Covid-19 : Emmanuel Macron annonce enfin (et sans en avoir l’air) un changement de stratégie<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron allocution déconfinement
Emmanuel Macron allocution déconfinement
©Thomas COEX / AFP

Déconfinement en 3 étapes

Le chef de l'Etat s’est exprimé ce mardi depuis l’Elysée pour annoncer de nouvelles perspectives dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Emmanuel Macron a détaillé un calendrier en trois étapes avec un déconfinement envisagé pour le 15 décembre. Emmanuel Macron semble opérer un changement de stratégie. Comment expliquer cette évolution ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Dans son allocution, Emmanuel Macron semble opérer un changement de stratégie avec un calendrier clair, qu’est-ce qui différencie cette allocution des précédentes prises de parole du chef de l’Etat ?

Arnaud Benedetti : Depuis le debut de cette crise, le Président se réservait l’annonce des principes et laissait par la suite à son Premier ministre et à ses ministres le soin de préciser en pratique le sens de son intervention. Là, il a voulu "granulariser" son propos en rentrant dans le détail d’un plan glissant dont le but à terme consiste à déconfiner. D’où cette baseline "vendue" aux medias depuis quelques jours d’"allègement du confinement ". Le chef de l’Etat, cette fois-ci, semble porter sur ses épaules l’entièreté de la stratégie, ce qui dans l’immédiat, a le mérite de conférer un peu plus de clarté dans sa communication mais qui à terme, si le phasage ne se déroule pas comme il envisage, le place désormais en première ligne, sans qu’il puisse forcément et implicitement faire porter à son gouvernement les insuccès potentiels de sa politique. Cette allocution en creux dit aussi que le Président acte la faible performativité de l’expression de son Premier ministre. Car ce discours a ceci de paradoxal qu’en approfondissant les détails ressort une  rhétorique faiblement présidentielle et quasiment managériale. D’où la nécessité pour Emmanuel Macron, en fin d’intervention, d’élargir son propos à la nécessité de tirer toutes les conséquences de cette crise pour le modèle français. Cela sonnait un peu creux mais il fallait bien présidentialiser la prestation.

Emmanuel Macron a annoncé un plan en 3 étapes pour les semaines à venir et mis en évidence pour la première fois la nécessité de l’isolement des cas positifs -dont vous soulignez la nécessité depuis des mois dans les colonnes d’Atlantico. Ces 3 étapes vous paraissent-elles cohérentes ?

Guy-André Pelouze : En réalité, il y a l'étape de samedi prochain, si mes souvenirs sont exacts, qui consacre un demi-tour complet sur le plan stratégique puisque les commerces compatibles avec la pandémie vont rouvrir et les Français vont pouvoir se déplacer, vaquer à leurs occupations et profiter de la nature et de ses bienfaits. Ensuite les deux autres étapes sont beaucoup plus conditionnelles et ne représentent que des annonces modifiables en fonction de l'incertitude qui demeure, c'est-à-dire la dynamique de l'épidémie en France et notre capacité à la maîtriser. La première étape était nécessaire, pour les deux autres il s'agira d'agir avec pragmatisme. C'est plutôt cohérent, même si l’ouverture des commerces et la liberté des déplacements auraient pu faire partie du dispositif initial. En tout état de cause, il va falloir maintenant faire appliquer la loi c'est-à-dire les règles de protection personnelle qu’il s’agisse du masque, de l’éloignement interpersonnel et de la jauge. Ce qui n’est pas le cas 10 mois et demi après le début de la pandémie. Je l’ai déjà souligné, c’est essentiel et l’observation de la vie quotidienne n’est pas en faveur des grandes surfaces où existent encore trop de laxisme.

Pour l’isolement des cas contacts ou positifs ce n’est pas un demi-tour mais plutôt un désaveu de Mrs Véran et Castex qui avaient émis des doutes sur l’efficacité, la nécessité ou bien la possibilité juridique de l’isolement. E. Macron avait évoqué cette question lors de son intervention précédente. Il a suivi l’avis du Conseil scientifique qui y est favorable depuis plusieurs semaines et qui l’a fait savoir dans un article scientifique. Le président les met clairement au pied du mur.

