La sieste au travail : bénéfique pour tous, elle est pratiquée partout dans le monde... sauf en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Les scientifiques sont formels : la sieste a de nombreux bienfaits sur les performances cognitives.
Les scientifiques sont formels : la sieste a de nombreux bienfaits sur les performances cognitives.
©Reuters

Ron pchiiiii

Selon des études scientifiques concordantes, la sieste augmenterait la vigilance, la mémoire, améliorerait l'humeur et les capacités mentales. Pourtant, la sieste au travail reste une pratique taboue en France. Pour longtemps encore ?

La sieste ? Que c'est bon ! Et les scientifiques le confirment dans une récente étude. Alors pourquoi s'en priver ?

"Une sieste de 60 minutes améliore la vigilance pendant 10 heures."

La sieste a en effet de nombreux bienfaits sur les performances cognitives : augmentation de la vigilance, amélioration de l'humeur, meilleur sommeil pendant la nuit, amélioration des capacités mentales... Selon les études, 2 à 5 minutes de sieste suffisent à requinquer et 5 à 20 minutes de sieste renforcent les habiletés motrices et la performance. De surcroit, la sieste diminue les risques psychosociaux, limite l'absentéisme et prévient les accidents du travail, souvent dus au surmenage et à la somnolence.

Les données concordent au point que la question fait maintenant consensus : il est admis que la sieste rend productif. "Tous les neurologues du sommeil vous le diront. Le fait d'instaurer un système de sieste dans les entreprises est en tous points bénéfique", remarque le neurologue Christophe Petiau sur le site du Figaro. De nombreux pays ont tiré les leçons de cet état de fait, et acceptent, voire promeuvent, la sieste au bureau : "Dans les pays anglo-saxons et en Afrique, cette pratique est énormément répandue dans les entreprises, et les employés ont complètement apprivoisé la sieste au travail", souligne le spécialiste.

Infographie comparative des pratiques de sieste dans différents pays. La loi islamique recommande la sieste. Elle est fréquente en Inde, en Chine et à Taïwan.

Pourtant, la France reste à la traîne. La sieste possède une très mauvaise image dans les entreprises de l'Hexagone. Associée à la paresse, elle est perçue comme un signe de faiblesse et de facilité, et rejetée pour des raisons morales et éthiques. La sieste est une activité plutôt honteuse, et dans l'imaginaire collectif, un employé pris en flagrant délit de sieste par son patron risque de se faire réprimander  : "Pour les Français, faire une sieste est assimilé à de la fainéantise et se démarquer de cette connotation négative est délicat", analyse Christophe Petiau. Après tout, la France atteint déjà des records de productivité horaire. Une performance qui n'encourage pas les entreprises à remettre en question leurs pratiques managériales.

Même aux Etats-Unis, où la pratique est de plus en plus encouragée, seulement 6% des lieux de travail disposent de pièces réservées à la sieste, selon une étude réalisée sur 600 entreprises. Ce nombre est cependant en constante augmentation : plus 5% par rapport à l'année précédente. Mais une autre enquête à révélé que 34% des Américains interrogés déclarent que leur employeur les autorise à faire la sieste au bureau.

Le monde de la finance est peut être le plus accro à l'adrénaline. Pourtant, le magazine Fortune remarque que les milieux stressants sont peut-être ceux qui bénéficieraient le plus de la sieste. Le fond d'investissement privé Kodiak Capital a franchi le pas. Basé à Manhattan, le groupe a décidé de donner à ses employés la possibilité de faire la sieste. Un canapé confortable a été installé dans un bureau proche de l'espace de trading pour permettre des "power naps" de 15 à 20 minutes.

"Certains arrivent au bureau à 8 heures du matin, travaillent jusqu'à 17 heures, vont faire du rugby jusqu'à 20h, rentrent chez eux, et travaillent sur le marché australien pendant la moitié de la nuit avant de se coucher", remarque le manager Ryan Hodson, qui conclu : "Ces hommes peuvent ressentir le besoin d'une sieste revigorante vers 14h." Le dispositif a porté ses fruits : le manageur estime qu'environ un tiers de ses 15 employés font désormais la sieste régulièrement.

Certaines entreprises françaises ont donc décidé de se départir de leurs idées reçues. Novius a été pionnière dans ce domaine : l'agence lyonnaise de création de sites Web a été première à installer une "salle de sieste" dans ses locaux. Son PDG, Anthony Martin-Bleton, s'est fondé sur sa propre expérience de pratiquant de la sieste. Il a réalisé qu'il culpabilisait de pratiquer cette activité reposante :  "Je faisais fréquemment des siestes non assumées pendant les heures de travail, l'idée m'est donc venue assez naturellement. D'autant que je pense que la sieste est un vrai besoin, pour tout le monde." Mais même à Novius, certains employés refusent de s'adapter à cette pratique. Seuls 15 employés sur 30 l'ont adoptée définitivement.

A Lyon, France Télécom-Orange a aménagé un "espace de repos". La "calm chair", une chaise de relaxation agrémentée d'une lumière reposante, apaise les salariés. Complémentaire, le "calm space" est un micro-espace de sieste où sont diffusées des séquences sonores et lumineuses calibrés pour des siestes de courte durée. Le cabinet d'audit et de conseil PwC basé à Neuilly-sur-Seine a également décidé d'innover. Depuis trois ans, les employés bénéficient d'une salle de relaxation avec des espaces individuels remplis de coussins et séparés par des rideaux. La salle dispose également de deux fauteuils massants. Cerise sur le gâteau : deux fois par semaine, deux professionnelles viennent faire des massages aux employés.

