalité est là et beaucoup se reconnaîtront dans cette analyse, car ils vivent cette réalité dans leur quotidien.

S’attaquer à cette économie de l’endettement, c’est s’attaquer à la finance américaine, c’est s’attaquer aux États-Unis et aux multinationales mondiales. La politique produit-elle beaucoup de candidats au suicide politique et économique ? Exception faite des minoritaires qui en font leur fonds de commerce et donnent ainsi l’illusion du débat évidemment tranché par la majorité. La remise en question de la mondialisation dérégulée en raison de la combinaison des intérêts de ces différents acteurs vous faisait encore passer, il n’y pas si longtemps, pour un idiot qui n’a rien compris aux vertus du libre-échange et de la liberté économique. Les portes et les soutiens se fermaient et même des maîtres chanteurs venaient vous faire comprendre la réalité du monde économique. 

Il est évidemment bien plus facile de s’en prendre à la Finance avec un grand F sans précisions, sans rien dire de plus tout en s’alignant derrière les intérêts de ceux qui gèrent cette Finance avec un grand F.

Oui, la désindustrialisation est la conséquence de cette dérégulation des échanges, États-Unis compris car le peuple américain a besoin de se libérer de l’oligarchie financière qui le gouverne. Le pouvoir d’achat occidental est maintenu par des dettes impossibles à rembourser. Des voyous respectables, très respectables de la finance, savent exploiter cette situation de l’endettement en vendant la dette des États-Unis au reste du monde.

Après avoir déclenché le processus de l’endettement généralisé mondial, ils pourront en exploiter les conséquences ultimes encore à leur profit : chapeau bas pour les artistes ! Et la finance sort renforcée de la crise financière, cette dernière lui ayant permis de placer ces hommes à la tête des États et de prendre ainsi encore plus le contrôle de la politique et de la société. Mais l’Histoire n’est pas finie et reste encore à faire. Nous avons de Gaulle et Jeanne d’Arc dans notre histoire, quel peuple peut prétendre à autant d’exemplarité dans l’adversité ?

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