Avec la réouverture des commerces, peut-on considérer qu’Olivier Véran et Jean Castex, qui ne croyaient possible ni cette réouverture ni le contrôle de l’isolement des cas positifs, ont été désavoués par le Président de la République?

Arnaud Benedetti : Le Président est le point de tensions des rapports de forces au sein même de l’Etat  Sa position  est le produit de ce jeu de forces. Ce qui est frappant par ailleurs avec cette dernière allocution c’est qu’elle avait été l’objet de fuites diverses et massives depuis quelques jours. Il faut s’interroger sur la fonctionnalité de ce teasing. Il vise à tester sans doute l’accueil des pistes étudiées tant en interne de l’appareil d’Etat qu’à l’externe ; il signifie aussi la volonté d’alimenter systémiquement la machine de l’info continue pour créer une attente, une attention permanente en amont de l’allocution et maximiser l’intérêt des Français. De facto il s’agit de héler le chaland, comme un bonimenteur sur un champ de foire, pour lui vendre un produit de com’. C’est un peu ce que deux chercheurs en science de l’info, Grunig et Todd, ont appelé le "modèle communicant unidirectionnel" à effet d’annonce. Le résultat c’est que l’exercice présidentiel apparaît comme la certification de ce qui n’a cessé de ruisseler médiatiquement dans les heures précédant l’allocution. Dans la course à l’info les médias sont malgré eux les instruments de cette stratégie communicante, ils en sont réduits à être des relais, ce qui un temps diminuent leurs fonctions critiques au demeurant puisqu’ils sont concentrés quasi exclusivement sur la recherche des annonces à venir. Le Président, lorsqu’il apparaît à l’issue de cette scénarisation, est dés lors le grand certificateur de ces pré-annonces. Il y a là comme une ritualisation de la communication.

Celle ci donne bien sûr lieu à une lecture lorsqu’elle est accomplie. Et votre question en est l’illustration quelque part, puisqu’elle entretient l’idée que le Président aurait tranché, conformément à sa mission arbitrale. C’est lui qui décide , qui commande, qui fixe le cap. Or, encore une fois sa décision ait beaucoup moins tranchante qu’il n’y parait. La ligne sanitaire et la ligne économico-sociale se sont assez neutralisées en fin de compte. On libère en partie (réouverture des commerces, possibilité de circuler au-delà de 30 kilomètres) mais on persiste à contraindre encore (fermeture des cafés et restaurants, maintien de l’attestation). Quant à la question du contrôle des cas positifs, on la teste bien plus qu’on l’impose, car on renvoie les modalités de cette dernière à la concertation et à la discussion parlementaire. Un beau sujet de controverse à venir...

Guy-André Pelouze : C'est bien sûr le sens qu'on peut donner aux propos et aux décisions du Président de la République. La politique suivie par le gouvernement dans cette phase de résurgence est brouillonne et n'apporte pas assez de garanties afin d’éviter de nouvelles résurgences significatives. Il leur demande de s’activer pour casser la transmission et chacun sait que l’isolement est notre point faible.

Le président fait appel à la responsabilité des Français mais continue à utiliser les attestations de déplacement, est-ce l’aveu qu’il ne fait toujours pas confiance aux Français ?

Arnaud Benedetti : La question de l’attestation est le symbole d’une impuissance à penser la citoyenneté par le sanitaire. Cette vision est imposée par le bio-pouvoir qui ne connaît pas l’autonomie du sujet mais ne vit que dans la dépendance du patient. Cette conception à l’épreuve de cette crise a gagné les cercles de la décision politique et rencontrée, hélas, le prurit administratif de la jouissance du contrôle. C’est un problème de fond à ce stade peu pensé, qui dessine une évolution particulièrement inquiétante sur le plan des libertés publiques. Emmanuel Macron, produit de la culture technocratique, y trouve là sans doute satisfaction inconsciente à son ethos saint-simonien mais le saint-simonisme est une sorte d’église qui parle plus à des fidèles, en leur ordonnant le suivi de rites qui ne sont rien d’autres que des "process", qu’à des citoyens émancipés et éclairés. Conformez-vous et vous serez sauvé !

