Energie : préférez-vous le nucléaire ou... avoir froid cet hiver ?<!-- --> | Atlantico.fr
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centrale nucléaire énergie pic consommation
centrale nucléaire énergie pic consommation
©PATRICK HERTZOG / AFP

Pics de consommation

Alors que le président de la République a maladroitement assimilé nucléaire civil et nucléaire militaire lors de sa visite au Creusot ce mardi, l'analyse des sources de l'énergie que nous consommons lors des pics de consommation actuels montre que ce ne sont pas les énergies renouvelables qui nous permettraient d'y faire face.

Tristan Kamin

Tristan Kamin

Tristan Kamin est ingénieur en sûreté nucléaire. Son compte twitter : @Tristankamin

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Atlantico.fr : Une nouvelle pointe de consommation électrique a été atteinte ce lundi. Sont-elles liées à l’hiver ? Lorsqu’il y a une pointe comme ça, c’est toujours le nucléaire qui assure la plus grosse partie ? Cette part est plus importante que la part d’installations dédiées au nucléaire, comment expliquer cela ?

Tristan Kamin : Il y a des pointes le matin et le soir toute l’année. Ce n’est pas tant la pointe que les bases qui sont modifiées par l’hiver, par le chauffage électrique notamment. Mais les pointes sont effectivement plus fortes en amplitude et surtout avec des valeurs maximales plus élevées. Typiquement en été, on aurait une base de 45 Gigawatts avec des pointes à 55 et en ce moment on va avoir une base à 70 avec des pointes à 80-85 Gigawatts. Il y a un vrai poids hivernal  sur la base (beaucoup) et sur la pointe (un peu) parce que les chauffages, l’éclairage et les cuissons montent en puissance. Et sur le socle, c’est le nucléaire qui va couvrir encore aujourd’hui environ 60 à 80 % de la consommation. Actuellement, on utilise le nucléaire dans une part plus importante que sa part parmi les installations existantes. C’est à peu près 45 % de nos capacités de production raccordées au réseau, mais concrètement il arrive à environ 70 % de la production à un instant donné. On l’explique par le fait qu’une grosse majorité du parc est toujours en production. Ce jour, il y a onze réacteurs à l’arrêt sur 56. Donc on utilise le parc à plus des trois quarts, alors que les autres moyens de production sont sous-utilisés : l’hydraulique pour faire des pointes, les centrales à gaz qu’on utilise plus ou moins selon les saisons et puis l’éolien et le solaire qui ont une production bien inférieure à leur capacité théorique. Le solaire est à sa capacité théorique en fin de printemps à midi et l’éolien n’est jamais à pleine capacité, et en est loin en ce moment.

Au vu des consommations pendant les pics actuellement, est-ce que l’hiver va être énergétiquement viable ou doit on s’attendre à des coupures ?

Le maximum historique qu’on a connu, en février 2012 était à 102 Gigawatts. Aujourd’hui on sait qu’on n’arriverait plus aussi haut, et heureusement car on ne pourrait plus l’encaisser parce que nous n’avons plus autant de centrales au fioul pour venir en secours. Le maximum raisonnable c’est vraisemblablement autour de 90 GW. Quant à savoir si on saura couvrir une telle demande… ça dépendra de quand ça arrive. Actuellement, nous sommes sur une tendance normale d’hiver. Tant qu’on y reste, il n’y a pas de problèmes annoncés. Ceci dit, on n’est pas à l’abri d’un imprévu. RTE dit qu’on est capable de gérer tous les scénarios sauf un pic de froid courant février. En effet, on a eu des faibles disponibilités du nucléaire liés à des décalages de maintenant en raison du Covid et en ce moment on remonte à des niveaux classiques mais on sait qu’on va repartir dans une vague de maintenance courant février. Et si on a une vague de froid tardive à ce moment on va devoir faire appel aux moyens de secours qui sont de délester les industriels, baisser la tension sur le réseau et en dernier recours, effectuer des coupures chez les particuliers. Même dans ce cas, il s’agirait de coupures tournantes de quelques minutes, peut-être une heure, une région ou un quartier après l’autre, lors des pics à 9h du matin ou 19h.

Quelle est la marge de manœuvre d’utilisation des énergies ?