Malgré tout, la sieste en milieu professionnel, reste un sujet légèrement tabou. Les entreprises qui ont aménagé une salle dédiée préfèrent d'ailleurs utiliser l'euphémisme  de "temps de récupération d'entreprise".

Pour Renato Colamarino, neurologue spécialiste du sommeil, certains milieux professionnels ont tout intérêt à faire des siestes, «notamment les professions à risques, les métiers soumis au stress et à l'intellect, en bref : tous les métiers qui épuisent rapidement». Pour ces métiers, faire une sieste «d'environ 15 minutes» est donc extrêmement bienfaiteur. «Particulièrement en début d'après-midi, après le déjeuner, moment où la vigilance est susceptible de baisser», précise Renato Colamarino, avant de conclure: «La sieste est une habitude pour les enfants, notamment à l'école où le temps de sieste est très pris au sérieux. Mais c'est une habitude qui ne se conserve malheureusement pas lorsqu'on grandit...»

Les choses pourraient évoluer rapidement, car il existe désormais des entreprises françaises spécialisées dans la sieste au travail. Sixta, "votre prestataire pour la sieste", épaule les entreprises qui souhaitent évoluer, en leur prodiguant conseils et formations. Avec son site mode-sieste.com, la sociétéSixta souhaite faire évoluer les mentalités. La sieste serait d'après Sixta une mesure collective simple et "rentable pour l'entreprise" puisqu'elle diminue les risques psychosociaux et limite l'absentéisme. Pour convaincre votre patron, le site mode-sieste propose de nombreuses informations et statistiques sur les bienfaits de la sieste. Le totu accompagné de videos humoristiques,  comme "la sieste provençale en milieu hostile" :

Atlantico a interrogé Norbert Alter, professeur à l'Université Paris Dauphine, sociologue des organisations et ancien employé de France Télécom.

Atlantico : Vigilance, mémoire, concentration : toutes les études concordent pour démontrer que la sieste est utile à la productivité. Pourquoi est-elle si bénéfique ?

Norbert Alter : Il est intéressant de s'interroger sur les raisons pour lesquelles on parle de sieste au travail. Parler uniquement de sieste, c'est prendre le problème par le petit bout de la lorgnette.

Les gens ont besoin de sieste parce qu'ils ont besoin de repos, de tranquillité, de perdre un peu temps, de prendre du temps pour eux. Les travailleurs sont aujourd'hui pris dans des organisations extrêmement chahutées, et sont en permanence tributaires des contraintes d'urgence. Ils n'ont plus le temps de parler entre eux, de se demander qui ils sont.

Le phénomène de la sieste au travail représente le désir d'avoir la possibilité de prendre du temps pour soi, de perdre du temps. Mais de mon point de vue, ce n'est pas un problème strictement physiologique. Cela représente le besoin de casser un rythme de travail défini par les contraintes d'urgence. Il ne s'agit pas nécessairement de dormir, mais de paresser de temps en temps.

Si le travailleur ne prend pas le temps de perdre du temps, il fait beaucoup d'erreurs, il n'a plus de relations avec les autres, il est donc mal a l'aise et la qualité de son travail en pâtit. Il y a donc une relation entre l'efficacité au travail et le bien être au travail, de qualité de vie au travail. La sieste en fait partie, mais ce n'est qu'un aspect du problème. C'est représentatif de toute une série de questions concernant le bien être au travail. On ne peut pas continuer à travailler dans les situations d'anxiété, d'insécurité qui sont celles de la plupart des individus au travail aujourd'hui. Le travailleur a besoin de prendre du temps pour être avec les autres et réfléchir à ce qu'il fait.

Si le repos est utile à la productivité, les entreprises et les patrons sont censés en bénéficier. Dans ce cas, pourquoi les besoins en termes de repos ne sont pas davantage pris en compte par les entreprises ?

C'est assez simple. Les techniques de gestion trop standard considèrent que plus un individu travaille de manière directement productive, plus il produit de l'efficience. Or, ce n'est pas tout à fait juste. En réalité, plus un individu travaille dans de bonnes conditions, avec un travail qui fait sens, plus il produit de l'efficience.

On confond trop souvent le temps productif avec la production d'efficacité. Ce n'est pas parce qu'on travaille beaucoup que l'on produit de l'efficacité. Si on travaille beaucoup en dépit du bon sens, on n'est pas productif, pas efficace. Les ergonomes font une bonne distinction entre travail prescrit et travail réel. Le travail prescrit, c'est la fiche de poste. Le travail réel, c'est ce que le salarié fait réellement pour atteindre les objectifs du poste de travail. On constate en général qu'il en fait plus dans le travail réel, mais qu'il fait également autrement. Le problème, c'est que le management continue trop souvent à penser que l'efficacité vient du travail prescrit, alors qu'en réalité, elle provient du travail réel.

Certains secteurs sont-ils de meilleurs élèves que les autres concernant la prise en compte des besoins de repos ?

Certains univers acceptent davantage que les salariés prennent du temps pour eux. Ce sont les domaines ou la notion de métier est primordiale, où l'on prend en compte les notions de compétence, de qualification et d'autonomie, comme chez les médecins, ou les journalistes. Le "métier" est un type de compétence, définie par le fait que le travailleur a suffisamment d'autonomie pour organiser lui même son travail. Il s'agit des univers qui définissent les critères d'efficacité par le métier, et non par un fichier Excel. A l'inverse, lorsque toutes les activités sont rationalisés, comme en usine, les employés ou moins de latitude et de temps pour s'auto-organiser.

 Propos recueillis par Julie Mangematin

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