Guy-André Pelouze : Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un régime particulier en France puisqu’il y a d’un côté le président de la République et son équipe et de l'autre côté le premier ministre et le gouvernement. Il y a donc une concurrence qui n'est pas toujours positive. J'interprète cette persistance des attestations comme la volonté de ne pas désavouer excessivement le premier ministre. Ce serait trop le fragiliser à l’heure actuelle. Ces attestations demeurent inutiles. Pour autant il faut les remplacer par l’utilisation massive de l’application qui pourrait fonctionner comme un passeport. On attend une initiative du gouvernement qui s'articule avec l’isolement des cas contacts ou positifs. Car je le rappelle sans traçage électronique précis il sera impossible d’atteindre un taux d’isolement suffisant. C’est dans l’intérêt des Français contaminés par le virus car l’isolement est un suivi et accélère les soins en cas d’aggravation.

Le président de la République a pointé les dysfonctionnements de l’administration ainsi qu’un « sens des responsabilités inégal ». Au-delà de la cohérence qui semble -enfin !- guider les décisions publiques, peut-on redouter que ces pesanteurs entravent à nouveau le plan exposé par Emmanuel Macron et l’efficacité française face au Covid ?

Arnaud Benedetti : Il fallait bien discursivement payer son écot à la grogne anti-administrative qui monte. On calme par les paroles mais dans les faits c’est toujours l’administration qui continue de contrôler et de piloter. Les cafés, les restaurants, activités économiques mais aussi symboles d’une vie sociale libérée, payent un tribut monumental à cette gestion administrative. Beaucoup ne s’en relèveront pas et ils pourraient constituer le ferment des grandes colères à venir. Au demeurant le Président a peu manifesté d’empathie à leur endroit, alors qu’ils sont au point de rupture.

La réalité sur le fond c’est que cette allocution poursuivait  également, au-delà de l’entreprise de mise en cohérence pour esquisser une "sécurisation" de l’avenir, l’objectif de justifier le second confinement, de faire oublier les insuccès qui avaient entraîné sa mise en œuvre et d’éteindre les critiques sur sa pertinence. Tout l’enjeu du discours présidentiel était que l’on retienne trois choses : le bien-fondé de sa stratégie, chiffres à l’appui ; l’assouplissement du confinement pour les françaises et les français ; la plus grande lisibilité de la suite sanitaire...

Guy-André Pelouze : L'affirmation par le Président de la République selon laquelle des dysfonctionnements et des obstacles bureaucratiques freinent la réponse à cette pandémie doit être considérée comme un des éléments essentiels de son allocution. Bien évidemment on ne s'attend pas à des changements structurels même s'ils sont souhaitables, en revanche il s'agit probablement d’un signe à destination de l'administration centrale, des ARS et des structures qui en dépendent. Nous allons constater très vite si le gouvernement arrive à mettre sur pied une stratégie d’isolement (qui je l’ai expliqué servira aussi au plan de vaccination). La décrue des nouveaux cas positifs sera alors plus rapide et se maintiendra à un niveau inférieur à celui des mois qui ont suivi le déconfinement de Mai. L’activité économique pourra repartir avec de meilleures anticipations. La confiance naît de la maîtrise de la pandémie. C’est un chemin de crête sur lequel nous nous engageons tous. D’un côté les bruyants négateurs de la pandémie qui font peu de cas des malades et des décès, de l’autre ceux qui ne voient que la sauvegarde du système de soins et prônent des mesures qui entravent excessivement la vie économique. Ce n’est pas le jour où malheureusement nous franchissons 50 000 morts à l’hôpital et en EHPA qu’il faut renoncer à ce chemin.

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