Sur le nucléaire, en ce moment, tous les réacteurs disponibles produisent à peu près à 100% de leurs capacités. Il n’y a pas souplesse à la hausse sur le nucléaire en ce moment. La seule flexibilité qu’on va avoir c’est sur les maintenances qui se terminent. La souplesse de la production se fait en petite partie par le gaz, mais ça reste une petite plage de puissance (de 5 à 9 GW) et le gros de la souplesse provient de l’hydraulique. Sur une journée cela peut varier du simple au triple, de 3 à 15 Gigawatts. Il y a l’hydraulique des cours d’eau et celui des barrages. L’hydraulique des barrages est utilisé pour gérer les pointes. Si on l’utilise pour une production soutenue cela va vider les barrages. Enfin, il y a les importations. Ce week-end, on exportait jusqu’à 5 GW, et en ce début de semaine on importe jusqu’à 9 GW. L’importation est très variable. En ce moment l’Espagne et le Portugal exportent pas mal parce qu’ils ont beaucoup de vent.

Depuis dix ans, nous avons fermé beaucoup de capacités fossiles et notamment des centrales à charbon et à fuel qui servaient peu et surtout d’appoint dans les moments difficiles. C’est notamment pour ça que la France devient importatrice en ce moment. L’Allemagne, par exemple, n’a pas du tout fermé ces centrales, et en ce moment, elles tournent à généreuse puissance, donc elle exporte vers la Belgique, les Pays-Bas ou la France.

Est-ce un signal positif qu’Emmanuel Macron se rende aujourd’hui au Creusot sur le sujet du nucléaire ? Que peut-on penser des déclarations d’Emmanuel Macron ?

Sur la filière civile on s’attendait à tout, aussi bien le pire que le meilleur, mais surtout à rien. Le plus probable étant beaucoup de parole et pas grand-chose de concret. Côté militaire, le porte avion c’était attendu depuis quelques jours. Du côté du civil il n’y a rien eu de nouveau. On maintient la politique actuelle qui est d’atteindre 50% de nucléaire dans le mix électrique d’ici 2035 avec le prétendu recours aux énergies renouvelables pour compenser. Et cela sans répondre aux questions que cela soulève sur la fiabilité et l’intermittence. Il y a eu un amalgame très douteux entre filière civile et militaire qui pose vraiment un problème, tant il est dur de faire comprendre à quel point elles sont, en pratique, séparées depuis plusieurs décennies, à part pour quelques fournisseurs dont les forges du Creusot. La seule surprise c’est cet amalgame, et elle est mauvaise. Il a également évoqué l’hydrogène mais ça ne l’engage pas à grand-chose à ce stade.

Que faudrait-il que Macron annonce sur le nucléaire civil ?

Ce que j’aimerais bien, qui serait presque anodin et en même temps très lourd de sens, c’est que l’objectif national qui est d’avoir 50% du mix électrique nucléaire en 2035, devienne 50 % du mix énergétique. Cela permettrait d’abolir des objectifs sans intérêt climatique sur l’électricité qui est déjà très bas carbone, pour s’intéresser à l’énergie au sens large. Cela changerait très légèrement les textes tout en les rationnalisant considérablement. Par ailleurs, il y a un ou deux ans, le gouvernement a demandé à EDF de faire des études sur la faisabilité de construire six EPR de deuxième génération et de produire un rapport là-dessus en 2021, pour le président qui sera élu en 2022. Certains espèraient qu’Emmanuel Macron décide d’anticiper et d’annoncer au moins un premier jalon dans ce sens-là, mais rien de tel aujourd’hui

Greenpeace a émis un communiqué ou il affirme entre autres que « Macron soutient le nucléaire au détriment du climat » qu’en pensez-vous ?

C’est Greenpeace qui fait du Greenpeace, ils attaquent sans argument, sans raisonnement. Le seul fait qu’ils opposent nucléaire et climat en dit long. Le responsable de l’équivalent autrichien de la cour des comptes a récemment annoncé que l’Europe ne devait pas avoir d’objectif climatiques trop ambitieux parce que cela faciliterait un retour en force du nucléaire. C’est scandaleux d’avoir dit ça mais ça résume très bien la vision de Greenpeace. Ils voient que nucléaire et climat sont conciliables et ça leur pose un problème. Ils sont anti-nucléaire avant d’être pro-climat. Ce qui est ironique, c’est qu’ils reprochent à Macron de trop s’intéresser au nucléaire plutôt qu’à l’élevage, aux bâtiments, etc. Mais s’intéresser au nucléaire c’est compatible avec tout ça. Le reproche de trop s’intéresser au nucléaire -en s-y opposant au détriment du climat - est beaucoup plus applicable à eux qu’à Emmanuel Macron.

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